Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle 2024
Huit écoles de danse venues du monde entier, des pièces de Serge Lifar, John Neumeier ou Frederick Ashton dansées par de tous jeunes interprètes aux portes du monde professionnel : voilà la belle recette du Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle, qui pour sa troisième édition depuis 2013 au Palais Garnier, a proposé un superbe programme. Les Petits Rats ont fait honneur à l’école française avec un Suite en blanc plein de panache, les élèves de Hambourg ont ému une fois de plus avec Yondering tandis que les écoles nord-amércaines ont montré de récentes créations. Et la Royal Ballet School nous a fait découvrir sa grande Étoile de demain. Une soirée dense et virtuose, montrant toute la diversité et la vitalité de la danse classique au XXIe siècle.
L’École de Danse de l’Opéra de Paris avait organisé, pour le tricentenaire de l’école française de danse en 2013, un très réussi Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle, réunissant des élèves de quelques grandes écoles de danse du monde entier. La directrice de l’École Élisabeth Platel a renouvelé l’expérience en 2017, avec toujours le même succès. Et cette troisième édition en 2024 n’a pas failli à la règle, en proposant une très belle soirée de plus de deux heures de danse, où des élèves, souvent à un pas de la vie professionnelle, ont proposé ce qu’ils avaient de meilleur.
John Neumeier, Frederick Ashton, Auguste Bournonville, de récentes créations… Ce Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle était une belle occasion de montrer toute la diversité des écoles de danse de par le monde, qui maintiennent coûte que coûte leur style et leur technique malgré une certaine uniformisation des compagnies. Même si, pour être honnête, le programme bien que très diversifié manquait de deux noms importants : Marius Petipa et George Balanchine. Le premier était amené lors des précédentes éditions par les écoles russes, qu’il était bien sûr inimaginable ni souhaitable de convier cette année. Quant à la School of American Ballet, dépositaire de l’école balanchinienne, son spectacle annuel tombant aussi en avril, elle a toujours été absente de ces galas. Les écoles nord-américaines invitées cette année auraient pu s’emparer de ces deux chorégraphes. Mais les deux présentes pour cette édition 2024, la San Francisco Ballet School et l’École du Ballet National du Canada, ont préféré venir avec des pièces récentes, qui ont aussi été les moins marquantes.
La San Francisco Ballet School a ainsi présenté Danse sacrée et Danse profane de Dana Genshaft, sur la musique de Debussy. Voilà une pièce typique du néo-classique américain : une danse vive, aimant les contrepoints, où règnent avant tout la musicalité très forte et l’art de l’abstraction. Les quatre jeunes interprètes du jour sont tous et toutes irréprochables, mais l’on peine toutefois à voir émerger un style propre, quelques aspérités dans la chorégraphie pour retenir notre attention. Idem pour l’École du Ballet National du Canada, venue avec sept interprètes et des extraits de Lay Dances de James Kudelka, sur la musique plus récente de Michael Torke. Rien de bien désagréable en soi pour ces danses mettant en avant les qualités des danseurs et danseuses, leur écoute de la musique et des autres, leur sens du mouvement et leurs aptitudes à prendre seul-e la scène. Mais là encore, il est difficile de cerner une signature chorégraphique bien spécifique. Enfin la Scuola di Ballo dell’Accademia Teatro alla Scala de Milan a présenté le pas de deux de Winter de Demis Volpi. Qui condense un peu tout ce que je n’aime pas dans le néo-classique d’aujourd’hui : des hyper-extensions à n’en plus finir, une musique déjà utilisée à l’infini et une trame technique consistant avant tout à voir une fille se faire manipuler physiquement par un garçon. Il faut reconnaître toutefois que Chiara Ferraiolo et Bruno Garibaldi s’en sortent bien, brillants dans une pas de deux très difficile techniquement et occupant la scène sans temps mort malgré leur jeune âge.
L’intérêt était tout de même tout autre quand les écoles venaient défendre leur propre technique. À commencer par l’École de Danse de l’Opéra de Paris, qui a ouvert et fermé les festivités. Un Ballo de Jirí Kylián fut servi en clôture, joli moment néo-classique bien dansé, même si l’on sentait un peu trop la fatigue de ces jours intenses de représentations. Ce ne fut pas le cas des extraits de Suite en blanc de Serge Lifar, qui a magnifiquement ouvert la soirée. Précision, musicalité, sens du style, panache des solistes (Ève Belguet et Corentin Dournes en tête) et ensembles impeccables du corps de ballet : ça, c’est l’école française ! Les élèves ont donné une leçon Lifar dont la compagnie pourrait bien s’inspirer. L’École du Ballet Royal du Danemark est bien sûr venue avec Auguste Bournonville, plus exactement le pas de deux de Kermesse à Bruges. Victor Winsløw et Blanche Charlot s’en sont sortis avec les honneurs, même si le premier semblait un peu vert, alors qu’au contraire sa partenaire montrait déjà un sens du jeu plein de charme. Les cinq élèves de l’École du Ballet National des Pays-Bas d’Amsterdam ont défendu avec panache des extraits de Cinq tangos de Hans van Manen, y montrant beaucoup de tempérament comme une grande maîtrise du maître de la danse néerlandaise.
Les huit étudiant-e-s de l’École du Ballet de Hambourg John Neumeier ont quant à eux raflé la palme de l’émotion avec des extraits de – comment pouvaient-ils venir avec autre chose – Yondering de John Neumeier, rejoints sur un passage par quelques garçons de l’École de Danse de l’Opéra de Paris. Yondering n’est dansé que par des adolescent-e-s, partout dans le monde. Parce que l’on ne peut danser cette pièce que lorsque l’on est entre ces deux âges, celui de la fin de l’adolescence et du début de l’âge adulte, ce moment de la joie du grand saut de l’inconnu mêlé à la nostalgie de l’enfance perdue. Sur la voix si belle et profonde de Thomas Hampson, Miguel Alves Oliveira brille dans l’emblématique variation masculine – un danseur déjà repéré au Prix de Lausanne, il dansait la variation de Quinn Bates qui a remporté le Young Creation Award 2024. Yun Li et Igor Genovesi sont désarmants de charme et de naïveté dans ce premier duo amoureux et maladroit. Le trio Beautiful Dreamer clôt tout en délicatesse ces extraits d’une pièce face à laquelle il est difficile de rester insensible, tant elle nous ramène avec une émotion véritable à nos souvenirs d’adolescence.
Mais c’est encore une fois la Royal Ballet School qui a gagné le jeu de l’applaudimètre. En 2017, elle avait fait forte impression avec le pas de deux de Concerto de Kenneth MacMillan. En 2024, place à ni plus ni moins que le terrible Rhapsody de Frederick Ashton, un enivrant déluge de virtuosité à vous donner le tournis. Rebecca Stewart a un charme irrésistible, et comme elle brille dans les bras de son partenaire Ravi Cannonier-Watson ! Le duo était impeccable et brillant. Mais c’est le nom de Emile Gooding qui était sur toutes les lèvres à la fin de la représentation. Quand le rideau se lève, il est seul en scène, défiant avec amusement du regard le public. Il y a quelques secondes où le temps se suspend… Puis il se lance crânement dans la vertigineuse grande variation masculine, déluge de virtuosité qui ne doit jamais se départir d’un certain sens de l’humour. Emile Gooding n’est plus élève, il est déjà soliste ! Il a tout simplement tout : une technique brillantissime, un charisme débordant, un sens du jeu réel et une façon innée de tenir le public en haleine. Tout le public du Palais Garnier chavire, les coulisses aussi. Il y a eu la certitude ce soir de voir sous nos yeux les premiers pas à l’international d’un futur Grand de la danse.
Le tout s’est terminé – on est à l’Opéra de Paris ! – par le Défilé des élèves sur la musique de Mendelssohn. Un moment joyeux et festif, salué durant ses sept minutes par les applaudissements nourris et sans discontinuer du public. Idéal pour terminer ce qui est sans conteste l’une des soirées les plus réussies de la saison.
Gala des Écoles de Danse du XXIe siècle. Orchestre des Lauréat-e-s du Conservatoire, direction musicale Yannis Pouspourikas
Extraits de Suite en blanc de Serge Lifar par l’École de Danse de l’Opéra de Paris, avec Constance Colin, Typhaine Gervais et Viktoriia Pirogova (la Sieste), Ève Belguet (la Flûte), Manon Baranger, Natalie Henry, Corentin Dournes, Milo Mills, Anaïs Morin-Choukroun, Emryck Sanchez-Raffy et Sacha Alié ; Danse sacrée et danse profane de Dana Genshaft par la San Francisco Ballet School, avec Maya Chandrashekaran, Emmitt Friedman, Cooper Meeks et Juliana Wilder ; Pas de deux de Kermesse à Bruges de Auguste Bournonville par l’École du Ballet Royal du Danemark, avec Victor Winsløw et Blanche Charlot ; Extraits de Raphsody de Frederick Ashton par la Royal Ballet School, avec Emile Gooding, Rebecca Stewart et Ravi Cannonier-Watson ; Extraits de Cinq Tangos de Hans van Manen par l’École du Ballet National des Pays-Bas d’Amsterdam, avec Gabrielle Brett, Annabelle Eubanks, Raul Izquiero Mulerp, Adrian Lujan Manzano et Devon Luxton ; Extraits de Yondering de John Neumeier par l’École du Ballet de Hambourg John Neumeier, avec Miguel Alves Oliveira, Javier Martinez Segura et José Abilio Neri, rejoints par les élèves de l’École de Danse de l’Opéra de Paris Hadrien Moulin, Martin Paul et Carlo Zarcon (Jeannie with the Light Brown Hair), Yun Li et Igor Genovesi (Molly Do you Love Me ?), Azul Ardizzone, Javier Martinez Segura et José Abilio Neri (Beautiful Dreamer) ; Extraits de Lay Dances de James Kudelka par l’École du Ballet National du Canada, avec Yuki Chikai, Emerson Hambie, Jake Marshall, Alexander Stevens, Ryussei Nagafuchi, Reine Bourassa et Elia Roger-Viviès ; Pas de deux de Winter de Demis Volpi par la Scuola di Ballo dell’Accademia Teatro alla Scala de Milan, avec Chiara Ferraiolo et Bruno Garibaldi ; Un Ballo de Jirí Kylián par l’École de Danse de l’Opéra de Paris, avec Manon Baranger, Nael Dimbas, Natalie Henry, Ilyane Bel-Lahsen, Jasmine Atrous, Mei Matsunaga, Chiara Chapelet, Marc-Anthony Betta Ndabo, Alyssia Ferreira-Casevecchie et Alaric Rigaud.
Mercredi 17 avril 2024 au Palais Garnier.