Liberté Cathédrale de Boris Charmatz – Tanztheater Wuppertal Pina Bausch
C’est aux Usines Fagor que s’est déployée la très attendue Liberté Cathédrale de Boris Charmatz, sa première création pour le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch dont il est maintenant le directeur. Une quinzaine d’interprètes de la troupe se mêlent, et plutôt bien, à des danseurs et danseuses fidèles du chorégraphe pour mener ensemble une architecture humaine. Dans cet espace immense et brut, entourés du public, ils se déploient avec une force et une beauté rares. Mais la pièce se dilue petit à petit, de trop de grandiloquence peut-être, pour se perdre avant d’arriver. Se pose aussi ici la question du consentement du public, utilisé parfois sans vraiment avoir le choix, et qui participe à un sentiment de malaise qui ne devrait pas se trouver là.
Voilà l’événement de cette rentrée : la création Liberté Cathédrale de Boris Charmatz par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, en bonne place dans la programmation de la Biennale de la Danse de Lyon. Pourquoi tant d’attente pour cette pièce ? Parce qu’il s’agit de la première création du chorégraphe pour la compagnie emblématique allemande, dont il a pris la direction il y a un an. Et la surprise fut grande, à l’époque, de voir sortir son nom du processus de recrutement. Peut-on trouver chorégraphe plus différent, un travail plus à l’opposé ? Pour cette première pièce pour le moins monumentale – 1h45, une création dans une église, un grand groupe en scène – Boris Charmatz a d’ailleurs mêlé aux 19 interprètes du Tanztheater Wuppertal neuf danseurs et danseuses avec qui il a l’habitude de travailler. Comme l’envie d’une transition – ou peut-être par appréhension.
Et c’est par un petit miracle que commence la pièce. Créée pour l’église Mariendom à Neviges, elle prend place dès les premiers instants dans l’un des hangars des Usines Fagor, comme si elle y avait été conçue dans ce large plateau brut autour duquel le public a pris place dans un espace quadri-frontal. La tornade des artistes entrant comme un souffle dans cet espace immense prend tout de suite la dimension de l’architecture humaine que veut donner le chorégraphe. Leurs voix résonnent comme sous les voûtes d’une cathédrale, entonnant à l’unisson l’un des mouvements de la Sonate pour piano 32 de Beethoven. Une musique étrange, qui rythme l’énergie des interprètes, d’une beauté à couper le souffle. Leurs corps ne se touchent jamais, mais s’emportent dans cet élan commun, dans cette façon de danser brute et instinctive – on fonce, on se jette au sol, on prend le danger du mouvement, où tout part de l’improvisation mais où tout trouve son sens.
L’on ne s’attendait pas à ce que Boris Charmatz « fasse du Pina », cela n’aurait aucun sens. Mais l’on pouvait se demander comment le chorégraphe allait mener (au sens littéral du terme d’ailleurs, puisqu’il fait partie du groupe d’interprètes) cette troupe si particulière, riche d’un répertoire et d’un état d’esprit unique. C’est tout le challenge, pas si souvent réussi, d’un directeur-chorégraphe qui prend les rênes d’une compagnie à la déjà forte identité : il ne s’agit pas de faire pareil, mais impossible non plus de faire table rase du passé. Et ce petit miracle d’équilibre, donc, semble être arrivé. Les pièces de Pina Bausch sont très écrites, le travail de Boris Charmatz naît de l’improvisation. Mais l’on sentait pourtant dans cette première partie que Liberté Cathédrale mettait au cœur ce qui fait la force de ses interprètes : leur honnêteté profonde en plateau. Une approche toute autre de la danse arrivait à se servir de la qualité première de cette troupe, aussi bien en tant que groupe que pour ses individualités. Et le mélange entre les interprètes du Tanztheater avec ceux de Boris Charmatz se faisait en toute harmonie, chacun et chacune apportant sa pierre à cet édifice humain.
Mais cette architecture, après cette première partie en suspens, se disloque et s’écroule peu à peu, perdant son sens. La deuxième partie est portée par le son des cloches, envahissant l’espace. Les danseurs et danseuses s’appuient sur cette trame musicale lancinante pour entrer dans une sorte de transe. Un travail appuyé, très technique aussi. Mais qui apparaît assez autocentré sur le groupe, très isolé malgré son placement au cœur du public. L’on peut s’attarder sur la danse de chacun et chacune, des personnalités si particulières qui émergent là encore. Mais l’ensemble reste tout de même assez aride, sans vraiment d’aspérité pour s’y accrocher et y plonger à notre tour. La troisième partie se fait elle dans le silence. Un à un, les artistes entrent en plateau, la bouche grande ouverte comme un immense cri atomisé tourné vers le ciel. Ces hurlements silencieux devraient nous glacer le sang. Ils apparaissent presque abscons et sans grand sens. Les choses reprennent une certaine cohérence quand les corps se mettent en mouvement, quand chacun et chacune va donner l’impulsion du geste, suivi par le groupe, dans un grand élan. Puis les voix reprennent doucement, pour un poème ou une chanson gentiment alternative devenue mainstream depuis son utilisation dans plusieurs séries, récemment Sex Education (Fuck The Pain Away de Peaches, la chanson façon Glee Club de la troisième saison, mais si vous l’avez !). La cohérence n’est pas simple à suivre, voire laisse assez perplexe.
La quatrième et dernière partie est celle du toucher. Même si Liberté Cathédrale est une forte pièce de groupe, les artistes ne se touchent pas avant cette quatrième partie. Mais curieusement, malgré cette plus grande proximité physique, l’émulation collective qui avait tant porté le début de la pièce ne reprend pas le dessus. Une longue et écrasante improvisation à l’orgue sature le son et semble comme noyer les corps, les empêchant d’exister pleinement. Alors que cet espace en quadri-frontal permet une certaine proximité, le groupe semble loin, comme déconnecté. Un danseur finit porté par tous les autres, bras en croix. Beaucoup d’emphase et de grandiloquence dans cette ultime scène. Ou pas mal de mégalo. Mon sentiment va plutôt vers la deuxième solution, mais à chacun et chacune de se faire son avis. Reste en tout cas la vive impression que l’on s’est perdu en chemin sous les voûtes de cette cathédrale humaine.
En dehors de toute considération artistique, l’on ne peut pas évoquer Liberté Cathédrale sans évoquer son utilisation du public. Au cours de la première et de la troisième partie, les danseurs et danseuses entrent en relation de façon frontale avec eux. L’un prend une main d’une spectatrice et la met sur son cœur. L’autre enlace un spectateur. Un troisième vient parler droit dans les yeux d’un autre, à quelques centimètres de son visage. Certains sont emmenés sur le plateau. Briser le quatrième mur est un procédé que l’on rencontre en ce moment régulièrement. Je n’en suis pas particulièrement fan, l’existence du quatrième mur me permettant justement de me projeter pleinement dans ce que je vois et ressens. Mais soit, c’est un choix artistique. Il y a cependant une règle tacite : cela ne peut se faire qu’avec l’accord du spectateur ou de la spectatrice. Les artistes repèrent qui soutient le regard, qui sourit et semble prêt à jouer le jeu. Mais dans Liberté cathédrale, le consentement du public semble être absolument hors de propos. Il ne s’agit pas de rencontres entre un-e interprète et une personne du public. Mais un-e interprète qui choisit vers qui il va aller, et va lui prendre la main, ou l’enlacer, ou l’emmener sur le plateau. Même si cette personne avait une attitude qui clairement indiquait qu’elle n’en avait aucune envie : ma voisine de devant, par exemple, bras croisés et regard fuyant.
Cette attitude m’a immédiatement mise mal à l’aise. Je me suis surprise à adopter toutes les postures d’évitement que j’utilise si souvent dans la rue, alors qu’une salle de spectacles est normalement pour moi un lieu de sûreté. Un-e chorégraphe peut provoquer ce qu’il souhaite à la salle. L’on peut aussi avoir le droit de ne pas supporter certaines choses, de ne pas avoir envie de les vivre, et de partir. Mais dans ce contexte, et notamment en quadri-frontal où tout se voit, le public est dans une position où il ne peut pas refuser l’interprète venant à lui, où il ne peut pas le repousser. Faut-il être un créateur au grand égo pour penser que l’ensemble des personnes de la salle vont adhérer à sa proposition. Faut-il être un homme tout simplement pour que le consentement soit une non-question et qu’un non (bras croisés et regards fuyant), cela peut être un oui. J’ai pourtant le sentiment tenace qu’il n’y avait rien de naïf dans cette attitude. Et qu’au contraire, le chorégraphe voulait se servir du malaise du public pour accentuer l’ambiance gluante et écrasante de la pièce. Ce qui ne rend cette attitude que plus problématique, et pour moi une ligne rouge qu’il est hautement questionnable de dépasser.
Aux Usines Fagor où se déroulait ce spectacle, les espaces publics étaient couverts d’appel au consentement dans les milieux festifs. C’est une bonne chose. Il serait bien cependant que cela se passe aussi sur le plateau.
Liberté Cathédrale de Boris Charmatz par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, dans le cadre de la Biennale de la Danse. Avec Emma Barrowman, Dean Biosca, Naomi Brito, Emily Castelli, Maria Giovanna Delle Donne, Taylor Drury, Çağdaş Ermiş, Letizia Galloni, Milan Nowoitnick Kampfer, Simon Le Borgne, Reginald Lefebvre, Alexander López Guerra, Nicholas Losada, Julian Stierle, Michael Strecker, Christopher Tandy, Tsai-Wei Tien, Aida Vainieri et Frank Willens (artistes du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch) et les artistes invité-e-s Régis Badel, Ashley Chen, Julien Ferranti, Julien Gallée-Ferré, Tatiana Julien, Johanna Elisa Lemke et Solène Wachter. Samedi 23 septembre 2023 aux Usines Fagor. À voir en tournée à l’Opéra de Lille du 14 au 19 décembre, au Théâtre du Châtelet de Paris du 7 au 18 avril 2024.
La Biennale de la Danse de Lyon continue jusqu’au 30 septembre.
Agell
On sort de ce spectacle totalmente déçu,voir en colère:
ésotérique, monotone, de très mauvais goût, incohérent,ridicule qui se veut intellectuel et réservé au bobo parisien.
Le pire spectacle des 20 dernières années . Quel gâchis !!!!