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Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris – Bleuenn Battistoni, Hugo Marchand et Florent Melac

Le Ballet de l’Opéra de Paris a terminé sa saison avec une reprise du Lac des cygnes de Rudolf Noureev, d’après Marius Petipa et Lev Ivanov. Une série qui marquait la prise de rôle de Bleuenne Battistoni, Danseuse Étoile depuis peu, dans ce personnage mythique du ballet classique. Si son Odette cherche encore son chemin, son Odile impérieuse marque la représentation. Hugo Marchand dévoile tout son savoir-faire dans un personnage qu’il connaît bien, dessinant un Siegfried mélancolique et à la recherche éperdue d’un idéal. Et Florent Melac apporte ce qu’il faut de contraste pour dessiner un trio fructueux. Quant à la production, elle éblouit encore par sa mise en scène mêlant constamment rêve et réalité.

 

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris

 

Quatre reprises en neuf ans, sans compter les tournées : Le Lac des cygnes dans la version de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa et Lev Ivanov est décidément le blockbuster du Ballet de l’Opéra de Paris. Les productions Noureev sont de plus en plus décriées, mais son Lac des cygnes, malgré les années, garde une puissance intacte. Après l’avoir vu de nombreuses fois du parterre, j’étais cette fois-ci, pour cette reprise de 2024, placé au deuxième balcon : l’endroit idéal pour se rendre compte de la puissance de la mise en scène, de la façon dont le chorégraphe savait si bien amener les personnages, tout en laissant une véritable marge d’interprétation aux danseurs et danseuses d’Odette/Odile, Siegfried et Rothbart. Ce n’est pas le cas de toutes les versions de ce célèbre ballet, et c’est aussi toute la spécificité de la production parisienne. Chorégraphiquement, on reproche souvent aux ballets Noureev d’être emberlificotée. Ce n’est pas forcément ce qui m’a marqué le plus lors de cette reprise, y compris dans les danses de caractère très lisibles cette année et travaillée avec beaucoup de soin. Mais plus l’absence de climax chorégraphique dans les grands ensembles du premier et du troisième acte. La grande valse du début, ainsi que la polonaise qui suit, sont pourtant parmi les plus vivantes partitions de la danse, mais les pas y sonnent un peu sages manquant de grand élan. Il y a ainsi un petit peu le goût du récent Don Quichotte, où tout était bien mais où l’on ne pouvait s’empêcher de s’ennuyer gentiment.

Le premier acte cependant se rattrape par sa mise en scène si belle autant que dramatique, magnifiquement travaillée. Des nuées de jeunes filles radieuses ne cessent ainsi de tourner autour de Siegfried. Wolfgang semble à la fois les amener vers le prince comme les en écarter. Quant au prince, il est profondément mélancolique, s’attachant à ces flirts par devoir mais l’esprit déjà ailleurs. Il ne peut y avoir de Siegfried idéal. Mais Hugo Marchand propose peut-être ce qui s’en rapproche le mieux. D’emblée, il y a dans son attitude comme un tourment, un blues, un nuage sombre insidieux. Peut-être s’agit-il de la quête inaccessible d’un idéal qu’il ne sait pas nommer, une homosexualité qu’il n’a pas encore formulée. Son Siegfried est en tout cas un prince pris dans une quête dont il ne semble trouver le chemin, ne sachant pas encore quoi chercher. Les murs imposants, écrasants, du Palais semble personnifier son mal-être, le poids sur ses épaules qui ne le quitte jamais. En face, Florent Melac – que l’on a connu parfois un peu effacé – interprète un Wolfgang/Rothbart incisif, comme le chef d’orchestre de toute cette cour. Dans les multiples pistes du personnage, le danseur choisit celui du meilleur ami prenant sous son emprise le Prince, sans forcément de tension amoureuse. Il le maintient sous sa coupe – c’est là d’où naît son pouvoir – et veille à le maintenir éloigné de toute possibilité de trouver un certain repos. Le danseur a particulièrement soigné sa gestuelle, sa posture pour donner des ordres, toutes ces petites choses qui donnent de l’épaisseur au personnage. C’est ainsi une sorte de trio qui se met en scène, entre le Prince, son ami passif-agressif et le corps de ballet s’interposant entre les deux, que ce soit les jeunes filles ou la Polonaise masculine. En interlude, le Pas de trois est joliment mené, notamment Hohyun Kang qui fait des merveilles avec son travail si finement ciselé.

 

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev - Ballet de l’Opéra de Paris - Bleuenn Battistoni, Hugo Marchand et Florent Melac

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris – Bleuenn Battistoni

 

Le deuxième marque l’entrée en scène de Bleuenn Battistoni, qui faisait là sa prise de rôle en Odette/Odile. D’emblée, son personnage touche au cœur et crée une empathie immédiate. Elle n’est pas femme, pas princesse, pas oiseau, mais plutôt le symbole d’une certaine pureté mise à mal Rothbart – l’interaction entre les deux personnages reste d’ailleurs particulièrement efficace. L’on n’est donc pas véritablement dans une histoire d’amour, mais plus dans un songe, un ailleurs, une échappatoire pour Siegfried. Nommée Danseuse Étoile il y a seulement quelques mois, avec très peu d’expérience de grands rôles, Bleuenn Battistoni a encore tout à construire. Son Odette est prometteuse, par un travail profondément intelligent et sensible. Il manque encore de la projection, un fil conducteur. L’alchimie avec Hugo Marchand en est encore aussi à sa naissance, même si les deux artistes sont bien assortis. Plus que la fulgurance entre les deux protagonistes, c’est ainsi plutôt le corps de ballet, somptueux, qui trace la ligne de ce deuxième acte.

Le troisième reste est toutefois d’une autre envergure. Bleuenn Battistoni, réservée dans la vraie vie, n’est peut-être à son meilleur que lorsqu’elle sort de sa zone de confort. Si elle se cherche encore dans le lyrisme du deuxième acte, elle dessine au troisième une enthousiasmante Odile : incisive, impétueuse, charmeuse, elle ne peut qu’attirer tous les regards. Le trio fonctionne à merveille. Bleuenn Battistoni et Florent Melac forment un duo diabolique, peut-être plus partenaire de crime que véritablement père-fille. Hugo Marchand illumine pour sa part la scène, avec sa danse magnifique, si musicale et complexe, à la figure transfigurée par l’apparition d’Odile, comme si le sombre nuage qui planait sur ses épaules s’effaçait doucement.

Mais tout cela ne serait-il que songe ? Quand il s’agit d’évoquer le quatrième acte de ce Lac des cygnes version Noureev, la longue complainte des Cygnes blancs revient souvent. Ce qui me marque pour moi ce soir reste leur entrée : en franchissant les marches du palais pour occuper la scène, ces cygnes paraissent comme l’image du songe envahissant le réel. Rêve et réalité se mêlent jusqu’au bout de ce quatrième acte, gardant l’ambivalence jusqu’au bout, jusqu’à la dernière vision de Hugo Marchand pétrifié au sol, enveloppée d’une épaisse fumée blanche. Ce Lac des cygnes laisse à la fois songeur et émerveillé par cette beauté mélancolique de ces cygnes insaisissables. Siegfried n’a pu que les laisser couler entre ses doigts.

 

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev – Hugo Marchand

 

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa et Lev Ivanov par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Odette/Odile (Bleuenn Battistoni), Hugo Marchand (Siegfried), Florent Melac (Wolfgang/Rothbart), Claire Gandolfi (la Reine), Camille Bon, Hohyun Kang, Camille Bon et Antonio Conforti (Pas de trois), Marine Ganio, Hortense Millet-Maurin, Aubane Philbert et Jennifer Visocchi (quatre Petits cygnes), Camille Bon, Célia Drouy, Hohyun Kang et Nine Seropian (quatre Grand cygnes), Inès McIntosh et Andrea Sarri (solistes Czardas), Célia Drouy, Katherine Higgins, Thomas Docquir et Antonio Conforti (Danse espagnole), Hortense Millet-Maurin et Manuel Garrido (solistes Danse napolitaine). Mercredi 10 juillet 2024 à l’Opéra Bastille. À voir jusqu’au 14 juillet.

 

 

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Commentaires (2)

  • Louis Letram

    Voici mon bilan de cette série. J’ai vu tous les solistes et j’ai bissé sur Bourdon/Quer, O’Neill/Louvet et Park Marque. Je pense que tout spectateur ayant assisté au Lac des cygnes est sorti heureux. Le corps de ballet a vraiment été à la hauteur, supérieur à la série de décembre 2022, tant au niveau des titulaires que des surnuméraires/débutantes. Sae Eun Park et Bleuenn Batistoni, avec leur solide bagage technique, ont livré des Odette et Odile parfaites. J’ai trouvé personellement Hugo Marchand un peu en dedans surtout après sa prestation stratosphérique dans Giselle avec Nela Nunez. Valentine Colasante et Moreau ont été solides. Hannah O’Neill nous a offert un Acte 3 et 4 incroyable, elle a sauté un ou deux pas dans l’Acte 2.

    Lors de la première représentation, Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer ont semblé un peu empruntés, avec quelques fautes techniques et des fouettés limites. La deuxième soirée fut cosmique. Jérémy nous a livré une copie fantastique. L’opéra Bastille a été témoin d’une performance magistrale d’héloise Bourdon, elle a immédiatement imposé une présence à la fois éthérée et poignante. Ce n’est vraiment pas ma danseuse préférée mais ce soir là ses mouvements étaient empreints de grâce, chaque port de bras et chaque arabesque exprimant la fragilité et la tristesse de la princesse cygne Les deux ont présenté une prestation digne des plus grands. J’ai dû voir 50 spectacles à l’ONP cette saison et celui-ci, je le mets dans mon TOP 3.

    Thomas Docquir a été parfait dans ses deux prestations dans le role de Rothbart , surtout dans les sauts impeccables lors de son premier soir. J’ai bien aimé Enzo saugar, bien que la différence de taille avec Jérémy ne l’a pas aidé dans la prise de role et puis Pablo Lagasa, vriament avec un personnage qui lui va comme un gant. Cette série a été surtout extraordinaire grâce à la qualité de ses Sujets (les grands et petits cygnes étaient très bons). Je retiendrai Hohyun Kang, Clara Mousseigne, et Bianca Scudamore dans le pas de Trois, ainsi que Mathieu Contat, très bon et aérien. Aubane Philibert a une présence incroyable et j’aimerais vraiment la voir dans un grand rôle un jour. Jennifer Visconti et Katherine Higgins ont été très bonnes. Camille Bon était excellente dans la danse espagnole et dans le grand cygne à l’Acte IV, avec une technique incroyable sur les pointes. Le corps de ballet masculin a également été très bon, malgré une chute du récent promu. Le corps de ballet n’a pas d’équivalent dans le monde.
    L’orchestre a été inégal, avec du très bon à la fin et quelques loupés pendant certains concerts. En un mot une magnifique série marathon pour les danseurs.

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