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Rencontre avec Cédric Andrieux, directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon est sur un nouveau départ depuis cette saison, avec l’arrivée à sa direction de Cédric Andrieux il y a quelques mois. Ancien danseur de la troupe, interprète pendant de longues années de Merce Cunningham, il a dirigé pendant cinq ans le département Danse du CNSMDP, avant de prendre les rênes de la compagnie lyonnaise. Une troupe qui se cherche depuis quatre ans, entre un départ compliqué en 2020 de Yorgos Loukos, son directeur emblématique pendant plus de 30 ans, et la direction de Julie Guibert, arrivée juste avant le Covid et qui a connu quatre années hésitantes. Mais c’est serein qu’est arrivé Cédric Andrieux en août dernier. Après ses premiers mois à la direction du Ballet de l’Opéra de Lyon, il nous parle de ses projets pour la troupe et de sa vision pour ce Ballet pas comme les autres.

 

Cédric Andrieux, directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Comment avez-vous trouvé le Ballet de l’Opéra de Lyon en arrivant en août dernier ? La compagnie était-elle divisée après le départ de Julie Guibert ?

Je m’attendais à trouver une compagnie plus désœuvrée. Mon arrivée à la direction de la danse au CNSMDP avait aussi été compliquée, dans un environnement plus abîmé. La question du collectif n’est jamais simple là-bas, entre les classiques, les contemporains et la notation du mouvement. À Lyon, s’il a pu être dur à se trouver ces deux-trois dernières années, j’ai trouvé en arrivant un collectif qui attendait une nouvelle direction et qui a joué le jeu d’une nouvelle direction, plutôt enthousiaste à l’idée de partir sur autre chose. Ils étaient très prêts à travailler avec l’envie d’un cadre.

 

Il n’y avait pas de cadre sous la direction de Julie Guibert ?

Julie Guibert a fait exploser les cadres, ce qui était intéressant philosophiquement dans son approche. Après, il y a l’épreuve de la réalité et du quotidien, notamment la question de la classe. Il y a des rendez-vous obligatoires dans un collectif. Je pense qu’elle essayait de faire des pas de côté là-dessus. Pour ma part, j’ai choisi une approche plus pragmatique.

 

Quel regard extérieur portez-vous sur sa direction pendant quatre ans ?

Yorgos Loukos avait créé l’ADN du Ballet de l’Opéra de Lyon, en amenant énormément d’artistes, en développant le Ballet à l’international. Passer après une figure si forte n’est jamais évident. Les conditions de départ n’étaient pas simples, celles de l’arrivée de Julie Guibert non plus, juste avant le Covid. Son projet lui ressemblait, assez radicalement différent de ce que Yorgos Loukos avait proposé au fil des années. Je pense que cela a suscité à la fois de l’engouement, de la joie, de l’inquiétude, de l’incompréhension et des gens qui ne s’y sont pas forcément retrouvés. Je sais que cela a pu être difficile pour elle, à la hauteur de la difficulté du projet qu’elle voulait porter. Julie Guibert avait une ambition énorme pour cette compagnie. Et il y a eu des beaux succès : La Belle au Bois Dormant de Marcos Morau, l’arrivée de Pina Bausch au répertoire qui a symboliquement était très fort, la création d’une quinzaine de solos pour les artistes de la compagnie avec le projet Danser Encore, pendant le Covid. Et cela a remué la compagnie. Aujourd’hui, certains artistes me disent que, si cela a été difficile, ces moments leur ont permis de se poser des questions qu’ils ne se seraient sinon pas posées, comme le fait de s’individualiser dans un environnement collectif. Julie Guibert aura réussi à laisser son empreinte dans cette compagnie.

 

La Belle au Bois Dormant de Marcos Morau – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Avant d’être nommé à la tête du Ballet de l’Opéra de Lyon, vous avez dirigé pendant cinq ans le pôle chorégraphique du CNSMDP, mais jamais de compagnie. Pourquoi ce choix de partir diriger une troupe ?

La notion de conduire un projet est ce qui m’intéresse avant tout. En arrivant au CNSMDP, la pédagogie n’était d’ailleurs pas forcément centrale dans mon expérience. J’aime mener un projet, le penser sur le papier puis le mettre à l’épreuve de la réalité, de l’ajuster, avec des équipes. Là-dessus, mon expérience au CNSMDP a été fondatrice et déterminante.

 

Vous êtes restés cinq ans au CNSMDP, ce qui est finalement court, surtout qu’il y a eu la période du Covid. Il n’y a pas de frustration à être parti un peu tôt ?

Déjà, le Covid n’a pas du tout été une période d’arrêt. Au contraire, cela a permis d’accélérer un certain nombre de choses, ce fut une période incroyablement riche en termes de management. Et nous sommes restés seulement trois jours sans cours ! J’étais venu au CNSMDP avec l’idée d’un “Conservatoire ouvert sur le monde” : que le Conservatoire rayonne à l’extérieur et que le monde puisse venir à l’intérieur. J’ai le sentiment de l’avoir mené à bien. Si j’ai pu avoir l’impression de partir un peu tôt, c’est que j’arrivais au moment où je profitais de tout ce que j’avais mis en place. C’était émouvant de quitter les équipes en plein essor, j’aurais eu envie de partager ce moment de plénitude avec eux. Quand je suis arrivé au CNSMDP, ma secrétaire m’avait connu étudiant, certaines personnes de l’équipe m’avaient vu débarquer de Brest à l’âge de 15 ans. Ces équipes permanentes nous regardent passer, cela force l’humilité et c’est le bon côté des établissements publics. Ce n’était pas mon Conservatoire : j’étais là pour apporter ma pierre à l’édifice. Je me positionne un peu comme cela au Ballet de l’Opéra de Lyon.

 

Quel est votre projet pour cette compagnie ?

Il y a chez moi cette idée de se placer dans une continuité. Je n’arrive pas avec une pensée radicale de ce que doit être un ballet en 2024 sous ma direction. J’ai eu la chance de danser dans cette compagnie, de voir ce que Yorgos Loukos avait développé. Cette troupe fait des grands écarts non-stop. Elle est l’endroit de grands créateurs et créatrices comme Maguy Marin ou William Forsythe. Elle joue aussi la carte du répertoire, ce qui a fait qu’elle est devenue la maison de Merce Cunningham ou de Trisha Brown. Pour moi, ce modèle reste valable et intéressant, peut-être encore plus aujourd’hui qu’il y a 15 ou 20 ans, alors que ces chorégraphes étaient encore vivants et avaient leur propre compagnie. En même temps, ce Ballet fait une place à l’expérimentation, fait venir des gens que l’on n’imagine pas forcément dans une maison d’opéra. Ce fut l’un des premiers à travailler avec Jérôme Bel ou Christian Rizzo. Tout cela forme l’ADN du Ballet de l’Opéra de Lyon et cela me semble intéressant de le garder.

 

Mais comment ne pas faire pareil que Yorgos Loukos ?

Le but n’est pas de faire pareil ou non que Yorgos Loukos. Le but est de faire bien. Je n’ai pas d’ego à cet endroit. Mon ambition est que le Ballet de l’Opéra de Lyon existe, qu’il ait une place unique sur la scène nationale et internationale, que ce soit aussi un Ballet qui soit actuel dans sa pratique de management, de santé, d’encadrement de carrière. Le monde de la danse a énormément changé ces dix dernières années. La danse est une pratique qui se fait dans le silence, on démarre très tôt son apprentissage, on devient professionnel très tôt. Nous ne sommes pas sur le terreau le plus à même de participer à la libération de la parole et de réfléchir sur nos pratiques.

 

Mon ambition est que le Ballet de l’Opéra de Lyon existe, qu’il ait une place unique sur la scène nationale et internationale, que ce soit aussi un Ballet qui soit actuel dans sa pratique de management, de santé, d’encadrement de carrière.

 

Comment manager différemment alors ? Quelles sont vos ambitions sur ce sujet ?

Tout passe par la communication. Les conflits naissent très souvent d’un manque de communication ou d’une communication non comprise. Être le plus transparent possible. C’est ce que j’ai pratiqué au CNSMDP et c’est ce que je continue à faire ici. On donne les informations aux artistes, on se concerte, on se renseigne et on prend la décision qui réunit le plus de critères. Et on considère les danseurs et danseuses comme ce qu’ils sont : des adultes.

 

Au CNSMDP, l’un de vos gros projets a été de mettre en place un véritable pôle santé. Qu’en est-il à Lyon ?

À Lyon, nous avons un médecin référence, une équipe de kinés. J’aimerais que l’on développe un plateau santé avec des machines et des équipements, une salle de sport et de rééducation. Au CNSMDP, on n’avait pas grand-chose et on a eu beaucoup de moyens. À Lyon, il y a déjà un certain nombre de choses, mais sur ces enjeux de santé, il manque de la cohérence et de la coordination. Et il faut aller chercher les moyens budgétaires, au niveau de l’État, des collectivités, du financement privé.

 

Votre première audition pour recruter des artistes l’été dernier se déroulait sur pointes pour les danseuses. Comment vos recrues cohabitent avec celles de Julie Guibert, peut-être plus tournées vers la technique contemporaine ?

Il y a encore des recrues de Julie Guibert dans l’effectif, et des éléments exceptionnels qui ont un bagage classique. C’est ce que j’aime dans cette compagnie : avoir des danseurs et danseuses qui ont en majorité une carrière de danse classique, et toujours un ou deux, dont je faisais partie à l’époque, un peu différents. C’est la force de cette compagnie de réussir à les faire cohabiter, cela n’existe pas beaucoup ailleurs.

 

Canine Jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Quelle est pour vous une saison idéale du Ballet de l’Opéra de Lyon ?

Il faut comprendre à quel endroit on est et à quel endroit où nous attend. Il y a des attentes des interprètes, ce qu’ils ont envie de danser, ce qui les fait vibrer. C’est important de le prendre en compte. Ils ont été entraînés à être extrêmement virtuoses dans une certaine technique. Ils ont besoin de revisiter cette maison, de goûter à leur virtuosité, à ce pour quoi ils ont tellement travaillé. Ils ont aussi tous cette particularité d’avoir le goût de l’inconnu, que l’on ne va pas retrouver dans toutes les compagnies, même dans celles dites ”contemporaines”. Ils ont cette envie de l’expérimentation, de se retrouver devant un chorégraphe qu’ils ne connaissent pas. C’est le deal quand ils arrivent dans cette compagnie et c’est pour cela qu’elle me donne envie.

Puis il y a notre public, celui de Lyon, qui connaît la danse, qui se reconnaît dans certains noms. C’est aussi un public qui est habitué à l’audace, à l’expérimentation. Il faut donc le surprendre, on ne peut pas lui remâcher les mêmes choses. Il y a également les attentes construites à Paris et le partenariat très fort avec le Festival d’Automne. Cela nous interroge sur d’autres degrés de pertinence : Canine Jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas, par exemple, a toute sa place à cet endroit, peut-être que cette proposition est un peu plus déroutante à l’Opéra de Lyon. Il faut enfin penser à la programmation qui va nous faire tourner au niveau national et international, les grands noms de la danse. Si on a répondu à ces quatre questions, on a une belle saison.

 

Où se situe le répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon pour vous ?

William Forsythe, Jiří Kylián, Mats Ek, Trisha Brown, Merce Cunningham, Anne Teresa de Keersmaeker. Mais le répertoire, cela s’interroge par “Qui’, mais aussi par “Quoi’ : quelle pièce de Mats Ek aujourd’hui, quelle pièce de William Forsythe ? Il y a une histoire qui s’est un peu distendue, il faut que l’on crée un dialogue, une confiance. Ils font partie des gens qui, je l’espère, accepteront d’être présents de façon régulière au sein du Ballet. Après mon départ, dans les années 2010, Yorgos Loukos a fait venir des pièces de Roland Petit ou George Balanchine. Je n’ai pas de tabou par rapport à ça. Mais est-ce qu’on est en capacité d’entretenir un tel degré de virtuosité pour ce niveau de difficulté, au regard des grands écarts stylistiques que l’on fait ? C’est la question à se poser.

 

Et en termes de découvertes, de surprises ? Vers quel-le-s chorégraphes aimeriez-vous aller ?

La danse israélienne est finalement assez peu présente au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon. Sharon Eyal – que l’on voit partout mais ce n’est pas rédhibitoire pour moi – peut avoir une place ici, ou Ohad Naharin. Je pense aussi à François Chaignaud, Nacera Belaza, ou des chorégraphes qui ont été très vus à un moment comme Daniel Larrieux. Également des chorégraphes très présents à un endroit mais qui ne sont pas venus ici, comme Pontus Lidberg ou David Dawson. Il y a aussi la question des ballets narratifs que j’aimerais bien interroger : je veux que l’on ait un Lac des cygnes par exemple.

 

Quelles sont vos ambitions à plus long terme pour le Ballet, à cinq ans ou plus ?

Une des ambitions est que l’on puisse continuer à surprendre. C’est l’ADN de cette compagnie, comment elle s’est inventée. Elle a surpris en allant là où on n’attendait pas un Ballet d’opéra, à tel point qu’elle a donné l’exemple à beaucoup d’autres. La question serait donc de comprendre comment, en 2030, un Ballet comme le nôtre pourrait surprendre. Comment créer des rencontres artistiques qui ne pourraient exister nulle part ailleurs, entre des chorégraphes et des créateurs et créatrices qui ne se connaissent pas encore, issues de la musique, de la mode, de l’architecture. Brigitte Lefèvre m’a beaucoup inspirée sur ce point. Et j’ai été biberonné à ça, avec Merce Cunningham notamment. Il y a aussi une relation à la culture pop qui m’intéresse. Quel serait un projet où, par exemple, Juliette Armanet pourrait intervenir ? Mais est-ce que ce serait aussi surprenant que d’avoir fait venir Jérôme Bel il y a 20 ans ? Je ne sais pas.

L’ambition est aussi d’inventer un modèle vertueux à tous les endroits : en termes de conditions de tournées, de travail, de vie sociale, économique et écologique. Ces questions sont posées en permanence, mais cela a été tardif dans le monde de la danse. Nous sommes dans des fonctionnements tellement culturellement hiérarchiques : comment interroger notre rapport à la hiérarchie en 2025, en 2030 ? Aujourd’hui, quand on prend la tête d’une compagnie, on parle d’un projet artistique et de management à part égale, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. C’est un changement sociétal énorme. Diriger une compagnie, c’est aussi diriger un collectif, des hommes et des femmes, et de réfléchir à comment on le fait, comment on communique, comment on échange et instaure un dialogue social apaisé.

 

Beach Birds de Merce Cunningham – Ballet de l’Opéra de Lyon (2009)

 

À voir ressemblera la saison 2024-2025, la première que vous programmerez à l’Opéra de Lyon ? 

Nous aurons trois nouveaux programmes et un composé de reprises. Nous y retrouverons les quatre bases évoquées plus haut. Nous sommes sur cette idée de grand écart. Cette saison est beaucoup pensée à partir des artistes de la compagnie. Il s’agit de donner la part belle aux danseurs et danseuses, de voir d’un programme à un autre à quel point ils peuvent être virtuoses et grandioses.

 

Le Ballet de l’Opéra de Lyon, à voir dans Canine Jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas jusqu’au 8 mars à la Maison de la Danse, du 14 au 16 mars 2024 au Théâtre National de Wallonie-Bruxelles. Soirée Merce Cunningham du 16 au 20 avril à l’Opéra de Lyon

 

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