Gala 2024 de l’Académie Princesse Grace
C’est comme toujours sous les ors de la magnificence de la salle Garnier de l’Opéra de Monaco que les étudiants et étudiantes de l’Académie de danse Princesse Grace ont offert au public leur spectacle de fin d’année. Ce gala réunit sur scène les 46 élèves, toutes classes confondues, pour un spectacle qui entre répertoire et créations balaye tout le spectre technique et artistique. C’est aussi le dernier tour de piste monégasque des diplômés de l’Académie : neuf pour cette promotion 2024, qui vont dès l’automne rejoindre de prestigieuses compagnies internationales en Europe et aux Etats-Unis. Preuve de l’excellence de cette école d’exception, qui propose chaque année un spectacle de haute volée.
Pour convaincre (s’il le fallait encore !) que les élèves de l’Académie de Danse Princesse Grace sont rompus à tous les défis, son directeur artistique Luca Masala avait choisi d’ouvrir le gala annuel avec un chef-d’œuvre du répertoire : Sérénade de George Balanchine. C’est la toute première pièce que le chorégraphe russo-américain créa à New York. Elle fut d’ailleurs à l’origine davantage un exercice de danse académique qu’un projet de ballet. Mais à mesure que George Balanchine répétait avec les étudiantes et étudiants précurseurs de la School of American Ballet, il construisit sur la musique de son compositeur favori, Tchaïkovski, ce qui allait devenir une œuvre signature, un précis de l’esthétique balanchinienne qui révolutionna le ballet académique en le transférant sur des terres non narratives.
80 ans après sa création, Sérénade est devenue un classique au répertoire d’un nombre incalculable de compagnies, dans une version définitive qui n’a pas été modifiée depuis la mort du chorégraphe. Nanette Glushak, qui fut choisie par George Balanchine pour danser Sérénade, est venue remonter le ballet pour l’Académie Princesse Grace. Un défi quand il faut solliciter quatre promotions qui n’ont ni le même âge, ni le même niveau technique. Les élèves surmontent l’obstacle haut la main. Certes, on ne recherche pas là une forme de perfection car ce n’est pas le sujet. Mais l’essence du ballet irradie sur scène dès l‘ouverture, avec cette image saisissante de danseuses en diagonale, bras droit levé à 45° et paume ouverte vers la salle avant de se refermer en couronne. Sérénade est un hommage au ballet romantique et au corps de ballet féminin, et les jeunes filles de l’Académie Princesse Grace y démontrent leurs qualités. Tout est fluide dans cette infernale géométrie balanchinienne où l’on ne cesse de se croiser, de s’enrouler puis de se dérouler. On est aussi épaté par le délicat travail de pointe qui fut l’un des fils rouges constants du travail de George Balanchine, qui là encore bouleversa la technique académique. Il y a une grande aisance des danseuses qui n’ont pas à pâlir. Les danseuses solistes distillent la torpeur élégiaque de Sérénade : Juliette Windey, Paloma Livellara Vidart, Muu Sakamoto sont souveraines, soutenues par le superbe Juliann Fédèle-Malard.
Si Sérénade est un ballet pour femmes, Elias Lazaridis a conçu avec Fly une pièce presque exclusivement masculine. Sur scène ainsi, treize adolescents et une seule jeune fille pour une création qui rompt radicalement avec l’esthétique précédente. Foin des pointes, des collants et du vocabulaire académique. Le danseur et chorégraphe grec a étudié chez Anne Teresa de Keersmaeker avant de devenir l’un des interprètes de Hofesh Shechter et de collaborer avec Sidi Larbi Cherkaoui. Cela donne une idée de la largeur de sa palette stylistique. De son apprentissage dans l’école d’ATdK provient sans doute ce goût pour la ronde, le cercle qui structurent sa pièce avec une ouverture bondissante où surgit à grande vitesse de la coulisse le groupe qui tente de s’envoler, comme l’indique le titre, telle une nuée d’oiseaux. Le chorégraphe a choisi la musique envoûtante de la compositrice et pianiste polonaise Hania Rani qui mélange dans ses compositions différentes influences folkloriques. Elias Lazaridis propose aux danseurs un fascinant travail avec la tête et le cou qui tournent, deviennent pesants et créent comme un centre de gravité déplacé.
Fly a été conçu en collaboration avec École Supérieur d’Arts Plastiques de Monaco. Quatre étudiants scénographes signent ainsi le décor ambitieux de Fly dont la pièce centrale est une immense plaque mouvante, constituée de losanges qui reflètent et diffractent la scène, faisant éclater un camaïeu de couleurs. Ce dispositif astucieux donne du corps à la chorégraphie totalement maîtrisée par les élèves de l’Académie. Ils se plient sans rechigner à ce langage qui sollicite leurs qualités athlétiques mais aussi leurs facultés de montrer de belles lignes. Martinho Lima Santos brille dans le bref solo et confirme que c’est un danseur qu’il faudra suivre.
Le technique classique reprend ses droits dans les deux dernières parties. Tout d’abord par une pièce de Roland Vogel, Andante, sur la musique de Chostakovitch, brève et percutante. Puis un feu d’artifice, Mendelssohn Number 4 signé Michel Rahn, qui remet sur scène toute l’école sur un air de faux défilé et de démonstrations de virtuosité flamboyante, alors que les professeurs viennent en guise finale sur scène saluer leurs élèves et le public. Puis vient l’inévitable séquence émotion puisque le gala, c’est aussi dire au revoir aux diplômés. Ils et elles sont neuf cette année. La chorégraphe argentine Julieta Martinez les a gratifiés d’une pièce d’occasion joliment intitulée Sang Mêlé qui célèbre le groupe. Dans des costumes unisexes où dominent de larges jupes noires doublées de rouge qui tournent et virevoltent, les élèves dansent aux rythmes du rock acoustique mexicain de Rodrigo y Gabriela. La salle leur réserve une ovation teintée d’émotions. Il n’est jamais facile de se dire adieu.
Gala de l’Académie de danse Princesse Grace.
Sérénade de George Balanchine ; Fly d’Elias Lazaridis (scénographie de Isaac Elbaz, Maeva Lu–Chi-Vang, Élise Ogier, Ambre Rougier) ; Andante de Roland Vogel ; Mendelssohn Number 4 de Michel Rahn ; Sang Mêlé de Julieta Martinez. Vendredi 21 Juin 2024 à la Salle Garnier de l’Opéra de Monte-Carlo.