TOP

Ballet de Lorraine – Petter Jacobsson et Peter Caley / Marco da Silva Ferreira

Se tourner vers l’avenir tout en restant ancré dans le présent sans nostalgie excessive du passé : tel est le fil rouge de cette dernière saison de Petter Jacobsson et Thomas Caley après 13 années à la tête du Ballet de Lorraine. Sous le titre Instantly Forever, leur ultime création avec la compagnie nancéienne révèle une pièce tellurique en noir et blanc, un explosion sur-vitaminée ponctuée de courses enivrantes sur les rythmes syncopés d’Igor Stravnisky et Steve Reich. Comme un contrepoint en couleur, Marco da Silva Ferreira prolonge cette éruption volcanique de la danse avec A Folia, transe psychédélique implacable qui confirme la place de tout premier plan du chorégraphe portugais dans la création contemporaine. Une soirée festive sans une once de nostalgie, interprétée par l’une des plus jeunes troupes françaises, exceptionnelle techniquement et capable de prendre tous les risques artistiques afin de servir deux chorégraphies qui sollicitent des qualités physiques de tous les instants. Une soirée idéale pour se dire au revoir.

 

Instantly Forever de Petter Jacobsson et Thomas Caley – Ballet de Lorraine

 

Il y avait immanquablement de l’électricité dans l’air pour ce programme aux deux créations du Ballet de Lorraine, dont la dernière pièce de Petter Jacobsson et Thomas Caley pour la compagnie. Pas un adieu mais à tout le moins un au revoir. À partir du 1er janvier prochain, le duo en place depuis 13 ans cède sa place à Maud Le Pladec, qui sera à la barre de cette compagnie de 24 danseuses et danseurs parmi les tout meilleurs. Mais foin de la nostalgie ! Les deux chorégraphes ont imaginé une pièce qui explore le temps de la plus belle des manières. Instantly Forever est un fantastique hymne à la vie. Qui débute en silence sur un plateau parsemé de tubes métalliques reflétant la lumière, et d’un tapis noir brillant faisant presque office de miroir. Une danseuse de dos semble fixer un public imaginaire de l’autre côté du mur de fond de scène, comme on retient son souffle. Puis sans prévenir déboulent les premières mesures de la Symphonie en trois mouvements d’Igor Stravinsky. Et avec elles une tornade composée de vingt danseuses et danseurs, en shorts ou bermudas, baskets aux pieds, tous identiques et tous différents. Une seule constante : le noir et blanc et la photo de leur propre visage sur leur tee-shirt, telle une élégante métaphore de la singularité quand elle s’inscrit dans la force du groupe. Se succèdent de larges manèges, des courses folles ininterrompues si ce n’est par des sauts et des esquisses de grands jetés, comme si Petter Jacobson convoquait ici son propre passé et ses années de danse académique.

La partition ultra syncopée de Stravinsky, qui fait écho parfois au Sacre du Printemps, dicte une cadence infernale scandée de tours en l’air jusqu’à l’épuisement, dessinant un tableau vivant qui se reflète dans le sol. Cette séquence d’ouverture nous laisse à bout de souffle, terrassés par la force irrépressible du groupe déversant une énergie que l’on croirait incontrôlable. Survient alors la musique de Steve Reich et sur les notes de Pulses et Pulses 2, le mouvement s’apaise sur des phrases musicales répétitives et empreintes de mélancolie. Cette phase plus apaisée et quasi hypnotique fait toujours la part belle aux ensembles qui alors se disloquent. Instantly Forever atteint des sommets d’intensité sur une danse nerveuse et athlétique alors que Petter Jacobsson et Thomas Caley s’amusent à créer un chaos pour mieux l’organiser, mettant en œuvre une géométrie diabolique. La danse est en permanence sublimée par les belles lumières d’Éric Wurtz qui fait jouer les reflets des danseuses et des danseurs sur le sol créant ainsi un étrange camaïeu flou en noir et blanc. Instantly Forever est un superbe cadeau d’adieu à une compagnie capable de relever tous les défis esthétiques dans un élan physique titanesque.

 

a Folia de Marco da Silva Ferreira – Ballet de Lorraine

 

Ce sont les mêmes interprètes que l’on retrouve poura Folia de Marco da Silva Ferreira, star montante de la danse contemporaine qui confirme avec cette création son statut. Le chorégraphe portugais offre en effet au Ballet de Lorraine une pièce magistrale, aboutie, qui met le feu à la salle. Et pour cause. Le chorégraphe va puiser son inspiration dans une tradition portugaise de la Renaissance où « des bergers et des bergères dansaient de manière confuse en portant sur leurs épaules des hommes habillés en femme… »  À partir de ce rituel païen, Marco da Silva Ferreira construit une pièce où la température s’affole, avec un départ dans le vide de la scène enfumée qui se remplit quand les danseuses et les danseurs s’agrègent. Du noir et blanc strict, on passe à une débauche de couleurs, de plumes, de costumes carnavalesques de cette bacchanale qu’est a Folia. La musique d’Arcangelo Corelli a été savamment arrangée par Luis Pestana en une série de phrases musicales qui se répètent ad libitum.

Marco da Silva Ferreira adopte une fusion de style : hip hop, house, krump, voguing, danse contemporaine, son arsenal stylistique est vaste mais jamais il ne s’éparpille. Dans cette fête populaire dansée à la physicalité inouïe, il donne à chacune et chacun de quoi satisfaire son appétit dans des solos où se joue un dialogue, tel un défi entre le groupe et l’individu qui semble y puiser une énergie nouvelle pour aller au bout de cette transe dansée sans interruption. Comme en écho involontaire de la pièce précédente, Marco da Silva Ferreira s’amuse à organiser le chaos, distendre le groupe pour mieux le ressouder. On voit peu de chorégraphes capables aujourd’hui de déployer une écriture aussi précise et efficace sans jamais être racoleuse pour un large ensemble. Il invente un syncrétisme des danses urbaines avec une incessante virtuosité qui contamine ses interprètes.

Voilà ainsi deux pièces plus qu’enthousiasmantes qui méritent de s’inscrire durablement dans le répertoire du Ballet de Lorraine. Évidemment, on regrettera Petter Jacobsson et Thomas Caley qui, en treize ans, ont écrit l’une des pages les plus glorieuses de la compagnie. Et on se réjouit qu’une femme, Maud Le Pladec reprenne le flambeau à Nancy en janvier prochain. La chorégraphe a déjà travaillé avec la troupe et sa pièce Static Shot sera reprise au printemps. Présente le soir de la première, elle ne tarissait pas d’éloges sur une compagnie dont l’excellence saute aux yeux. Le passage de témoin devrait se faire en douceur.

 

a Folia de Marco da Silva Ferreira – Ballet de Lorraine

 

Instantly Forever de Petter Jacobsson et Thomas Caley  ; a Folia de Marco da Silva Ferreira. Avec Jonathan Archambault, Aline Aubert, Alexis Baudinet, Malou Bendrimia, Charles Dalerci, Inès Depauw, Mina Endeweld, Angela Falk, Nathan Gracia, Inès Hadj-Rabah, Laure Lescoffy, Valérie Ly-Cuong, Andoni Martinez, Afonso Massano, Morenzo Mattioli, Clarisse Mialet, Elisa Rouchon, Céline Schoefs, Gabin Schoendorf, Lexane Turc, Marc Twining et Luc Verbitzky. Jeudi 7 mars 2024 à l’Opéra de Lorraine. À voir jusqu’au 12 mars. Static Shot de Maud Le Pladec, à voir en tournée et à Nancy du 17 mars au 15 juillet.

 

Vous avez aimé cet article ? Soutenez la rédaction par votre don. Un grand merci à ceux et celles qui nous soutiennent. 

 




Poster un commentaire