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Révolte ou tentative de l’échec de Johanne Humblet – Les filles du renard pâle

Avec sa troupe Les filles du renard pâle, Johanne Humblet clôt avec Révolte ou tentative de l’échec un triptyque entamé il y a quatre ans. Et qui ne se termine pas vraiment comme il avait commencé. L’une des circassiennes les plus inventives du moment a quitté l’ambiance pétillante du premier volet pour un épisode bien plus sombre sur la révolte, presque toujours vouée à l’échec. Si le cheminement du spectacle se perd un peu parfois en de trop multiples conjectures, il garde une puissance salvatrice et une écriture intuitive et intensive unique, aussi bien dans la virtuosité du jeu d’équilibre que dans la scénographie impressionnante et cinématographique.

 

Révolte ou tentative de l’échec de Johanne Humblet – Les filles du renard pâle

 

Lorsque j’ai découvert Johanne Humblet et sa troupe Les filles du renard pâle, nous étions en plein air, lors d’une douce après-midi de fin octobre, au festival Circa il y a quelques années. La troupe présentait Résiste, premier épisode d’un triptyque au long cours. Autour d’un fil de funambule, l’ambiance y était féministe pop acidulée, entre sororité bienveillante, humour, paillettes et virtuosité (et France Gall évidemment). Johanne Humblet est une funambule hors pair, aussi bien dans la technique que dans l’écriture, cherchant toujours à mettre en scène de façon différente son art de fil-de-fériste. Un bel exemple d’ailleurs avec Respire, deuxième épisode du triptyque. Une Grande traversée vue juste après le Confinement, qui prenait soin de glisser une véritable dramaturgie pour se démarquer de cet exercice de vertige qui fleurit un peu partout aujourd’hui. Entre le Théâtre National Populaire et la Mairie de Villeurbanne, sous un ciel de nuages annonçant la pluie, Johanne Humblet apparaissait comme une sorte de sorcière jouant avec les éléments.

Le troisième épisode Révolte, agrémenté d’un « ou tentative de l’échec«  dans son titre, a vu le jour à l’automne 2023. Il y a toujours sur scène ce long fil de funambule qui barre le plateau, omniprésent. Il y a aussi toujours cette musique, ici plus rock, qui prend une place importante, une écriture acérée ou une scénographie impressionnante. Mais les paillettes et le jeu sont partis. Sur scène, trois femmes sont coincées : l’une dans une roue tel un hamster tournant en boucle, l’autre sur son fil, la troisième dans un filet. L’enjeu est ici de s’échapper, de se libérer, mais il n’est pas sûr qu’elles y réussissent. La Révolte peut s’accompagner d’un grand sentiment d’exaltation, d’une forme de joie salvatrice. Et au vu des premiers épisodes, je m’attendais un peu à ça. Mais cette Révolte est sombre, dure et pas vraiment optimiste. Ce qui compte pour la créatrice, c’est la tentative. La révolte est là : de toujours recommencer même quand l’espoir est mince. L’important n’est pas forcément de réussir, mais d’être rester le point levé malgré l’échec.

 

Révolte ou tentative de l’échec de Johanne Humblet – Les filles du renard pâle

 

Un peu, peut-être, à l’image de notre époque, il y a un peu l’impression de retrouver les filles de Résiste ayant perdu leur naïveté – l’on se demande d’ailleurs si le spectacle ne s’apprécie pas bien plus lorsque l’on a vu les épisodes précédents. Les paillettes sont parties, remplacées par des tenues sombres. La sororité aussi. Si les trois femmes en plateau font équipe, elles deviennent parfois rivales, comme à la fin de ce superbe duo sur le fil : seule l’une pourra s’échapper, au détriment de l’autre. La recherche sur l’écriture s’est par contre amplifiée, ciselée, cherchant en permanence à sortir du cadre. Le balancier devient ainsi agrès, ami ou ennemi. Le fil ou le filet changent de forme, devenant cage, corde de secours ou piège. Johanne Humblet joue avec les éléments, notamment l’eau dans une scène de combat magnifique. Même si c’est par ce biais qu’elle se perd un peu. L’on sent la circassienne riche de nombreuses références, voulant parfois un peu trop toutes les citer. L’ambiance Matrix ou combat de Dragon Ball, très efficace au demeurant et pas loin du second degré, tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Comme si différentes ambiances se chevauchaient sans vraiment de lien pour les unir. Et si la bande-son de Résiste était toujours en harmonie, la musique rock de Révolte se dilue parfois un peu trop dans la mise en scène.

Révolte ou tentative de l’échec laisse ainsi un peu un sentiment d’ambivalence dans son chemin narratif. Quelle force pourtant en scène, quelle inventivité dans la façon de mettre les corps en apesanteur, les faisant combattre comme s’entraider, de faire du fil un personnage à part entière. Johanne Humblet possède un souffle rare dans son écriture. Et Les filles du renard pâle ont en elles une rage comme un humour exutoire, même si le spectacle reste sombre jusqu’à sa dernière note. Révolte ne sonne pas comme un point final, plutôt comme la suite d’un travail de recherche dont on a déjà très envie de voir jusqu’où il peut mener.

 

Révolte ou tentative de l’échec de Johanne Humblet – Les filles du renard pâle

 

Révolte ou tentative de l’échec de Johanne Humblet par Les filles du renard pâle. Avec Johanne Humblet (funambule), Violaine Garros (danseuse aérienne), Marica Marinoni et Noa Aubry (acrobate roue giratoire), Annelies Jonkers et Fanny Aquaron (musiciennes). Mercredi 11 octobre 2023 à la Scène nationale Bonlieu d’Annecy. À voir les 24 et 24 novembre à la Scène Nationale d’Orléans, du 6 au 8 décembre au Train Théâtre, Portes-lès-Valence, du 14 au 16 décembre au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, en tournée en 2024.

 



 

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