L’Envol – Nacera Belaza
Créée en 2022, L’Envol de Nacera Belaza, pièce pour quatre interprètes, continue de sillonner les scènes françaises et du monde. Une oeuvre à l’atmosphère envoûtante avec laquelle la chorégraphe s’inscrit dans la continuité de ses précédentes créations, creusant un sillon exigeant, dépourvu de tout artifice. Plus qu’à un spectacle, Nacera Belaza nous convie à un moment esthétique et sensible, qui se vit presque comme une expérience méditative.
Le noir est une antichambre au spectacle. Une façon de se préparer à accueillir ce qui va être présenté sur scène. Mais quand il se prolonge, comme dans L’Envol de Nacera Belaza il peut vite dérouter. Il faut s’habituer à l’obscurité. L’apprivoiser, bousculer nos habitudes, éprouver ses propres limites. Sommes-nous prêts pour cela ?
Une silhouette surgit dans l’obscurité. Imperceptible, on devine qu’elle se meut lentement. Elle se dévoile au gré de flashs lumineux, puis replonge dans l’épaisseur du noir. Difficile de percevoir la trajectoire du mouvement, d’en délimiter les contours. La silhouette est-elle encore là ? A-t-elle disparu ? Est-elle rejointe par d’autres ? On le comprend. Puis le mouvement s’accélère, les corps adoptent des mouvements circulaires, des courses plus ou moins rapides, enchainent les accélérations. Les corps apparaissent, par intermittence, visibles quelques secondes puis de nouveau happés par l’opacité du noir. Ils occupent un espace que l’on parvient à appréhender quand la lumière troue la nuit.
Nacera Belaza, qui danse aussi dans la pièce, tout comme sa sœur, développe une proposition, celle d’une danse des corps en état de chute. Elle brouille les repères, suggère une appropriation de l’espace différente. Comme souvent dans son travail, le mouvement se nourrit de répétitions et de giration. Elle joue aussi sur l’ambiguïté de la perception de ces silhouettes. Sont-elles réelles ? Sont-ce des hallucinations ? Des âmes égarées ? L’angoisse le dispute à l’apaisement.
L’association lumières, son et mouvement produit quelque chose d’inédit, pas facile d’accès, il faut l’admettre, mais fascinant. Petit à petit, on se déleste de nos attentes, de nos repères. On accepte de se perdre dans ce labyrinthe sensoriel, de reculer nos limites comme les interprètes repoussent les leurs. La chorégraphe joue avec les contraintes pour accéder à une libération des corps. C’est à une communion sensible à laquelle nous prenons part.
« Interpréter, c’est jouer avec le fil qui nous relie à la vie et à la mort« . Elle cite cette phrase de la chorégraphe Elsa Wolliaston qui résonne fortement en elle. Et pour cause… Ce fil invisible, Nacera Belaza le tend de pièce en pièce avec une constance étonnante. « Si un artiste voulait être honnête, il ne ferait qu’une seule pièce et la travaillerait à l’infini pour la ciseler, la parfaire« , me confiait-elle en 2018. C’est ce sentiment qui prédomine au moment des saluts, alors que les quatre interprètes se dévoilent enfin, une fois les lumières rallumées. Nacera Belaza, ciseleuse obstinée du mouvement.
L’envol de Nacera Belaza avec Paulin Banc, Dalila Belaza, Nacera Belaza, Mohammed Ech Charquaouy. Dimanche 19 novembre 2023 à Chaillot – Théâtre national de la danse. À voir du 21 au 23 février 2024 au Théâtre Vidy-Lausanne.