A Funny Thing Happened on the Way to the Forum de Stephen Sondheim – Lido2Paris
Le Lido2Paris rouvre ses portes en grande pompe en présentant, pour la première fois en France, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum. Un comédie musicale en forme de vaudeville déjanté qui plonge le public dans la Rome antique, sur une partition signée Stephen Sondheim. Un classique du genre bien mis en valeur par une très belle production et un joli travail musical, même si le livret commence à sérieusement dater.
Véritable institution sur les Champs-Élysées, le Lido entame doucement sa nouvelle vie. Quand Jean-Luc Choplin prend la tête de l’établissement en 2022, ce dernier s’est promis d’y présenter « Le meilleur du théâtre musical international« , à l’image de son travail au Théâtre du Châtelet puis au Théâtre Marigny. Avant d’attaquer quelques travaux de rénovation, il prend le temps d’inviter le grand Robert Carsen pour revisiter avec succès la saison dernière Cabaret, œuvre culte du répertoire, annonçant ainsi la couleur de sa ligne artistique. Un an plus tard, c’est donc un Lido tout beau tout neuf que l’on retrouve cet hiver. Le créateur de mode Alexis Mabille et l’architecte Philippe Pumain ont été appelés pour offrir une nouvelle jeunesse au célèbre cabaret. Pas de changement radical, la configuration de la salle reste la même et les fameux luminaires en cristaux sont toujours là, mais un nouvel habillage doré du plus bel effet qui en met plein les yeux dès l’entrée en salle.
Pour inaugurer ce nouvel écrin, Jean-Luc Choplin a décidé de monter une œuvre d’un compositeur et parolier qui lui est cher : Stephen Sondheim. Considéré comme le maître incontesté de la comédie musicale, le compositeur doit au directeur du Lido une grande partie de sa notoriété en France. Ce dernier a en effet programmé pas moins de cinq de ses titres au Théâtre du Châtelet, montrant que ce génie créatif ne pouvait pas être limité aux paroles de West Side Story. Au Lido2Paris, place à A Funny Thing Happened on the Way to the Forum. Créée en 1962, cette œuvre a son importance dans l’histoire du genre car elle marque les débuts de Stephen Sondheim comme compositeur, en plus de parolier, à Broadway. La pièce remporte à l’époque un vif succès, mais surtout grâce à son livret qui suscite l’hilarité générale et la prestation de Zero Mostel (qui connaîtra un succès encore plus grand deux ans plus tard avec Un violon sur le toit) dans le rôle de Pseudolus. La partition quant à elle est largement ignorée, voire critiquée.
Mais en 2023, soixante ans après sa création, cette appréciation se trouve inversée. Le livret, écrit par Burt Shevelove et Larry Gelbart, est une adaptation de plusieurs farces de Plaute, grand dramaturge de la Rome antique qui a influencé par la suite Shakespeare et Molière. Tous les ingrédients présents dans les comédies de ces grands auteurs sont déjà là : l’esclave rusé (Pseudolus), prêt à tout pour s’affranchir de sa condition, vient en aide au fils de son maître (Hero) pour conquérir sa belle promise (Philia), courtisée également par de vieux libidineux, dont le maître de l’esclave (Senex). En préambule de cette production parisienne, Pseudolus, incarné par Rufus Hound, prévient les spectateurs et spectatrices qu’il s’agit d’une pièce d’une autre époque et qu’il faut donc mettre sa sensibilité contemporaine de côté. Plus facile à dire qu’à faire. Malgré cette mise en garde, il est difficile d’ignorer l’éléphant dans la pièce : le livret a mal vieilli. Ce qui faisait rire autrefois n’esquisse à peine plus qu’un sourire aujourd’hui et devient même, parfois, franchement problématique. Malgré cette invitation à fermer les yeux, certains passages restent tout de même bien gênants. C’est ainsi le cas du défilé des courtisanes (malgré l’impressionnant numéro de contorsion de Senayt) comme de la chanson sur les joies d’avoir une jolie soubrette à domicile. Ces scènes auraient mérité une petite réécriture, surtout que Stephen Sondheim était le premier à mettre à jour ses spectacles.
Les choses s’arrangent au deuxième acte où le ton bascule dans le vaudeville assumé. L’humour, très en dessous de la ceinture, fait place à un comique de situation bien réglé. Et il devient difficile de savoir où donner de la tête face à ces courses poursuites effrénées, où les portes claquent avec une précision millimétrique. Il est regrettable cependant que la direction des comédiens et comédiennes tombe facilement dans la caricature, manquant ainsi de sincérité, notamment dans les scènes romantiques. C’est une farce, certes, mais il faut quand même croire à cette histoire. La musique, quant à elle, reste intemporelle. Dès l’ouverture, interprétée par une quinzaine de musiciens sous la baguette de Gareth Valentine, la richesse mélodique de cette œuvre se révèle. Si la partition de A Funny Thing Happened on the Way to the Forum est moins réputée que celles d’œuvres plus emblématiques de Stephen Sondheim, elle n’en regorge pas moins de petites pépites. À commencer par l’air introductif Comedy Tonight, réglé lors de la création par un certain Jerome Robbins, qui donne le ton de la soirée. Chaque chanson est une petite pièce de théâtre à elle seule qui laisse déjà présager le génie musical et littéraire de celui qui deviendra le maître de la comédie musicale américaine. Cependant, une telle subtilité dans les moments chantés tranche avec la trivialité des scènes parlées, créant un contraste de ton pas toujours évident à mettre en scène.
À cette tâche, Cal McCrystal s’en sort honorablement avec une direction scénique très efficace, à défaut d’être vraiment novatrice, mais qui laisse l’œuvre exister. C’est un très joli spectacle qu’il propose avec une scénographie bien pensée, composée de trois grandes maisons tournantes et des colonnes ioniques lumineuses qui s’intègrent bien dans le nouveau cadre du Lido. Une surprise de taille se cache au milieu du deuxième acte, qui n’est pas sans rappeler les grandes heures des revues avec les Bluebell Girls. Est-ce que cela sert la narration ? Non. Mais est-ce que cette débauche visuelle fait plaisir ? Évidemment ! La distribution n’est pas en reste. Elle est menée par Rufus Hound dans le rôle de Pseudolus, qui a la lourde tâche de succéder à des bêtes de scène telles que Zero Mostel, Nathan Lane ou encore Whoopi Goldberg (oui, oui). Une tâche décuplée, quand on sait qu’il a remplacé à la débotté Richard Kind, la tête d’affiche, qui a dû quitter la production deux semaines avant la première. Le comédien s’en sort avec les honneurs dans ce rôle écrasant qui n’est pas forcément son emploi naturel. Certes, il lui manque une certaine décontraction dans ses interactions avec le public. Mais il compense avec un timing comique impeccable et construit un personnage terriblement attachant.
Rufus Hound étant prévu à la base pour le rôle d’Hysterium, celui-ci est tenu par Andrew Pepper, qui est une véritable révélation. Il ne fait qu’une bouchée de ce personnage qui lui va comme un gant. Son solo I’m Calm est l’un des temps forts du premier acte et sa physicalité fait des merveilles dans la course-poursuite finale. L’ensemble du plateau est globalement de très haute tenue, notamment d’un point de vue vocal. John Owen-Jones, qui fait son grand retour à Paris après avoir été un Jean Valjean remarquable au Théâtre du Châtelet, s’en donne à cœur joie dans son air de bravoure, terrain de jeu idéal pour sa technique sans faille. Il en va de même pour Valérie Gabail, où la chaleur de son timbre apporte du relief à son personnage de fausse tragédienne.
Malgré quelques réserves, c’est ainsi un très beau spectacle qui est présenté ici et une occasion de découvrir une œuvre importante du répertoire montée avec soin. Les amateurs et amatrices de comédies musicales ne bouderont pas leur plaisir de voir un Stephen Sondheim à Paris et fredonneront Comedy Tonight en descendant gaiement les Champs-Élysées.
A Funny Thing Happened on the Way to the Forum de Burt Shevelove et Larry Gelbart (livret), Stephen Sondheim (paroles et musique), mise en scène de Cal McCrystal, chorégraphie de Carrie-Anne Ingrouille. Avec Rufus Hound (Pseudolus), Andrew Pepper (Hysterium), Patrick Ryecart (Senex), David Rintoul (Erronius), Martyn Ellis (Marcus Lycus), John Owen-Jones (Miles Gloriosus) Valérie Gabail (Domina), Josh St Clair (Hero), Neima Naouri (Philia) et Dan March, David Benson, Joseph Claus, Joseph McDonnell, Polina Kapona, Natasha Leaver, Autumn Draper, Harriet Watson, Jessica Sutton, Senayt, Michael Afemaré, Peter Houston et Shakeel Kimotho. Dimanche 3 décembre 2023 au Lido2Paris. À voir jusqu’au 4 février 2024.
daniel christian
belle prestation de tous qui nous entraine dans un monde de fous qui colle assez bien avec celui que nous vivons tous sur cette terre actuellement.
la prestation exclusivement en anglais malgré des sous titres obligeant de tourner en permanence la tête , atténue sensiblement la compréhension du spectacle
Prestation très professionnelle
Très belle salle avec un personnel des plus sympatiques
je souhaite un franc succès à cette comédie musicale, analysant le travail énorme accompli