Dive de Édouard Hue – Beaver Dam Company
Édouard Hue est revenu sur les scènes françaises pour présenter sa dernière création Dive, conçue pour sept interprètes de la Beaver Dam Company. Le chorégraphe a pris pour thème moteur l’intuition et l’instinct pour observer comment ils s’organisent dans la danse. Il bâtit une pièce profondément physique, tour à tour joyeuse ou plus inquiétante, scandée par les sons imaginés par Jonathan Soucasse qui a traqué les bruits du corps avec son univers électro. Dans la droite ligne de son travail de chorégraphe et d’enseignant, Édouard Hue construit une pièce où le corps est au centre, sans scories scénographiques ni propos superfétatoire. Il va chercher au plus profond des possibilités physiques de ses danseuses et de ses danseurs pour créer une oeuvre éminemment ludique, mais où affleurent aussi l’inquiétude et le mystère.
On pourrait écrire tout un livre sur les titres des pièces contemporaines. Elles sont de fait la première porte d’entrée du public comme une invitation ou une promesse. Édouard Hue a sans nul doute pensé à la signification anglaise de Dive qui signifie plonger. Mais on ne peut pas faire l’économie de l’adjectif français que l’on utilisait naguère pour qualifier ce qui est divin, et qui ne perdure que dans l’expression « la dive bouteille« . Dans ce temps d’avant spectacle, c’est là avec ce seul titre que l’on peut imaginer l’univers qui va nous être soumis. Déjà sur le plateau, quelques danseuses et danseurs s’échauffent, se préparent, ce qui est presque devenu une figure de style dans de nombreuses pièces contemporaines comme un moyen d’abolir cet espace-temps entre la représentation et le monde réel. Comme pour débuter tout en douceur par un duo au sol où le haut du corps, les bras, les coudes font la loi. Le duo devient trio puis se fera sextuor.
C’est presque comme un jeu enfantin où se répètent les gestes, à l’unisson puis décalés, à la fois ancrés au sol et s’élevant vers le ciel avec le buste, dans un concert ludique et joyeux. Puis sorti de nulle part surgit un danseur pour le premier solo de Dive. apparition foudroyante, d’une énergie folle qui d’un coup propulse la pièce dans une autre dimension. On y retrouve l’écriture d’Édouard Hue qui n’aime rien tant que solliciter toutes les parties du corps et imposer une danse du lâcher-prise en longues phrases ininterrompues. Il y a là quelque chose qui évoque parfois la danse américaine post-moderne dans une version psychédélique revisitée.
Puis le chorégraphe nous conduit dans une ambiance plus sombre. L’humeur et le tempérament changent pour substituer à l’univers festif un moment onirique, une plongée de soi vers un au-delà où l’on irait chercher son double, son autre face. On dirait presque que la fête est finie. Mais dans cette atmosphère funéraire, la danse reprend ses droits. Édouard Hue travaille avec des interprètes venus d’horizons divers et aux corps très dissemblances ce qui rend cette petite communauté infiniment humaine. Le dernier solo interprété par Jaewon Jung est le sommet de cette seconde partie : le danseur coréen livre une danse intense, vibrante, incarnée malgré le désespoir que l’on perçoit.
Avec Dive, Édouard Hue confirme qu’il est un chorégraphe singulier, à la fois populaire et exigeant. Il n’y a pas d’esbroufe dans ses pièces, pas de décor qui cacherait la faiblesse du propos, pas d’intention politique revendiquée mais de la danse pure. Plus encore que dans ses oeuvres précédentes, il travaille dans Dive le corps de ses interprètes, les malaxe pour en sublimer l’expression. C’est réjouissant !
Dive d’Édouard Hue – musique: Jonathan Soucasse, avec Alison Adnet, Alfredo Gottardi, Jaewon Jung,Tilouna Morel, Rafaël Sauzet, Angélique Spiliopoulos et Mauricio Zuñiga. Mardi 23 janvier 2024 à La Scala Paris. À voir en tournée en Suisse en février, le 20 février à Mougins.