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Béjart Ballet Lausanne – Tous les hommes presque toujours s’imaginent / Duos / 7 Danses grecques

C’est une tradition du mois de janvier à l’Opéra de Paris : alors que la compagnie de Ballet prend quelques jours de repos ou se prépare déjà pour les spectacles à suivre, la scène du Palais Garnier accueille une troupe invitée. Cette année, le Béjart Ballet Lausanne faisait son retour après douze ans d’absence de l’institution. En ces temps de tempêtes sur le monde, le directeur Gil Roman a imaginé une soirée résolument œcuménique, présentant dans la même soirée le cantique religieux juif Dibouk (1987) et le duo extrait de Pyramide–El Nour (1990) sur une musique traditionnelle musulmane. Bhakti III (1968) inspiré à Maurice Béjart par l’hindouisme complétait cette superbe série de pas de deux avant un final imparable avec 7 Danses Grecques, tube du répertoire béjartien. En première partie, Gil Roman programmait sa chorégraphie Tous les hommes presque toujours s’imaginent (2019), une pièce imparfaite mais qui met sur scène une compagnie de grande tenue.

 

Tous les hommes presque toujours s’imaginent de Gil Roman – Jasmine Cammarota

 

Seize ans après sa mort, Maurice Béjart est toujours l’un des chorégraphes français les plus populaires. Il avait su comme personne faire de la danse un art populaire. Comme le rappelle Ariane Dollfus dans le programme : « Il a donné le signal d’une démocratisation osée ». Et s’il a fréquenté avec sa troupe les salles les plus prestigieuses de la planète, on l’a aussi retrouvé au Palais des Sports de Paris, au Palais des Congrès et même à Bercy ! Maurice Béjart avait à cœur  d’être toujours en avance sur la modernité et d’abolir les frontières, héritier à sa manière d’un courant de pensée lié à 1968.

Le programme concocté par le directeur de la troupe Gil Roman, pour la tournée de la compagnie à l’Opéra de Paris, illustrait à merveille ce spectre large cher à Maurice Béjart. Nul autre que lui ne pouvait puiser dans ces cultures si différentes, et parfois antagonistes, pour bâtir son œuvre. Les trois pas de deux enchaînés sans pause, par un simple fondu au noir, dessinent ainsi un voyage en miniature à travers des pratiques religieuses ancestrales. Bhakti III est un dialogue entre Shiva, troisième personne de la trinité hindoue et son épouse Shakti, qui est comme son double. Créée en 1968, c’est la pièce la plus ancienne de cette soirée et peut-être la plus indémodable. Maurice Béjart tricote un duo millimétré où s’entremêle le vocabulaire classique et un geste emprunté à la culture indienne. Mari Ohashi y est somptueuse dans le rôle de Shakti aux côtés d’Alessandro Cavallo. Valerija Frank et Julien Favreau leur succèdent dans le trop court  pas de deux de Pyramide-El Nour. La feuille de salle rappelle utilement que le ballet avait été créé en 1990 à l’Opéra du Caire. À cette époque, le chorégraphe s’était déjà converti à l’islam chiite. Duo tout en sensualité aux portés virtuoses impeccablement réalisés. Cette trilogie d’un soir s’achève avec Dibouk qui, dans son inspiration, semble faire écho aux deux autres pièces. Le Dibouk, c’est le malin dans la culture juive que l’on veut chasser. Kathleen Thielhem et Dorian Browne se fondent à l’unisson dans cette exaltation où les deux époux se transcendent par la parole divine.

 

Pyramide de Maurice Béjart – Valerija Frank et Julien Favreau 

 

Gil Roman avait choisi de présenter à nouveau Tous les hommes presque toujours s’imaginent, pièce vue à l’Opéra de Versailles il y a quatre ans lors de sa création. Elle n’est pas sans qualités et s’inscrit parfaitement dans la thématique ethnique de la soirée. Le chorégraphe a du savoir-faire pour construire de beaux ensembles avec 30 danseuses et danseurs sur scène. La musique originale de l’américain John Zorn séduit parfois mais irrite trop souvent. On ne suit pas tout à fait le récit que veut écrire Gil Roman entre deux groupes, la Tribu et les Anges. On reste trop souvent sur le côté. Mais surgissent quelques moments splendides, comme cette série de cinq duos qui nous permettent de voir danser ensemble les deux magnifiques vétérans de la compagnie, Elisabet Ros et Julien Favreau, semblant hermétiques au temps qui passe. Jasmine Cammarota, magnétique, mène avec charisme le ballet et évite que l’on ne s’égare dans une pièce sans enjeux.

C’est avec l’inusable 7 Danses Grecquesque se terminait la soirée. On a déjà tout dit sur ce ballet qui est l’un grand succès de Maurice Béjart. La musique de Míkis Theodorákis composée spécialement pour cette pièce, est irrésistible. La chorégraphe a su construire sur cette partition une succession d’ensembles, de duos et de solo en commettant l’exploit de faire cohabiter le pur folklore et la mythologie grecque. On sent le plaisir de la compagnie à danser une pièce bien plus exigeante qu’il n’y paraît. Oscar Eduardo Chacón est aujourd’hui le meilleur titulaire du rôle : beauté des lignes, ampleur des sauts, justesse du jeu, tout y est.

Il faut savoir gré à Gil Roman de perpétuer le répertoire de Maurice Béjart plus menacé que l’on ne le croit. Aux exceptions notables de l’Opéra de Paris et du Ballet de Tokyo, ses pièces ne sont pas à l’affiche des compagnies. Certes, on donne régulièrement le Boléro à Stuttgart, la Scala de Milan montra autrefois Le Sacre du Printemps. Mais l’œuvre de Maurice Béjart ne s’arrête pas à ces tubes. Et le Béjart Ballet Lausanne a connu de fortes turbulences qui se sont traduites par la fermeture de l’école Rudra-Béjart. Les tentations sont grandes parmi certains décideurs à Lausanne de baisser la subvention ou de transformer la compagnie pour en faire un ballet ouvert à d’autres chorégraphes. Le questionnement est légitime mais il ne faudrait pas que soit sacrifié le répertoire de Maurice Béjart, qui recèle des bijoux comme l’a montrée la compagnie au Palais Garnier.

 

7 Danses Grecques de Maurice Béjart – Oscar Eduardo Chacon

 

Le Béjart Ballet Lausanne. Tous les hommes presque toujours s’imaginent de Gil Roman, avec Jasmine Cammarota (Elle) et Vito Pansini (Lui) – Bhakti III  de Maurice Béjart avec Mari Ohashi (Shakti) et Alessandro Cavallo (Shiva) ; Duo extrait de Pyramide-El Nour de Maurice Béjart, avec Julien Favreau et Valerija Frank ; Dibouk de Maurice Béjart avec Kathleen Thielhem et Dorian Browne ; 7 Danses Grecques de Maurice Béjart, avec Oscar Eduardo Chacón et la compagnie. Jeudi 4 janvier 2024 au Palais Garnier. 

Le Béjart Ballet Lausanne avec quelques-unes de ces pièces en tournée, à voir à Divonne-les-Bains du 13 au 15 février et à Roubaix les 15 et 16 mars

 


Commentaires (1)

  • Lili

    Nous nous sommes copieusement ennuyés pendant ce premier ballet « Tous les hommes… » . Heureusement que Bakhti III et les deux autres pas de deux nous ont émerveillés. Quant aux Danses grecques, quelle merveille !! Quel réglage tellement parfait de la compagnie dans une oeuvre dont la difficulté est immense !! (et on sentait que la scène en pente donnait des sueurs froides aux danseurs….). Bon à force de perfection et d’une forme d’aisance de la synchronicité de la troupe, ça faisait presque trop mécanique et « robots », mais je chipote. Deux oeuvres magnifiques.

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