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Rencontre avec Alexandre Cagnat, danseur français Soliste au Ballet de Berlin

Il est l’un des solistes les plus en vue du Ballet de BerlinFormé à l’école Rosella Hightower puis à celle de l’Opéra de Paris, le danseur français Alexandre Cagnat a fait un détour par le San Francisco Ballet avant de rejoindre en 2020 le Staatsballett de Berlin, où il mène une carrière météorique. Un an après son arrivée, il danse ainsi les grands rôles du répertoire avec pour partenaire, entre autres, la star Polina Semionova. Pour démarrer cette saison 2023-2024, il a interprété le rôle de Léon dans le ballet Bovary, première création du nouveau directeur de la compagnie Christian Spuck, avant La Belle au bois dormant en décembre. DALP a rencontré à Berlin Alexandre Cagnat, pour parler de ses années parisiennes, américaines et maintenant berlinoises, son travail avec les Étoiles emblématiques de sa troupe et ses envies de danseur. 

 

Alexandre Cagnat

 

C’est une question que nous posons souvent aux danseuses et aux danseurs à DALP. Comment la danse est-elle entrée dans votre vie ?

Ma mère m’a inscrit à un atelier chorégraphique. J’aimais beaucoup le théâtre et la danse, elle m’a finalement trouvé des cours de théâtre et de danse jazz. Il y avait aussi des cours de danse classique. Cela me faisait un créneau encore plus long mais j’y ai adhéré. Je suis ensuite entré à l’école Rosella Hightower à Cannes. Une école réputée, c’était une chance d’y aller. J’ai arrêté le jazz pour me concentrer sur le classique. J’avais des cours deux fois par semaine. 

 

Et vous avez été immédiatement accroché par la danse ?

J’étais accroché à l’expression. Enfant, j’avais un côté exhibitionniste, j’aimais les spectacles, j’aimais rigoler fort et j’étais très attiré par le théâtre et l’expression théâtrale.

 

Mais la danse classique, avant de pouvoir s‘exprimer sur scène, il y a un long travail et une discipline très stricte. Vous y étiez préparé ?

Mon père est quelqu’un de très rigoureux donc je me suis plié à ce travail. Je ne peux pas dire qu’il était contre le fait que je fasse de la danse parce que j’étais un garçon, pas du tout. Mais pour lui, si je m’y mettais, il fallait que ce soit au meilleur niveau, que cela ne soit pas seulement une activité de plus.

Enfant, j’avais un côté exhibitionniste, j’aimais les spectacles, j’aimais rigoler fort et j’étais très attiré par le théâtre et l’expression théâtrale.

Comment se sont passées les étapes suivantes et l’entrée à l’École de Danse du Ballet de l’Opéra de Paris ?

Monique Loudières était à ce moment-là la directrice de l’école de danse de Cannes. Je crois que l’on se passionne aussi pour des choses grâce aux gens que l’on rencontre et elle a été l’une des plus grandes rencontres de ma vie. Monique Loudières est quelqu’un de tellement expressif, tellement passionné ! Ses valeurs humaines et sa générosité font partie de son art, cela se voit. Et m’ont motivé pour entrer en section sport/études. J’ai été pris au petit stage de six mois de l’École de Danse de l’Opéra de Paris, mais cela a été un choc. À Cannes, le cadre de l’école est paradisiaque et c’était tout près de chez moi. Nanterre, c’est assez dépaysant. C’était en plus une phase familiale difficile avec le divorce de mes parents. C’est aussi un tout autre univers, avec une rigueur incroyable. On ne vous regarde plus comme un enfant dans cette école, on est déjà considéré comme des professionnels et l’objectif est d’entrer dans la compagnie .On vous le fait bien comprendre : vous n’êtes pas ici pour devenir danseur mais pour intégrer le Ballet de l’Opéra de Paris, vous êtes un produit de l’école. Je n’ai pas vraiment supporté et je suis parti avant la fin du stage.

 

Ce fut difficile pour vous ces années-là ?

Ce premier stage qui a été écourté a été très dur. Je suis rentré dans le sud et je pense que je ne voulais plus devenir danseur. Malgré tout, j’ai eu la chance de retourner à Nanterre passer une audition et j’ai été sélectionné cette fois-ci pour le grand stage d’un an, en 2010. Là, ma mère est venue avec moi. J’ai aussi compris que, si je voulais y arriver, devenir danseur, il fallait que je sois dans cette école. J’avais 13 ans. Élisabeth Platel m’a repris et j’ai intégré la classe de Wilfried Romoli. J’y ai compris la dureté de la chose mais je m’y suis vraiment mis. J’avais aussi des cours particuliers le week-end. Cela ne fait pas partie du cursus mais presque tout le monde en prend. C’était quand même très dur mais sans vraiment m’en rendre compte. Cela pouvait être difficile avec certains professeurs mais je crois que les choses changent aujourd’hui. Élisabeth Platel a toujours été très humaine, mais d’autres ne nous voyaient pas vraiment comme des enfants. Au bout du compte, ce furent néanmoins de très belles années. C’est aussi un enseignement gratuit et je me suis rendu compte de la chance de cela quand je suis allé à San Francisco. 

 

Alexandre Cagnat et Weronika Frodyma – Bovary de Christian Spuck – Ballet de Berlin

 

À la fin de votre formation, vous n’avez pas intégré le Ballet. Ce fut difficile ?

Je me suis blessé en première division. Ne pas être pris dans la compagnie est dévastateur pour tout le monde, d’autant que c’est le but unique de la formation. L’École ne vous prépare pas à passer des auditions ailleurs et pour celles et ceux qui n’y parviennent pas, c’est un peu « bye bye, bonne chance ». Mais aujourd’hui à Berlin, avec le style que j’ai appris, je représente l’École de Danse de l’Opéra de Paris. Et je reste très admiratif de mes collègues et amis qui sont aujourd’hui dans la compagnie : Paul Marque, Andréa Sarri, Marion Gautier de Charnacé, Julien Guillemard, Clémence Gross… C’est un plaisir de les voir sur scène.

 

Comment se sont passées les années suivantes ?

J’ai enchaîné blessure sur blessure pendant presque deux ans et j’en venais à me demander si la danse était vraiment la solution. Je voulais faire la FEMIS, la célèbre école de cinéma parisienne mais on ne fait pas la FEMIS comme ça. Je me suis dit que je voulais entrer dans une école d’art. Finalement, Monique Loudières m’a conseillé d’aller à San Francisco dans le « trainee program » du SFB. C’était une année durant laquelle on continuait sa formation, tout en ayant des petits spectacles et en participant à des productions du San Francisco Ballet.

 

Qu’est-ce qui change dans cette approche américaine de la formation des danseurs ?

L’individualité ! On mettait en avant notre potentiel. Il ne fallait pas essayer d’être comme les autres, il fallait essayer d’être soi et le meilleur de soi, mettre en avant ses qualités. Je suis aussi admiratif du formatage de l’Opéra de Paris, j’ai  la chance d’avoir acquis cela, mais ces nouveaux éléments ont été très positifs pour moi. Patrick Armand, qui dirigeait alors l’école du San Francisco Ballet, est un professeur vraiment génial qui coache beaucoup de gens. Il voit la personne, le danseur qui est devant lui et pas ce qu’il aurait envie de voir. J’ai aussi beaucoup travaillé avec Sofiane Sylve qui dansait dans la compagnie, elle prenait des cours avec nous mais aussi nous donnait des cours. Elle m’a énormément apporté. Puis j’ai rejoint le San Francisco Ballet en 2016 tout en continuant à travailler avec Sofiane Sylve.

 

Que gardez-vous de ces années californiennes ?

C’est très différent. San Francisco c’est super beau….et super cher ! L’art n’est pas tellement présent et ça m’a beaucoup manqué. La culture est essentiellement du divertissement, ce n’est pas comme en Europe. Mais dans la compagnie, nous dansions des œuvres superbes et je suis tout de suite monté sur scène.

 

Et à ce moment-là, vous aviez définitivement fait le deuil de l’Opéra de Paris ?

Oui… et non ! Tous les ans avant les auditions, je me disais que ce serait idiot de ne pas le faire mais cela tombait toujours au moment de la rentrée du San Francisco Ballet. Si cela avait été en août, je crois que me serais présenté aux auditions. J’avais une admiration et j’aurais vraiment aimé rentrer à l’Opéra de Paris. 

 

Alexandre Cagnat – Petrouchka de Marco Goecke

 

Et cela reste une déception aujourd’hui ?

Pas du tout ! J’ai eu des rôles à San Francisco que je n’imaginais pas. Joyaux de George Balanchine, des oeuvres de Jerome Robbins, Études d’Harald Lander. Il aurait fallu que j’attende très longtemps à Paris pour y être distribué. Parce que le SFB est aussi une plus petite compagnie, il y a de nombreuses opportunités. À l’automne 2019, nous sommes partis en tournée avec Roméo et Juliette en Europe, j’en ai profité pour auditionner. Mon objectif était Copenhague parce que je connaissais cette compagnie. Finalement, j’ai été retenu à Berlin. Je me suis posé la question. Je ne connaissais pas la troupe, ce n’était pas encore la folie des réseaux sociaux où l’on peut tout voir instantanément. Je savais que Polina Semionova dansait ici, Iana Salenko aussi, Alejandro Virelles, Marian Walter… Mais je ne connaissais pas la compagnie pour son corps de ballet et son répertoire. Et puis elle changeait tellement souvent de direction que l’on ne savait pas bien ce qui s’y passait. Mais j’ai vu ces grands danseurs et danseuses, je suis arrivé dans le studio et je me suis dit que c’était précieux de les avoir près de soi. J’ai signé le contrat en janvier 2020… et le Covid est arrivé ! On a fait quelques petits galas. Mais dès la saison suivante, j’ai eu beaucoup de rôles. 

Avec Polina Semionova, c’est à chaque fois différent en scène

Cette année-là, votre carrière à Berlin s’accélère. Vous êtes propulsé dans des premiers rôles avec comme partenaires les stars de la maison, Polina Semionova et Iana Salenko. Comment avez-vous réagi ?

Je n’ai pas compris ce qui se passait ! Il y eut tout d’abord Lenski. Reid Anderson (NDLR : directeur du Ballet de Stuttgart qui gère les droits des ballets de John Cranko et les distributions) est venu et m’a choisi pour le rôle de Lenski dans Onéguine. C’était un rôle dont je rêvais depuis longtemps. Cette même saison, j’ai dansé des oeuvres de William Forsythe et Diamants de George Balanchine.

 

Et comment avez-vous vécu cette période d’ascension fulgurante ?

J’ai été chanceux d’avoir quelqu’un qui vous regarde d’une autre manière, d’avoir ces ballets-là à ce moment-là, de danser avec Polina Semionova ou Iana Salenko. J’ai énormément appris d’aller sur scène avec ces ballerines exceptionnelles. C’est évidemment énormément stressant d’avoir une telle responsabilité, je n’avais quasiment jamais fait de pas de deux sur scène. J’ai commencé avec ce duo de Diamants qui est très dur, avec Polina Semionova. Elle fut très attentive et c’était génial. Elle est tellement généreuse. Elle et Iana Salenko sont très différentes dans leur façon de danser mais toutes les deux nous mettent en sécurité, elles sont très rassurantes. Je danse maintenant plus régulièrement avec Polina Semionova et c’est à chaque fois différent, c’est toujours vivant. Le moment où elle dépose sa main sur vous, on ressent quelque chose, elle donne tout à chaque fois. C’est impressionnant de la voir en répétition, mais sur scène, elle tente des choses nouvelles artistiquement et techniquement. Ce n’est jamais rébarbatif mais toujours inspirant d’être en plateau avec elle. Nous avons ensuite dansé La Belle au Bois dormant dans la production de Marcia Haydée. C’était génial. Dans ma tête j’étais encore un étudiant mais Marcia nous laissait plein de possibilités artistiques. J’ai adoré cela, de construire un personnage sur la musique, de le chercher.

 

Alexandre Cagnat – Désiré dans La Belle au Bois dormant de Marcia Haydée – Ballet de Berlin

 

Vous n’avez donc plus aucun regret de ne pas être l’Opéra de Paris ?

Dès que je suis arrivé ici à Berlin, j’ai réalisé que l’Opéra de Paris était un rêve que l’on avait mis en moi et j’étais très attiré par le répertoire parisien. Mais j’ai découvert ici un autre répertoire, passionnant, avec aussi des chorégraphes contemporains, notamment Sharon Eyal dont je suis fan. Il y a aussi le plaisir de découvrir la vie artistique berlinoise qui est beaucoup plus avant-gardiste que Paris.

 

Quelles sont vos envies pour l’avenir ?

Faire partir d’une création parce que c’est toujours très excitant. Danser du Sharon Eyal. Danser de nouveau Albrecht et Désiré. Et puis un jour danser Siegfried, évidemment.

 

Vous êtes heureux à Berlin ?

Oui …mais ça manque un peu de soleil !

 

Alexandre Cagnat sera le Prince Désiré aux côtés de Polina Semionova dans la Belle au Bois dormant de Marcia Haydée les 17 et 25 décembre 2023 à Berlin.

 




 

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