Life, A Love Letter To Merce Cunningham – Gandini Juggling
Jonglage et Merce Cunningham peuvent-ils cohabiter ? Assurément pour Sean Gandini, qui depuis plus de trente ans mène sa formidable troupe de jonglage Gandini Juggling. Preuve en est avec leur spectacle Life A Love Letter To Merce Cunningham. L’immense virtuosité des interprètes dans l’art du jonglage se mêle à des chorégraphiques évocatrices du roi de la post-modern dance, tout se jouant avec la rythmique et le hasard, comme savait si bien le faire le chorégraphe. L’ensemble crée une performance qui peut sembler parfois un peu lointaine, mais qui se révèle d’une poésie fascinante pour peu que l’on accepte de se laisser surprendre par ce que l’on ne pensait pas être surprenant. Une belle découverte.
« Depuis trois décennies, le travail de Merce Cunningham nous inspire, et nous avons toujours cette question présente à l’esprit : et si Cunningham avait chorégraphié un spectacle de jonglage ?« , indique ainsi Sean Gandini, metteur en scène du spectacle et fondateur de la compagnie de jonglage Gandini Juggling, en préambule du spectacle Life A Love Letter To Merce Cunningham. De fait, l’on a l’étrange et amusante impression de voir en scène un ersatz d’une pièce du chorégraphe. Et le résultat de ce qu’aurait pu être un spectacle de jonglage si le maître de la post-modern dance s’y était lancé, même si cette l’idée n’est pas au cœur du processus de création de Sean Gandini. Dans le geste bien sûr, les pas de Merce Cunningham sont là, avec des références assumées à certaines de ses chorégraphies. Jennifer Goggans, l’une des grandes transmettrices du répertoire du chorégraphe, a participé au projet. Et la française Anna Chirescu, qui a beaucoup interprété Cunningham au CNDC d’Angers, a élaboré les chorégraphies additionnelles.
Le parallèle esthétique de l’œuvre de Merce Cunningham est ainsi indéniablement présent sur scène. Mais l’évocation va un peu plus loin que ça. Sur quoi se reposait le travail du chorégraphe ? D’un vocabulaire acéré et très écrit dans lequel s’insérait le hasard, à travers la musique, un mouvement d’un danseur, un jeu de scénographie. N’est-ce pas aussi la philosophie du jonglage ? L’on peut voir cette technique circassienne comme quelque chose d’une immense virtuosité et d’une incroyable précision, dans lequel s’insère le hasard. À savoir la chute d’une balle qui intervient toujours à un moment donné, sans que cela casse l’énergie de la création artistique.
Tout commence pourtant comme ne commencerait pas un spectacle de Merce Cunningham : une petite explication technique. Qui n’est pas forcément nécessaire pour apprécier l’œuvre, mais chaleureusement bienvenue pour mieux comprendre l’art complexe du jonglage. Avec une de ses interprètes, le metteur en scène explique et montre les mouvements de base du jonglage, leur rythmique particulière, comment les mêler et les démêler pour amener une impression unique, et ce qu’amène le hasard et la chute. Au milieu de toutes ces balles blanches, une balle verte apparaît comme le point de pulsation ou la métaphore de l’inattendu. Sean Gandini reprendra plusieurs fois au fil du spectacle cet exercice pédagogique, pour nous parler des positions de bras de Merce Cunningham par exemple, ou d’une de ses pièces qui l’a particulièrement inspirée. Des parenthèses qui, au-delà de leur formidable intérêt pédagogique (Sean Gandini est particulièrement doué pour cet exercice) apportent un rythme au spectacle qui permet de jouer avec notre attention.
Car, comme tout spectacle de Merce Cunningham, Life n’est pas forcément facile d’accès au premier abord. Les interprètes se mêlent en scène pour différentes combinaisons de jonglage, en balles ou en cerceaux. Cela se met parfois à danser, à s’associer, à essayer. Les balles tombent sans que l’on sache vraiment si cela est fait exprès ou non – ce qui provoque aussi une certaine fascination – ordonnant forcément l’action suivante. Il n’y a pas de trame, pas forcément beaucoup de choses auxquelles se raccrocher pour se laisser emporter. Alors, comme pour tout spectacle de Merce Cunningham, il faut savoir lâcher prise – exercice loin d’être évident pour le public. Il faut arrêter d’attendre quelque chose pour se laisser emmener par l’étrange ballet qui se déroule devant nous. Une condition sine quoi none – oui, comme pour toutes les œuvres de Merce Cunningham – pour y découvrir la formidable poésie de la pièce, sa virtuosité puissante et profondément fascinante, sa fragile et vibrante beauté. Son humour et un certain sens de l’absurde aussi, notamment sur les derniers moments où les massues remplacent les balles, passage au rythme différent qui montre aussi toute l’inventivité de cette troupe.
L’invitation que propose Life, A Love Letter To Merce Cunningham ne se prend pas facilement. Mais il reste, au bout de l’heure de spectacle, un profond sentiment d’avoir été nourrie et d’avoir rencontré une œuvre pas tout à fait comme les autres, comme d’avoir fait connaissance avec des artistes dont on ne soupçonnait pas l’intensité de leur technique. Et l’envie assurément de suivre Gandini Juggling sur d’autres spectacles.
Life, A Love Letter To Merce Cunningham de Sean Gandini, avec Kati Ylä-Hokkala (assistante mise en scène), Jennifer Goggans (consultante Cunningham) et Anna Chirescu (chorégraphie additionnelle), par la compagnie Gandini Juggling. Interprétée par Benjamin Beaujard, Sean Gandini, Jennifer Goggans, Kim Huynh, Sakari Männistö, Erin O’Toole, Jose Triguero, Yu-Hsien Wu et Kati Ylä-Hokkala. Mardi 13 février 2024 à la Maison de la Danse de Lyon. À voir jusqu’au 16 février, puis les 24 et 25 février en Belgique, à Eupen. En tournée en France en mars et avril avec d’autres spectacles.
Stéphane
Vu hier à Lyon le 16 fevrier .
Que dire après avoir découvert la troupe il y a 10 ans , avec les yeux qui brillaient .
Je retiens « qu il n’y a pas de trame, que ce n est pas facile d accès au 1er abord et qu il faut arreter d’attendre quelque chose « .
Ma voisine dira cruellement qu on était à la maison de quartier sur une fin de cycle d’ atelier danse et cirque. C est injuste …Disons quelques beaux instants , mais pas assez développés, et noyés dans des scenes peu lisibles sur le propos souhaité, avec une mise en sons pointue, ardue.