GöteborgsOperans Danskompani – Wild Poetry de Hofesh Shechter / Saaba de Sharon Eyal
La GöteborgsOperans Danskompani, qui depuis quelques saisons vient régulièrement en France, est passée par Lyon pour sa tournée européenne 2024. Elle avait dans ses bagages une première française : Wild Poetry de Hofesh Shechter, une création montée en début de saison en Suède. Et complétait son programme par l’efficace Saaba de Sharon Eyal, déjà montrée lors d’une précédente visite française. La qualité de cette troupe contemporaine est toujours au rendez-vous, proposant ainsi un programme, entre deux personnalités incontournables du monde de la danse, d’une intensité séduisante.
Encore Hofesh Shechter ! Encore Sharon Eyal ! Non seulement ces deux chorégraphes viennent souvent en France avec leur propre compagnie, non seulement les compagnies françaises se les arrachent, mais les troupes étrangères les emmènent souvent dans leurs bagages pour leurs tournées hexagonales. Ce qui peut donner une légère sensation d’overdose en regardant les programmations. Mais on ne peut que les comprendre devant le talent de ces deux chorégraphes, qui mine de rien arrivent à se renouveler et à s’adapter à chacune des troupes avec lesquelles ils travaillent.
Lors de sa tournée française cette saison, la GöteborgsOperans Danskompani a ainsi misé sur ces deux valeurs sûres, comme ce fut le cas lors de son voyage en 2022. Saaba de Sharon Eyal y avait déjà été présentée. Contemporary Dance de Hofesh Shechter complétait alors le programme. Pour cette saison, place plutôt à une nouvelle création du chorégraphe, Wild Poetry, créé il y a quelques mois à Göteborg. Qui sonne un peu comme étant la suite de la première pièce, mais dans une tonalité plus joyeuse, presque plus apaisée. Si l’on se souvient des premières pièces de Hofesh Shechter montrées en France dans les années 2000, on se rappelle de cette puissance rageuse et volontairement agressive, avec la musique poussée à fond et une gestuelle martelée et brutale. C’est ce qui faisait la force de ces pièces. Il y a toujours cette énergie implacable dans Wild Poetry, cet élan formidable qui emporte tout sur son passage. Mais l’ambiance y est joyeuse, enthousiaste, presque fun. La brutalité du geste s’est comme lissée, pour laisser voir plus de complexité dans l’intention des interprètes.
Sur scène, les 16 interprètes se rejoignent en un heureux rassemblement, un peu comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps et partageaient le bonheur de se retrouver. Un peu aussi comme les retrouvailles entre le chorégraphe et la compagnie. Les costumes sont inspirés du quotidien, comme dans Contemporary Dance, mais avec quelques détails plus extravagants, plus théâtraux. Comme si chaque danseur et danseuses y avait rajouté sa touche. Le groupe se rassemble et s’assoit, pendant qu’un artiste évolue devant eux, semblant leur raconter tout ce qui lui était arrivé pendant leur séparation. Même si le procédé est efficace, cette introduction part un peu dans le flou, comme si le chemin à prendre était encore un peu hésitant. Puis la musique, toujours composée par Hofesh Shechter, prend un tournant plus brut, plus marqué, accélérant le tempo et la puissance électro. C’est parti pour la danse électrice que le chorégraphe sait si bien faire, sculptant l’espace avec les magnifiques lumières de Tom Visser, quand chaque danseur et chaque danseuse, tout en faisant corps avec le groupe, prend la scène par sa propre personnalité. Hofesh Shechter pourrait se répéter, et c’est un peu le cas, mais il arrive à s’appuyer sur chacune des personnalités en scène pour créer un twist nouveau. Pour Wild Poetry, c’est cette énergie volontairement positive et joyeuse qui l’emporte. Tant et si bien que lors des saluts finals, qui sont comme inclus dans la chorégraphie sur la musique, chaque artiste adresse un coucou de la main au public, un grand sourire au lèvres. Ce pourrait être terriblement niais. Cela apparaît comme un point final chaleureux et naturel à ce qui vient de se dérouler en scène. L’histoire entre Hofesh Shechter et la GöteborgsOperans Danskompani ne devrait pas s’arrêter de sitôt.
Je ne dirai pas grand-chose de plus sur Saaba de Sharon Eyal que ne l’a fait mon collège Jean-Frédéric Saumont il y a deux ans. Il est difficile de résister à l’inventivité de la chorégraphe, à sa façon de se renouveler, à son talent pour mettre en valeur ses interprètes, leur singularité, les faire exister sans jamais perdre l’union sacrée du groupe. Même si Saaba n’est pas loin parfois, un peu trop à mon goût, de tomber dans la caricature d’une fête branchée ou d’un défilé de mode. Mais la chorégraphe sait toujours nous rattraper, par sa façon de mettre les corps en jeu de façon surprenante.
C’est ainsi une soirée dense, complexe et riche qu’a proposé la GöteborgsOperans Danskompani, avec deux longues pièces de 45 minutes (ce n’est pas si fréquent) portant deux univers si différents finalement, menée magnifiquement par ses interprètes de talent. Ce sont eux et elles qui donnent le ton de la compagnie. Hofesh Shechter, Sharon Eyal, Crystal Pite, Alexander Ekman, Yoann Bourgeois… Le répertoire de la troupe aujourd’hui est on ne peut plus attendu et finalement sans surprise, si ce n’est quelques noms plus locaux comme Kenneth Kvarnström. À tel point que la compagnie suédoise pourrait parfois passer comme une sympathique copie du Nederlands Dans Theater. Ce serait aller un peu vite. Ses interprètes en sont déjà différents, globalement plus éloignés de leurs bases académiques dans le geste que leurs collègues néerlandais. Les corps sont ainsi un peu plus disparâtes – et l’on sent notamment que Sharon Eyal s’en amuse bien dans sa pièce. Et c’est tout ce maelstrom de personnalités, une quarantaine de danseurs et danseuses venant des quatre coins du monde, qui fait la différence et donne le ton de la compagnie. L’on sent dans le travail que chaque chorégraphe a eu le temps de les découvrir et de leur proposer un travail et une expérience artistique sur-mesure. C’est ce qui permet de proposer, malgré l’affiche attendue – encore Hofesh Shechter ! Encore Sharon Eyal ! – un programme excitant et l’un des plus brillants de la saison. Vivement leur prochaine tournée française.
Wild Poetry de Hofesh Shechter (pour 16 interprètes) et Saaba de Sharon Eyal (pour 13 interprètes) par la GöteborgsOperans Danskompani. Mardi 14 mai à la Maison de la Danse de Lyon. À voir jusqu’au 18 mai. En tournée européenne jusqu’au 13 juin.