Ballet de Hambourg – La Dame aux Camélias de John Neumeier
C’est un au revoir mais certainement pas un adieu ! Dans quelques semaines, le 14 juillet très exactement, à l’issue du 49e Gala Nijinsky, John Neumeier passera les clefs du Ballet de Hambourg, une compagnie qu’il a créée, à Demis Volpi venu du Ballet de Düsseldorf. Pour cette ultime saison, le chorégraphe a repris entre autres son œuvre iconique La Dame aux Camélia. Avec différentes distributions, dont notamment Alina Cojocaru et Anna Laudere dans le rôle-titre. Toutes les deux furent souveraines dans l’incarnation de Marguerite Gautier, appuyés par des partenaires et un corps de ballet exceptionnel.
Aucun ballet de John Neumeier n’a connu un tel succès. La Dame aux Camélias est au répertoire de dix compagnies à travers le monde, dont l’Opéra de Paris, et a été représenté plus de 250 fois par le Ballet de Hambourg. Ce n’est pourtant pas dans cette ville et avec cette compagnie qu’est née cette œuvre. John Neumeier s’était tourné vers le Ballet de Stuttgart quand il a créé La Dame aux Camélias, il y a 45 ans. De son mentor John Cranko, l’ancien directeur décédé prématurément à l’âge de 45 ans, John Neumeier a appris comment bâtir un ballet narratif en trois actes, à l’image d’Onéguine qui deviendra aussi un tube international du répertoire. Et c’est à Marcia Haydée qu’il proposa ce ballet qui n‘est encore qu’une ébauche. La muse de John Cranko a succédé à ce dernier à la tête du Ballet de Stuttgart. Elle a alors 41 ans et elle hésite à se lancer dans une création de cette ampleur. John Neumeier finit par la convaincre et le ballet est créé à Stuttgart le 4 novembre 1978. C’est un triomphe immédiat et Marcia Haydée n’est pas pour rien dans ce succès. La Ballerina Assoluta brésilienne marque le rôle à jamais. On peut voir sur internet des vidéos qui attestent la virtuosité technique et le rayonnement dramatique de la ballerine : elle est à ce jour l’une des seules – et peut-être la seule – à réaliser à la perfection les portés insensés imaginés par John Neumeier, notamment dans le pas de deux du troisième acte, acrobatique et complexe à l’extrême.
La Dame aux camélias est l’un des tout premiers grands ballets narratifs que John Neumeier, inscrit au répertoire du Ballet de Hambourg dont il a pris les rênes depuis 1973. C’est ainsi que des générations de danseuses se sont succédé dans ce rôle phénoménal, comparable à celui de Tatiana dans Onéguine de John Cranko et Manon de Kenneth MacMillan. Cette trilogie d’or fait toujours les beaux jours des grandes compagnies internationales et nombre de ballerines rêvent d’interpréter ces héroïnes, qui requièrent à la fois une technique exceptionnelle et d’immenses qualités dramatiques. John Neumeier savait que Marcia Haydée conjuguait ces deux aspects essentiels. Qu’importe si elle n’a pas l’âge du rôle tant il est convaincu que c’est là un détail trivial dont on ne saurait tenir compte.
Fidèle à ce credo, c’est encore aujourd’hui à des vétérans qu’il confie ce rôle. Alina Cojocaru, Étoile invitée du Ballet de Hambourg, a assuré ainsi avec le talent qu’on lui connaît la première distribution, lors de la reprise du ballet en janvier dernier. À 42 ans, malgré de graves blessures au pied, la danseuse roumaine demeure impériale. Si elle conserve cette juvénilité délicieuse, elle incarne une Marguerite Gautier de grande classe, faisant évoluer son personnage de la jeune femme frivole, revenue de tout, à l’amoureuse désespérée. Quelle aisance dans sa danse : une inflexion des hanches, un épaulement qui se modifie, une arabesque dont elle maîtrise le tempo, Alina Cojocaru excelle, mettant à profit sa technique imparable pour exprimer chaque détail tel qu’elle le souhaite, soutenue par Alexandr Trusch, partenaire idéal et virtuose indiscutable. Deux cadeaux accompagnaient cette première distribution. Silvia Azzoni, 50 ans, aujourd’hui danseuse de caractère dans la compagnie, rechaussa les pointes pour interpréter le rôle de Manon. L’âge ne semble en rien affecter la danseuse italienne qui livre une prestation exceptionnelle. Elle a longtemps dansé le rôle de Marguerite et connaît le ballet sur le bout des doigts. Un bonheur ne venant jamais seul, c’est Ivan Urban, danseur vedette de la compagnie dans les années 2000, qui a endossé le rôle de Monsieur Duval.
John Neumeier a aussi fait appel aux anciens de la compagnie pour la seconde distribution. Anne Laudere, qui est dans la troupe depuis 2001, n’en est pas à sa première Marguerite Gautier. Elle est aujourd’hui l’une des toutes meilleures interprètes du rôle, sachant doser impeccablement la montée de la tension dramatique. Son partenaire, le danseur ukrainien Edvin Revazov – 40 ans dont 20 dans la compagnie ! – éclate tel un jeune premier dans le rôle d’Armand. Il faut vite voir avant qu’ils ne partent de scène ces danseuses et danseurs qui ont accompagné durant des années John Neumeier, qui ont été formés par lui et qui sont toutes et tous de fabuleux interprètes. Mais on sait aussi que la relève est prête. Xue Lin qui dansait Manon ou Madoka Sugai qui incarnait Prudence Duvernoy sont déjà des valeurs sûres qui perpétuent les valeurs et les qualités de cette compagnie unique au monde.
Ne le cachons pas : il y aura beaucoup d’émotions, sans doute des larmes, ce 14 juillet 2024. John Neumeier a créé une compagnie de renommée internationale, fondée une école d’excellence, bâtit un répertoire qui recèle des pépites. On pouvait le voir quasiment à chaque représentation à l’Opéra de Hambourg, toujours assis à la même place, au premier siège du premier rang côté cour, surgissant de la coulisse par une porte dérobée alors que les lumières s’éteignent. C’est l’épopée improbable d’un jeune garçon de l’Amérique profonde qui a grandi dans le Wisconsin et qui aujourd’hui fait partie de l’histoire et de l’âme d’Hambourg. Demis Volpi lui succède et annonce de nouveaux noms pour la saison prochaine : Justin Peck, William Forsythe, Hans van Manen, Pina Bausch font leur entrée au répertoire du Ballet de Hambourg. Mais le nouveau directeur de la compagnie entend bien continuer à défendre les ballets de John Neumeier, chorégraphe de génie, d’une prolixité rare. Imaginez : il présentera le 30 juin, à la veille de ses adieux et en ouverture des Jours du Ballet, une nouvelle création, Epilogue sur les musiques de Schubert, Strauss et Simon et Garfunkel. Épilogue, mais pas point final !
La Dame aux Camélias de John Neumeier par le Ballet de Hambourg.
Avec Alina Cojocaru (Marguerite), Alexandr Trusch (Armand), Silvia Azzoni (Manon) et Ivan Urban (Monsieur Duval). Mercredi 10 janvier 2024.
Avec Anne Laudere (Marguerite), Edvin Revazov (Armand), Xue Lin (Manon) et Florian Pohl (Monsieur Duval). Vendredi 12 janvier 2024.
Prochaine représentation le 7 juillet 2024 dans le cadre du festival les Jours du Ballet de Hambourg du 30 juin au 14 juillet.
Thiéry
Très intéressant et instructif.
Je connais davantage la programmation et les danseur seuses du ballet de l’opéra de Paris. J’y ai pu voir cette sublime dame aux camélias, Onéguine. etc…
Toute mon admiration et félicitations à John Neumeier. Je ne serai pas là le 14/07 mais serai par la pensée avec lui.