Sadeh21 d’Ohad Naharin – Ballet de l’Opéra de Paris
Retardée par le Covid, la pièce d’Ohad Naharin Sadeh21 a fait une entrée fracassante au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. 24 danseuses et danseurs se sont lancés sans filet dans l’univers du chorégraphe israélien, tenant du lâcher-prise et créateur de la technique Gaga.Sadeh21 est une oeuvre clef dans le répertoire d’Ohad Naharin, créée en collaboration avec les interprètes de sa compagnie la Batsheva, proposant un voyage en 21 séquences explorant toutes les significations possibles du mot « sadeh », champ en hébreu. Un terrain de jeu pour exprimer la gamme la plus large possible d’émotions à travers une danse ultra-physique et d’une rare puissance. Le Ballet de l’Opéra de Paris en propose une interprétation moins incandescente que celle de la Batsheva, mais parvient toutefois à s’imposer dans un style qui ne lui est pas familier.
Le dialogue entre Ohad Naharin et le Ballet de l’Opéra de Paris est déjà ancien. Lors de la saison 1999/2000, Perpetuum– créé pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève – faisait son entrée au répertoire en prélude de la création mondiale d’Appartement de Mats Ek. Ce n’était sans doute pas la meilleure affiche pour faire découvrir au public parisien un chorégraphe qui était déjà connu et reconnu, mais qui n’était pas encore la star internationale qu’il est devenu aujourd’hui, à la tête de l’une des meilleures compagnies du monde, la Batsheva Dance Company. Perpetuum ne sera jamais repris et il faudra attendre 2018 pour qu’Ohad Naharin fasse son retour à l’Opéra de Paris. Aurélie Dupont, qui avait dansé Perpetuum, le convainc de revenir. Ce sera avec Decadance, à la fois pot-pourri et best-of de toutes ses chorégraphies réorganisées pour en faire une oeuvre cohérente, work in progress qui s’enrichit à chaque nouvelle création. Ohad Naharin avait ainsi élargi le cercle pour y faire entrer davantage de danseuses et de danseurs. Cette fois, l’enthousiasme était au rendez-vous de part et d’autre.
Tout le monde était donc prêt à renouveler cette aventure et ce voyage. Sadeh21 est toutefois d’une autre trempe. Quand Decadance est un jeu brillant conçu comme un précis de l’oeuvre d’Ohad Naharin, Sadeh 21 est une pièce en soi, une narration non-écrite mais dont on perçoit le sous-texte. « Champ » est la traduction exacte de « Sadeh » en hébreu. Même signification au propre et au figuré. De quoi explorer tous les possibles dans l’univers des émotions.
Cela débute par une longue succession de brefs solos qui, lors de la création, étaient improvisés. Chacune et chacun entrent successivement côté cour puis jardin comme pour se présenter et marquer son territoire. On ne peut compter que sur soi dans Sadeh 21. Les interprètes dansent une partition unique avant de se retrouver dans un enchaînement collectif parfaitement organisé mais qui ne saurait durer. Sadeh21 laboure le terrain de jeu de la scène pour passer d’un claquement de doigt du chaos à l’unisson, dans une danse résolument terrienne. Ces 21 séquences sont plongées dans des atmosphères lumineuses différentes qui leur donnent une couleur spécifique, et enserrées dans la musique de Maxim Warat, alias Ohad Naharin. Le chorégraphe et musicien aime conjuguer les styles incorporant des mouvements folkloriques à un geste contemporain, avec comme mot d’ordre de faire affleurer l’émotion à partir du mouvement.
Les 24 danseuses et danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris y parviennent par moments, sans jamais retrouver toutefois la sensation tellurique qui prévalait à la création. Mais on ne peut que saluer leur versatilité et le talent unique qui est le leur, capables de s’emparer d’une technique qui leur est étrangère. Sadeh21 a été créé en 2011 avec les danseuses et les danseurs de la Batsheva, dont les noms sont cités dans la feuille de salle car toutes et tous ont participé au processus. Ce sont les mêmes qui sont venus à Paris pour transmettre la pièce. Au bout du compte, Sadeh21 dégage une telle puissance qu’elle ne peut laisser indifférent. Et puis il y a ce mur en fond de scène comme le rappel de cette terre déchirée. Ce mur d’où vont sauter danseuses et danseurs, happés par le vide et laissant place à un champ désert. Défile alors un long générique de fin, alors que la salle applaudit, attendant en vain des saluts qui ne viendront pas.
Sadeh21 d’Ohad Naharin par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Naïs Duboscq, Clémence Gross, Caroline Osmont, Ida Viikinkoski, Victoire Anquetil, Juliette Hilaire, Apolline Anquetil, Adèle Belem, Lucie Devignes, Eugénie Drion, Lilian Di Plaza, Marion Gautier de Charnacé, Seehoo Yen, Axel Ibot, Hugo Vigliotti, Milo Avèque, Takeru Coste, Max Darlington, Jérémie Devilder, Théo Gilbert, Julien Guillemard, Loup Marcault-Derouard, Antonin Monié et Marius Rubio. Vendredi 9 février 2024 au Palais Garnier. À voir jusqu’au 2 mars 2024.
Sylph
Comment expliquer que cette pièce soit montée avec les danseurs sujets, coryphées et quadrilles, sans les premiers et étoiles ? Est-ce à cause du calendrier où quasiment toute la compagnie est au Japon ? Est-ce que vous pensez que cela a un impact sur la prestation dans son ensemble ?
phil
Non,cela n’aura pas d’incidence car depuis plusieurs années certains danseurs sont spécialisés dans les danses contemporaines car -entre autres- la musculature n’est pas la meme et c’est difficile pour les Etoiles et les 1ers danseurs de se readapter rapidement car il ne font ,sauf rares exception,que du classique.De plus le niveau des danseurs de l’ONP est trés elevé (meme les Quadrilles! ).