Israel Galván – Locomoción Templar el templete
Un an après son solo dans la chapelle Saint-Louis de la Pitié Salpêtrière, Israel Galván a retrouvé Paris avec une nouvelle création intitulée Locomoción Templar el templete. Alors qu’était annoncée en début de saison Seises créée à la Biennale de Séville en 2022 mêlant danse flamenca et musique baroque – ce n’est que partie remise en septembre 2024 – c’est à une autre pièce que le bailaor sévillan nous a finalement conviés dans l’écrin du Théâtre des Abbesses. Entouré de deux musiciens et d’une jeune comédienne, il livre une proposition singulière, comme il est coutumier du fait. Nouant un dialogue toujours surprenant avec la musique, Israel Galván questionne le fameux templar, terme intraduisible qui décrit ce moment mystérieux qui précède le mouvement du danseur. Si sa manière d’occuper le plateau fascine, il nous laisse avec une curieuse sensation. Celle d’avoir assisté à un moment unique et précieux, mais pour lequel le danseur ne nous aurait pas donné toutes les clefs.
Israel Galván compte parmi ces icônes dansantes qui fédèrent nombre de groupies. De celles, comme ma voisine, qui reviennent deux ou trois fois en dix jours d’affiche. Car il y a effectivement quelque chose de l’ordre du rendez-vous dans le fait d’aller voir un spectacle de cet immense danseur. Et le Théâtre des Abbesses se prête bien à ce rituel. Sur le plateau à découvert, batterie, saxophone et autres instruments patientent en fond de scène. Différents supports jalonnent l’espace. Israel Galván apparaît, seul, taille ceinte d’un tablier, fleur piquée dans les cheveux et mules-sabots dans lesquelles il traine négligemment les pieds. Le premier terrain de jeu sur lequel il jette son dévolu est un matelas gonflable sonorisé sur lequel il évolue pieds nus. Il piétine ce carré mouvant et déroule contre toute attente son flamenco singulier qui depuis très longtemps s’affranchit des codes. Le bruit de ses voutes plantaires qui tambourinent ce matelas donne le rythme au début de la pièce.
Progressivement ce silence habité va laisser la place aux sons saturés d’Antonio Moreno et Juan Jimenez Alba, les deux musiciens qui entrainent le danseur dans une atmosphère déroutante fortement teintée de free jazz. À Ilona Astoul, comédienne issue de la troupe du Théâtre de la Ville, la responsabilité d’assumer des intermèdes parlés. Elle dit des extraits de poèmes de Federico García Lorca ou de la Métamorphose de Kafka. C’est à elle aussi qu’incombe la mission de nous faire percevoir la réalité ou les réalités du terme templar, ce moment qui précède l’explosion du mouvement. Elle s’essaie même à quelques pas de flamenco. La connexion avec le bailaor reste toutefois assez énigmatique.
Cherchant toujours une voie qui lui est propre, soucieux d’une liberté qui le pousse à prendre des initiatives qui parfois peuvent sembler anecdotiques, Israel Galván continue d’utiliser la scène comme un laboratoire. Depuis quelques pièces, comme dans Mellizo Doble, le danseur s’essaie à des supports différents pour faire surgir d’autres sons, d’autres mouvements, d’autres épiphanies. Des tentatives parfois de l’ordre de l’inconfortable, parfois rugueuses, mais où la danse flamenco explose dans toute sa vivacité. Un explorateur en quête de terres inconnues.
À chaque fois, le danseur nous embarque dans un nouveau voyage. Comment ne pas se laisser porter ? A la fin surgissent les noms de Vincente Escudero ou Carmen Amaya. Un hommage au Panthéon flamenco de l’artiste, à ses racines. Là réside toute la richesse de ce danseur inclassable résolument tourné vers l’avenir, mais aussi pétri de cette culture familiale. « Mon père m’a toujours enseigné qu’il fallait tuer le public, tuer celui qui dansait à côté de vous. Ce n’est pas suffisant de danser bien, l’autre doit perdre », confiait-il récemment dans un passionnant entretien avec Arnaud Laporte sur France Culture. S’affranchissant de ce credo, Israel Galvan semble danser avec comme unique ressort la quête de lui-même. C’est ce qui le rend à la fois si fascinant et, peut-être aussi parfois, si inaccessible.
Locomoción Templar el templete de et avec Israel Galván. Avec Antonio Moreno (percussions), Juan Jimenez Alba (saxophone et instruments à vent), Ilona Astoul. Dimanche 18 février 2024 au Théâtre de la Ville-Les Abbesses.
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