[Montpellier Danse 2024] Take me Home de Dimitri Chamblas et Kim Gordon
Dans une édition 2024 de Montpellier Danse riche en créations, c’est au Théâtre de l’Agora que Dimitri Chamblas a présenté sa dernière pièce, Take me home. Un titre emprunté à la plasticienne et musicienne américaine Kim Gordon dont les accords de guitare saturés dialoguent avec les neuf danseuses et danseurs que le chorégraphe lance dans un tourbillon âpre et électrique. Sous l’immense zeppelin qui domine le plateau, Dimitri Chamblas nous transporte dans un univers aux allures d’apocalypse post punk déployant une danse de la démesure et de l’excès, où les corps se brisent les uns contre les autres pour construire un acte de rébellion au monde. Puissante, démesurée, la pièce de Dimitri Chamblas est sublimée par des interprètes qui font communauté tout en développant des partis pris stylistiques variés.
Pour son dernier festival, Jean-Paul Montanari a tenu à s’entourer des artistes qu’il a suivis et soutenus depuis la création de Montpellier Danse il y a plus de 40 ans. Dimitri Chamblas en fait partie. Et c’est avec bonheur que l’on retrouve ce chorégraphe français qui se fait rare sur les scènes françaises. Exilé volontaire sur la côte ouest des États-Unis, il poursuit une activité multiple à la direction du California Institute of the Arts de Los Angeles. Il enseigne, transmet son savoir-faire, poursuit son travail de chorégraphe et amène la danse dans des lieux où elle n’existe pas habituellement, comme dans les prisons de haute sécurité américaines. Ce parcours singulier qu’il mène dans un pays qui n’est pas le sien lui confère une perspective politique originale, une manière de créer des ponts entre des cultures différentes et de faire confluer des univers esthétiques divergents.
Take me home nous parle de cela. Au-delà du titre de la musicienne et plasticienne Kim Gordon, la formule semble prendre tout son sens dans la scénographie, composée d’un immense dirigeable lumineux qui envahit la scène et offre l’espoir d’un ailleurs possible. Sur scène, des corps allongés, éparpillés. Il y a là des spectatrices et des spectateurs qui ont accepté l’invitation de Dimitri Chamblas et de ses interprètes à anticiper le spectacle en leur proposant une préparation collective. « Mon travail questionne la position des spectateurs et de l’expérience collective créée par la danse », explique Dimitri Chamblas, qui ainsi propose à celles et ceux qui le souhaitent « un parcours débutant par une forme de méditation pour finir par une marche collective afin de rejoindre le théâtre de l’Agora. Ainsi notre attention sera active, chargée des expériences vécues ensemble et en plein éveil de son sens pour accueillir les danseuses et les danseurs » .
On pénètre ainsi dans un Théâtre de l’Agora déjà habité sur scène alors que le public prend place. Ça bouge, ça murmure dans une tension que l’on perçoit sans bien discerner comment va démarrer le récit. Paradoxalement, le plateau se vide, celles et ceux qui ont eu l’envie et la curiosité d’accepter l’invitation généreuse de Dimitri Chamblas regagnent leurs sièges. Débute alors une nouvelle séquence qui fait émerger cette communauté de neuf personnes, neuf danseuses et danseurs. La circulation s’organise presque de manière anarchique : c’est l’image qui est projetée par ce groupe que rien ne semble unir. Dimitri Chamblas avec la complicité d’Andrealisse Lopez, a pris soin d’imaginer des costumes d’aujourd’hui totalement dépareillés, plus proches du réel que de la représentation.
Tous les départs des interprètes nous surprennent comme s’ils étaient décidés sur l’instant. Démarrent ainsi des courses bondissantes, des sauts à travers le plateau, avant que tout s’apaise dans des contrastes saisissants, entre les riffs saturés des guitares de Kim Gordon et la lenteur du mouvement savamment décomposé. Chacune et chacun interprète sa partition. Et le monde que nous montre Dimitri Chamblas paraît atomisé, sans espoir de rédemption. Ce dirigeable, faux zeppelin amarré au sol, est là comme pour narguer celles et ceux qui rêveraient d’y embarquer pour « rentrer chez eux » si l’on paraphrase en français le titre de la pièce, qui résonne aussi comme une invitation à quitter sa zone de confort pour aller vers l’inconnu. C’est cette métaphore que file la pièce de Dimitri Chamblas avec ses interprètes venus des deux côtés de l’Atlantique et d’horizons stylistiques divers, tous aussi exaltants. On repère Marion Barbeau teinte en blonde, merveilleuse danseuse dans un contre-emploi enthousiasmant. Et alors que les guitares s’estompent et que le crépuscule s’invite dans le ciel de l’Agora, Salia Sanou, pieds nus, seul en scène, prend congé de nous avec un ultime solo, comme un exutoire à la solitude.
Take me Home de Dimitri Chamblas (chorégraphie) et Kim Gordon (musique), avec Marion Barbeau, Marissa Brown, Eli Cohen, Bryana Fritz, Eva Galmel, François Malbranque, Jabel Medina, Salia Sanou et Kensaku Shinohara. Vendredi 28 juin 2024 au Théâtre de l’Agora, dans le cadre du festival Montpellier Danse. À voir en tournée : du 18 au 21 septembre au Théâtre National de la Danse Chaillot, le 24 septembre au Lux de Valence, les 27 et 28 septembre à la Maison de la Danse de Lyon.
Montpellier Danse continue jusqu’au 6 juillet.