Lucinda Childs – Relative Calm avec Bob Wilson et X 100 avec le CNSMDP
Le nom de Lucinda Childs a doublement brillé au fronton de la Grande Halle de la Villette à Paris en ce début du mois de décembre. À l’invitation de Cédric Andrieux, ancien directeur des études chorégraphiques du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, la chorégraphe américaine a repris six extraits de ses pièces pour la centaine d’élèves des classes de danse de l’établissement, âgés de 14 à 22 ans, dans un magnifique geste unique. Le spectacle fut présenté en même temps que la reprise de Relative Calm créé en 1981 avec le metteur en scène Bob Wilson Recréation plutôt que reprise selon les deux artistes, qui font partie du panthéon du théâtre et de la danse contemporaine. Et qui à plus de 80 ans démontrent leur vivacité et une créativité intacte.
Lucinda Childs s’est souvent faite rare sur les scènes françaises. Le Festival d’Automne lui avait consacré un portrait bienvenu en 2016, le Ballet de l’Opéra de Lyon a mis des pièces à son répertoire. Et récemment, (L)a Horde au Ballet National de Marseille l’a invitée à recréer Tempo Vicino que la chorégraphe avait conçue pour la compagnie en 2004. Chacune de ses apparitions est un événement. Héritière de la danse américaine postmoderne, Lucinda Childs a construit un vocabulaire qui lui est propre, fondé sur la répétition qui se développe dans des phrases ininterrompues, puisant leur énergie dans les changements de direction perpétuels. Ce style, reconnaissable au premier coup d’œil, s’est aussi bâti et renforcé au fil de ses collaborations avec deux artistes majeurs : le compositeur Philip Glass et le metteur en scène Bob Wilson. Le génial trio créa en 1976 un opéra mythique, Einstein on the Beach, qui fut une révolution esthétique.
Ce compagnonnage se prolonge encore aujourd’hui au fil des reprises. Dont celle de Relative Calm montré pour la première fois en 1981. « Davantage une réactivation du souvenir« , expliquent Bob Wilson et Lucinda Childs. Revoir cette pièce; c’est constater la puissance créatrice de leurs auteurs. On pouvait à La Villette la découvrir après avoir assisté à Lucinda Childs X 100 par le CNSMDP. Pour la troisième fois, Cédric Andrieux (directeur des études chorégraphiques parti en août dernier pour diriger le Ballet de l’Opéra de Lyon) a mis en route cette machine infernale et géniale : faire participer tous les élèves du Conservatoire à une recréation unique. Il avait initié ce projet avec les œuvres de Merce Cunningham puis de Trisha Brown, deux génies incontournables de la danse américaine. Mais cette fois, il confie ce projet à une chorégraphe vivante. Lucinda Childs a personnellement dirigé les répétitions et imaginé cette création originale faite de six de ses pièces, dont deux sont présentées avec la musique d’Henryk Górecki interprétée par l’Orchestre à cordes du Conservatoire.
C’est l’un des marqueurs du travail de Lucinda Childs : l’attrait pour les compositeurs contemporains qui ne sont pas nécessairement très familiers aux élèves du Conservatoire. Et la chorégraphe va même jusqu’à les faire danser a cappella. Lucinda Childs confie dans le programme qu’elle a longtemps créé ses pièces sans musique : « On entendait seulement le bruit des pieds en basket ». Les étudiants et étudiantes du CNSMDP se sont joués de ses difficultés. Pour cette série, il était possible pour le public de voir le spectacle debout au balcon. L’inconfort est récompensé par un point de vue unique : quel choc que de découvrir 100 jeunes danseuses et danseurs vêtus de blanc dans une série de diagonales parfaites ! L’image initiale donne le la du spectacle magnifié par la loi du nombre. Après une série au sol qui se déguste comme un précis du langage de Lucinda Childs, la chorégraphe américaine déroule ce qui est davantage qu’un best-of. Les extraits sont choisis parmi son répertoire des années 1970 avec en point d’orgue un solo Particular Reel (1973), transmis à l’ensemble de jeunes interprètes. Lucinda Childs X 100 se voit non pas comme un travail d’école mais comme un spectacle abouti et monumental.
On peut voir ici ou là quelques imperfections stylistiques sans gravité. Lucinda Childs fait évoluer les ensembles avec un haut du corps droit, presque rigide, dont l’équilibre est porté par les bras étirés de part et d’autre du buste. Ce processus de répétitionculmina avec le chef-d’œuvre Dance créé en 1979, deux ans avant Relative Calm. Co-réalisée avec le metteur en scène Bob Wilson, cette pièce reprend presque à l’identique des parties de la chorégraphie de Dance en évitant le piège de l’autocitation. Sur les musiques de Jon Gibson, Igor Stravinsky et John Adams, Relative Calm est magnifiée par la mise en scène et les lumières somptueuses de Bob Wilson, qui a tout réinventé pour cette reprise que le metteur en scène a voulu au plus près de la chorégraphie. C’est la compagnie new-yorkaise MP3 Dance Project, dirigée par Michele Pogliani, ancien danseur de Lucinda Childs qui fait revivre Relative Calm avec style.
Tout à la fois ballet et théâtre, faisant se succéder tableaux dansés et saynètes loufoques, Relative Calm est un moment d’enchantement, sublimé par la présence de Lucinda Childs quiinvestit ces moments de transition que Bob Wilson appelle « knee plays ». Droite, à la fois hautaine et chaleureuse, elle déclame en anglais puis en français (qu’elle parle couramment) des extraits du journal de Nijinsky, moment suspendu de pure poésie.
Lucinda Childs X 100 par les élèves du CNSMDP ; Relative Calm de Lucinda Childs et Bob Wilson par le MP3 Dance Projet. Vendredi 1er décembre 2023 à la Grande Halle de la Villette à Paris.