Programme Forces au Ballet du Grand Théâtre de Genève – Aszure Barton / Sharon Eyal
Le Ballet du Grand Théâtre de Genève a terminé sa saison par deux chorégraphes femmes – fait encore suffisamment rare pour être souligné – lors de son programme Forces. On ne présente plus Sharon Eyal, prêtresse de la danse contemporaine que toute compagnie s’arrache. Elle y a présenté Strong, l’une de ses pièces signatures aux allures (parfois un peu trop soutenues) de défilé de mode. La moins connue Aszure Barton a proposé pour sa part Busk, d’une efficacité redoutable même si attendue, et allant comme un gant à la virtuosité jamais pris à défaut des interprètes du brillant Ballet du Grand Théâtre de Genève.
Voilà deux saisons que Sidi Larbi Cherkaoui a pris la direction du Ballet du Grand Théâtre de Genève. Un vrai changement pour cette troupe, avant tout une compagnie d’interprètes invitant de nombreux chorégraphes, désormais dirigée par un créateur. Si le nouveau directeur avait promis que la variété chorégraphique resterait, ses propres œuvres ainsi que celles de ses proches ont toutefois dominé la programmation. C’est donc avec un certain plaisir de découvrir le dernier programme de la saison du Ballet du Grand Théâtre de Genève, qui pour le coup laisse la place à d’autres têtes d’affiche, deux femmes. Et permet de montrer, une fois de plus, la formidable versatilité de ces interprètes à la forte personnalité.
Aszure Barton n’est pas la plus connue de ce programme, en tout cas en France. Pourtant, cela fait longtemps que la chorégraphe crée pour de grosses compagnies, comme l’English National Ballet ou la Martha Graham Dance Company. Busk est l’une de ses plus anciennes pièces. La chorégraphe met en scène le groupe dans toute sa force collective, en laissant à chacun et chacune la place de s’exprimer pleinement, dans une énergie contagieuse et généreuse. On distingue dans cette pièce beaucoup d’éléments que l’on retrouve à foison dans les créations d’aujourd’hui, inspirées par ce qui se fait au NDT (avec qui d’ailleurs Aszure Barton a travaillé) : une danse virtuose très expressive, le jeu du noir et blanc, l’enchaînement groupe-solo-duo, des saynètes s’appuyant sur une lumière graphique structurant l’espace,une touche de burlesque… Ce n’est pas vraiment par l’originalité qui fait mouche dans Busk. Mais force est de reconnaître que l’ensemble est diablement efficace. Même si les ficelles sont connues, on se laisse séduire et emporter par la montée en puissance, son sens du tempo et la magnifique mise en valeur des interprètes. On comprend pourquoi les Ballets aiment bien cette chorégraphe : elle sait se servir des bases académiques des danseurs et danseuses de Ballet (même si à Genève, on en reste assez éloigné) pour les amener sur un autre terrain de jeu et leur permettre d’occuper la scène avec puissance et joie.
On ne présente plus Sharon Eyal qui vient après l’entracte. Demandée partout, aussi bien par les compagnies contemporaines que de Ballets, la chorégraphe déploie sa danse gentiment arty sur toutes les scènes du monde. Pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève, place à Strong, pièce créée pour le Ballet de Berlin en 2019. On y retrouve tout ce qui fait la signature de la chorégraphe : cette fascination pour la demi-pointe (qui n’amène curieusement jamais, du moins par encore, à la pointe), des mouvements saccadés portés par une musique électro aux basses puissantes, une danse répétitive aux multiples aspérités amenant une puissance collective, un petit côté Défilé de mode. Ce n’est pas là non plus que la surprise arrive. Au contraire, il y a chez moi comme un peu de lassitude, avec comme l’impression ces derniers temps de voir un peu toujours la même pièce chez la chorégrapĥe (trop de Sharon Eyal tue l’effet Sharon Eyal ?). Néanmoins, les interprètes s’emparent avec beaucoup de puissance de cette pièce, accentuant son effet tribal. La virtuosité est plus contenue, mais bien présente dans la chorégraphie exigeante, dans la tenue sans discontinuité de l’énergie vitale, dans l’épuisement d’où naît l’exaltation collective. Et c’est au final une façon bien séduisante de finir la saison, pour une compagnie qui épate toujours par la formidable personnalité de ses interprètes.
Programme Forces par le Ballet du Grand Théâtre de Genève
Busk de Aszure Barton, avec Jared Brown, Adelson Carlos, Zoé Charpentier, Quintin Cianci, Diana Dias Duarte, Armando Gonzalez Besa, Zoe Hollinshead, Mason Kelly, Julio León Torres, Emilie Meeus, Stefanie Noll, Geoffrey Van Dyck, Nahuel Vega et Madeline Wong. Strong de Sharon Eyal, avec Yumi Aizawa, Jared Brown, Adelson Carlos, Anna Cenzuales, Zoé Charpentier, Quintin Cianci, Oscar Comesaña Salgueiro, Diana Dias Duarte, Zoe Hollinshead, Julio León Torres, Emilie Meeus, Stefanie Noll, Juan Perez Cardona, Luca Scaduto, Sara Shigenari, Geoffrey Van Dyck, Madeline Wong. Mercredi 12 juin 2024 au Bâtiment des Forces motrices de Genève.
La saison 2024-2025 du Ballet du Grand Théâtre de Genève est en ligne.