Des chimères dans la tête – Sylvain Groud, Françoise Pétrovitch, Hervé Plumet
Au croisement des arts visuels et de la danse, Des chimères dans la tête est né de la rencontre entre le chorégraphe Sylvain Groud, la plasticienne Françoise Pétrovitch et le créateur audiovisuel Hervé Plumet. Il s’agit de la deuxième collaboration entre le directeur du Ballet du Nord et l’artiste, après Adolescent, en 2019. Destinée à un jeune public, cette pièce, dont il existe deux versions de durées distinctes (j’ai vu celle de 50 mn), séduit par son dispositif spectaculaire. Évoquant « la force créatrice de l’enfance », elle confronte les adultes à un questionnement multiple. Qu’avons-nous fait de nos rêves d’enfants ? Les avons-nous étouffés pour rester dans le cadre ? Ne demandent-ils qu’à rejaillir ? À quelles sources se nourrit notre créativité une fois les chimères balayées de nos têtes ? Autant de questions pertinentes réveillées par cette pièce à l’esthétique originale et foisonnante.
Au centre du plateau de la pièce Des chimères dans la tête de Sylvain Groud, une immense toile-écran. Une petite fille apparaît comme surgie d’un album pour la jeunesse. Cheveux mi longs, regard triste, pommettes colorées, elle va revenir souvent devant nos yeux. Elle a l’imagination féconde de la Alice de Lewis Carroll. Très vite, s’incruste sur l’écran le bestiaire fantastique qui peuple ses pensées. Des animaux étonnants colorés, hybridations d’espèces connues, créés par la plasticienne Françoise Pétrovitch naissent puis disparaissent.
Soudain, poussent sous la jupe de la fillette deux gambettes nues. L’effet de surprise est immédiat. Les animaux dessinés qui prennent vie sur l’écran, eux, se prolongent d’un bras, d’une main, d’une jambe qui sortent du cadre. Cachés derrière le panneau lumineux, les interprètes se dévoilent petit à petit. Combien sont-ils ? Difficile de savoir. Intervenant dans un dispositif invisible pour le public mais qui donne l’impression qu’ils sont en apesanteur, ils libèrent des parcelles de corps faisant office de pattes, d’ailes, d’antennes. Pas facile de mettre l’intention nécessaire à chaque geste pour que l’alliance se produise mais il faut reconnaître que ça marche ! Et le rendu est spectaculaire. On se laisse surprendre. À aucun moment le procédé ne lasse. La fusion entre chorégraphie et peintures amuse, intrigue et crée une dynamique qui donne à cette pièce cette patte si singulière. La bande-son mystérieuse et entrainante est interrompue par moment par des injonctions à ne pas sortir du cadre. À qui s’adresse-t-on ? À la fillette au regard empreint de mélancolie ? À tous les enfants ?
Mais l’envie est trop forte…Vient alors le moment où danseur et danseuses sortent de leur cachette, s’affranchissent de leur anonymat, descendent de leur écran pour devenir à leur tour des créatures à part entière. Les costumes imaginés par Françoise Pétrovitch leur confèrent une étrangeté qui prolonge la narration précédente. Monstres aquatiques dotés de tentacules, ils évoluent sur le plateau en quête d’espace avec de grands mouvements souples.
Des chimères dans la tête est un beau voyage dans l’imaginaire de l’enfance. Une évocation de cette effervescence créative, de ces tempêtes sous des crânes qui ne demandent qu’à être nourries et exploitées. L’imagination au pouvoir ! Le tableau qui réunit les trois interprètes fait office de bouquet final. L’une des danseuses chevauche un monstre imaginaire qui rappelle un dragon. L’autre danseuse prête son buste à une sorte de vigogne et déploie un étendard blanc tandis que le mi-faon mi-danseur court à toutes jambes. Une revisite de La Liberté guidant le peuple on ne peut plus spectaculaire.
Il y a du souffle dans cette scénographie. Tout s’imbrique avec intelligence. Quelle joie de se laisser guider par ce bestiaire flamboyant à la chorégraphie minutieusement réglée. Avec beaucoup de poésie, ces chimères d’encre et de peinture nous bercent d’illusions salutaires de la plus jolie des manières. La danse et les arts plastiques ont souvent entretenu un dialogue fécond. La qualité de cette pièce en témoigne.
Des chimères dans la tête. Conception Sylvain Groud, Françoise Pétrovitch, Hervé Plumet. Avec Quentin Baguet ou Julien-Henri Vu Van Dung, Charline Raveloson, Salomé Van Quekelberghe. La Villette. Vendredi 24 novembre 2023. À voir du 12 au 13 janvier 2024 au Louvre-Lens, du 01 au 03 février au Théâtre 71 à Malakoff…
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