Programme Jerome Robbins par le Ballet de l’Opéra de Paris – En Sol / In the Night / The Concert
Le programme dédié à Jerome Robbins par le Ballet de l’Opéra de Paris réunit au Palais Garnier En Sol (1975),In the Night (1970) et The Concert (1956). Soit trois pièces montrant trois facettes du chorégraphe américain qui, depuis 1974, a ancré son répertoire dans la compagnie parisienne qu’il affectionnait. Une pluie d’Étoiles est sur les rangs pour ces reprises : 15 sont ainsi sollicitées pour cette série, et neuf en une seule soirée. La nouvelle génération y démontre son aisance dans le style de Jerome Robbins et prend à l’évidence plaisir à interpréter ces pièces qui font partie désormais du patrimoine du Ballet de l’Opéra de Paris.
C’est en 1974 que Jerome Robbins fait ses débuts à l’Opéra de Paris, qu’il appellera affectueusement sa seconde maison. Il n’était nullement un inconnu mais déjà un chorégraphe célébré dans le monde entier, illuminé par le succès planétaire de West Side Story (repris en ce moment même au Théâtre du Châtelet) et attaché au New York City Ballet à la demande de son fondateur George Balanchine. Minutieux jusqu’à l’obsession, Jerome Robbins avait bien du mal à déléguer et exigeait de longues heures de répétition qu’il dirigeait personnellement. Sans doute, ce travail sur de longues années a inscrit son répertoire dans une partie de l’ADN de la compagnie parisienne. Et la jeune génération paraît ainsi tout à fait à l’aise dans ce style académique américain qui n’est pas à priori dans les gènes de la troupe.
En Sol, qui ouvre la soirée, illustre à merveille le talent de Jerome Robbins pour construire des ballets semi-narratifs. Pas d’histoire, pas de synopsis, et pourtant l’on voit bien sur scène le récit qui se développe. Une toile, dessinée par la figure mythique d’Erté, compose sur fond bleu une atmosphère balnéaire. Des costumes de la même eau façon rayures marines. Et un couple en blanc qui, comme par miracle, se rencontre par hasard sur ce qui ne peut être qu’une plage. À vous d’imaginer ce qui va se raconter sur le génial Concerto en sol de Maurice Ravel qui donne le nom à la pièce !
On se réjouissait trop vite du retour dans la fosse de l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Mais la jeune cheffe Maria Seletskaja ne parvient jamais à dépasser une interprétation scolaire, sans brio et gommant presque les accents jazzy de l’une des plus grandes partitions du répertoire du XXe siècle. Et il faut toute la fougue des danseuses et des danseurs pour dépasser ce manque d’entrain et cette apathie. Les six couples qui font leur entrée au premier mouvement n’en manquent d’ailleurs pas : précision des sauts, vitesse, placements irréprochables, c’est un sans faute. Léonore Baulac et Germain Louvet endossaient ce soir-là les habits du couple en blanc. Avec panache. L’une et l’autre sont à l’aise dans ce répertoire néo-classique américain et délivrent une danse propre, sans bavure. Peut-être aurait-on aimé un peu plus d’authenticité dans le long pas de deux du second mouvement, une danse un peu moins formelle. Il y manquait une sensualité qu’ils pourront bâtir à mesure des représentations.
In The Night sur les Nocturnes de Frédéric Chopin, magnifiquement interprétés par Ryoko Hisayama, est construit dans le même esprit : chacune et chacun d’entre nous pourra se façonner sa propre histoire à travers celle décrite par trois couples à différents moments de leur vie amoureuse. Myriam Ould-Braham et Paul Marque disposent de la juvénilité idoine pour danser la délicatesse de la rencontre et du coup de foudre, des plaisirs du début. Sans aucune difficulté, les deux Étoiles se fondent dans le style de Jerome Robbins qui écrit un duo d’une finesse exquise, scandé par une série de petits pas marqués sur les notes de Chopin. Valentine Colasante et Marc Moreau incarnent le couple au sommet de la passion à ce moment où tout peut basculer. C’est le pas de deux le plus complexe à interpréter, non pas qu’il soit techniquement difficile mais il exige une gamme de nuances que l’on ne perçoit pas toujours malgré l’excellence de leur danse. Et c’est assurément Dorothée Gilbert et Hugo Marchand qui remportent la mise. Ils donnent instantanément toute la crédibilité requise pour dépeindre ce couple qui se déchire. C’est l’un des partenariats les plus aboutis aujourd’hui, et ils brûlent la scène dans ce court duo. In the Night se referme par un sextuor réunissant les trois couples, ce moment de trouble où l’on se voit à travers l’autre et où tout risque de se fendre. Les six Étoiles réunies nous bouleversent dans cet unisson menacé.
Il y avait le choix pour refermer cette soirée. On aurait volontiers revu le chef-d’œuvre de Jerome Robbins Glass Pieces qui convoque aussi le corps de ballet, mais on ne boudera pas le plaisir de The Concert, délicieuse pochade qui moque us et coutumes des concerts classiques mais aussi du ballet académique. L’argument est connu : Jerome Robbins s’amuse et nous amuse en grossissant le trait jusqu’à la caricature. Pièce de groupe sans grandes difficultés techniques, elle exige en revanche une forte implication dramatique et un réel sens de l’humour.
La distribution du soir est épatante. Hannah O’Neill joue à merveille le contre-emploi en ballerine capricieuse. Inès McIntosh et Bianca Scudamore campent deux chipies irrésistibles. Laurène Levy et Audric Bezard forment un couple infernal drôlissime. Quant à Antoine Kirscher, il est plus vrai que nature en jeune homme timide. Enfin Vessela Pelovska est irrésistible dans le rôle de la pianiste maniaque et acariâtre, et délivre au passage une très belle interprétation du pot-pourri de Chopin qui fait la trame musicale du ballet. The Concert ou les malheurs de chacun est une pièce « feel good« qui emprunte au burlesque des Marx Brothers. La compagnie prend un plaisir palpable à le danser et à faire partager au public ces 30 minutes de rires. Il y a si peu d’occasions aujourd’hui que l’on ne saurait refuser !
Programme Jerome Robbins par le Ballet de l’Opéra de Paris. En sol de Jerome Robbins avec Léonore Baulac et Germain Louvet ; In the Night de Jerome Robbins avec Myriam Ould-Braham, Paul Marque, Valentine Colasante, Marc Moreau, Dorothée Gilbert et Hugo Marchand ; The Concert de Jerome Robbins avec Hannah O’Neill (la Ballerine), Laurène Levy (la femme), Audric Bezard (le mari), Bianca Scudamore et Inès McIntosh (deux Demoiselles) et Antoine Kirscher (le jeune home timide). Mercredi 25 octobre 2023 au Palais Garnier. À voir jusqu’au 10 novembre.