Biennale d’art flamenco au Théâtre de Chaillot – David Coria / Olga Pericet / Rocío Molina / Andrés Marín
Raccourcie dans le temps et limitée dans l’espace par la fermeture de la salle Jean Vilar, la Biennale d’Art Flamenco du Théâtre National de la Danse Chaillot a néanmoins proposé un programme luxueux pour cette édition 2024, réunissant en dix jours quatre des plus grands danseurs, danseuses et chorégraphes du flamenco d’aujourd’hui. David Coria, Olga Pericet, Rocío Molina et Andrés Marín ont ainsi mis le feu à la salle Gémier, avec quatre spectacles de très haute tenue, soutenus par des esthétiques différentes couvrant un large spectre de l’art flamenco contemporain. Quatre artistes qui partagent dans leur recherche sur la modernité un ancrage dans les traditions de la danse flamenca, et l’incontournable dialogue avec la musique et le chant, fondements essentiel de l’art flamenco.
Il a fallu se serrer et adapter les spectacles au format de la salle Gémier, pas toujours compatible avec le besoin d’espace du flamenco. Ou encore que certains artistes acceptent de jouer presque consécutivement deux représentations. Grâce leur soit rendue, car avec ces quelques aménagements, Rachid Ouramdane a pu, avec la complicité de Daniela Lazary, programmatrice de la Biennale d’art flamenco, présenter au Théâtre National de la Danse Chaillot les danseuses et danseurs parmi les plus enthousiasmants d’aujourd’hui.
En ouverture, David Coria, découvert avec ¡Fandango! avant de se lancer dans une aventure à deux avec Jann Gallois pour Imperfecto, est le seul à avoir conçu une création collective. DALP avait assisté aux prémices de Los Bailes Robados en janvier 2023 avant de voir le spectacle lors de la dernière édition du Festival de Nîmes. David Coria y est avec son complice, le musicien et chanteur David Lagos, et entouré de quatre danseuses et danseurs. Il a pris comme levier l’histoire, vraie ou fantasmée, d’une femme qui, à Strasbourg en 1518 s’est mise à danser de manière irrépressible, contaminant tout le monde sur son passage. Prétexte à une danse qui irradie le plateau même si cette petite bande semble parfois bien à l’étroit. David Coria est un danseur d’un charisme irrésistible, alliant comme personne virilité et féminité qui sont les deux faces inséparables du flamenco. Sa danse s’est aussi enrichie de son expérience avec la danseuse de hip-hop Jann Gallois – dont le spectacle est toujours en tournée – avec des ensembles et des portés qui empruntent à la danse contemporaine. Avec Los Bailes Robados, David Coria montre qu’il est non seulement un danseur d’exception mais aussi un excellent chorégraphe.
Olga Pericet revenait au Théâtre de Chaillot en solo. Pas tout à fait à vrai dire, puisqu’elle s’est entourée pour LaLeonad’un groupe de cinq musiciens : deux guitaristes, un bassiste, un percussionniste et le chant d’Israel Moro. La Leona – « La lionne » en français – est le nom donné à la guitare espagnole moderne inventée par le luthier Antonio de Torres en 1852. Le spectacle débute pianissimo, en douceur, alors que l’on discerne une large couverture en tissu imprimé recouvrant un corps qui va, peu à peu, s’ériger, se lover, créer des formes improbables, se plier, se tordre, sans que jamais l’on voie le visage qui l’on devine être celui d’Olga Pericet. Prélude intense comme la métaphore d’une naissance, de l’obscurité vers la lumière et l’explosion qui va suivre. Elle n’est pas bien grande Olga Pericet. Mais sur scène, c’est un volcan. Elle enchaîne les séquences et change de costumes à la vitesse de l’éclair, produisant un flamenco qui allie force et précision. Elle est constamment au diapason de ses musiciens avec lesquels elle construit une osmose joyeuse. Il y a un esprit de rockeuse chez Olga Pericet qui sait faire chauffer la salle dans un précieux moment de joie et de partage.
Rocío Molina joue sur un registre différent mais dégage plus que jamais une puissance surnaturelle. Elle est peut-être la meilleure danseuse d’aujourd’hui, osant tout, capable de compacter flamenco et geste contemporain. Vuelto a Uno est le dernier volet de la trilogie pour guitares, dont les deux premiers épisodes avaient été présentés lors de la précédente Biennale. Rocío Molina reprend le même format, seule en scène. Elle retrouve ici le guitariste Yerai Cortés qui avait déjà subjugué par son jeu dans le second volet. Pour cette conclusion provisoire, Rocío Molina explose ses propres compteurs ! Si tout semble à priori bien sage, la danseuse dégaine vite un jeu de jambes et de bras qui épouse les moindres mesures de la musique de Yerai Cortés. Plus foutraque, plus punk aussi que le volet précédent, Vuelta a Uno consacre une artiste majeure qui a pris la tête du flamenco contemporain.
Danse et guitare, c’est aussi la forme adoptée par Andrés Marín, qui a offert au Théâtre de Chaillot une création mondiale. Recto y solo a fait souffler sur la Biennale un ouragan à la démesure de cet artiste sincère, profond et essentiel. Sans même avoir pris connaissance du propos tel qu’il s’expose dans le programme, Andrés Marín nous happe d’entrée, immobile à l’avant-scène côté cour, silhouette aveugle dont le visage est recouvert d’un tissu noir, botté et cape blanche. Vision onirique ou fantastique pour entamer ce voyage qui nous mène aux sources mêmes du flamenco. Se fondant sur le décalogue écrit par Vicente Escudero, figure emblématique du flamenco d’il y a un siècle, Andrés Marín dévoile au sens propre un personnage de clown triste, lèvres peintes en noir. Accompagné par le guitariste Pedro Barragán, le danseur impose un zapateo féroce, implacable, transcendant. Andrés Marín est un maître nécessaire de l’art flamenco.
Le Théâtre national de la Danse Chaillot a fait carton plein avec cette Biennale de l’art flamenco, devenue en quelques années un rendez-vous indispensable, réunissant aussi bien les aficionados que les novices attirés par cet art singulier, cette danse traditionnelle née en pays andalou et qui, pour des raisons qui restent à élucider, a pris un essor mondial. Aucun autre type d’art chorégraphique ne réunit sur scène dans une symbiose totale la musique, le chant et la danse. C’est une partie du mystère.
Biennale d’art flamenco du Théâtre national de la Danse Chaillot
Los Bailes Robados de David Coria, avec Ivan Orellana, Florencia Oz, Aitana Rousseau, Marta Galvéz (danse), Isidora O’Ryan (chant et violoncelle), David Lagos (chant) et Juan Jiméz Alba (saxophone et soprano). Mardi 30 janvier 2024.
La Leona d’Olga Pericet, avec Jose Manuel Léon, Alfredo Mesa (guitares), Juanfe Pérez (basse), Roberto-Jaén (percussion) et Israel Moro (chant). Samedi 3 février 2024.
Vuelta a Uno de Rocío Molina, avec Yerai Cortés (guitare). Mardi 6 février 2024.
Recto y solo d’Andrés Marín, avec Pedro Barragán (guitare). Samedi 10 février 2024.