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[Nuits de Fourvière 2024] Qui Som? – Baro d’evel

On se régale décidément avec la programmation Danse et Cirque des Nuits de Fourvière 2024 ! En cette fin de festival, place à Qui Som?, la nouvelle création de la compagnie circassienne Baro d’evel, emporte tout. Le spectacle mêle art clownesque, acrobatie et céramique (mais oui) pour mieux transformer les artistes nous emmenant dans un monde étrange, fait d’urgence écologique et d’un besoin vital de solidarité. À la joie joyeux et grinçant, burlesque, festif et parfois angoissant, Qui Som? mêle les genres artistiques et les émotions dans une grande vague emportant tout sur son passage.

 

Qui Som? – Baro d’evel

 

Avec la compagnie circassienne Baro d’evel, on ne sait jamais vraiment où l’on met les pieds. Et c’est tant mieux. Place aux surprises, aux mélanges des genres, sans jamais de posture ou de faux discours. Leur dernière création Qui Som?, qui a nécessité deux ans de travail, est à l’image du duo Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias qui portent la compagnie depuis 20 ans. On y retrouve les codes du burlesque, le côté foutraque et saltimbanques, l’urgence de la cohésion, l’engloutissement de notre monde sous les catastrophes écologiques alors que nous regardons ailleurs. Mais aussi la poésie, le rêve, la joie. Sur scène, ils plantent un monde étrange mais dans lequel on aurait envie d’y faire un tour, un monde qui fait peur mais où règne la solidarité à toute épreuve. Le tout, pour ces Nuits de Fourvière, dans le cadre magnifique du Théâtre Odéon, théâtre antique plus petit et plus intime que le Grand théâtre juste à côté, et qui n’a pas de rideau de fond de scène, laissant le coucher de soleil sur la Ville Lumière servir de décor naturel.

Sur scène, clowns, musiciens et musiciennes, acrobates et contorsionnistes se mêlent à… la céramique. Qui Som? est ainsi le premier volet d’un triptyque où “la céramique est tout à la fois la matière et le geste d’une enquête sur nos mondes en train de se faire“. La terre est là en décor par quelques vases posés en concours de scène. Elle devient élément comique quand il s’agit d’en fabriquer un, matière glissante amenant le danger comme le burlesque, élément de transformation quand les artistes s’en recouvrent pour passer de Monsieur et Madame Tout-le-Monde en créatures étranges, outil de déguisement quand le vase tout juste moulé devient un masque mouvant. Tout commence dans un registre attendu pour autant. Sur scène, Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias nous accueillent par un savoureux moment d’art clownesque pour nous inciter… à éteindre nos téléphones portables et à résister à la tentation de le regarder durant le spectacle. Elle chante et ordonne, lui est la gaucherie incarnée qui veut bien faire. Il y a là quelque chose de très drôle, mais aussi de rassurant : nous sommes dans des codes connus. Cela ne pouvait évidemment durer comme cela. Alors que le chœur se met à chanter, la céramique se met à couler sur le sol, tel un élément perturbateur qui va faire voler en éclats la codification du spectacle.

 

Qui Som? – Baro d’evel

 

C’est ensuite parti pour un voyage inattendu, aux personnages loufoques et poétiques surgir d’où ne sait où, recouvert de terre et de glaise. Chaque séquence nous emmène ailleurs, s’étire souvent en longueur, mais c’est aussi une façon de faire faire un voyage. De temps en temps surgissent une petite fille et un chien, posant le regard naïf et la question qui fait mal sur notre monde qui part en vrille. Un vieux monsieur cachant un autre dans son grand sac pourrait ressembler au Père Noël s’il ne sentait pas si mauvais (ce n’est pas moi qui le dis mais la petite fille qui l’a pris dans ses bras). De sorte de fourmis géantes – des contorsionnistes aux jambes interminables – viennent explorer à leur tour cette scène étrange, curieuses et rigolotes. Et puis il y a cette étrange forme gigantesque au milieu du plateau. Une espèce d’amas d’algues qui frappent d’entrée, mais que l’on finit par oublier tant il reste immobile, même s’il devient cachette pour le chien ou jeu des acrobates Jusqu’au moment où il se réveille et fait basculer le spectacle dans une veine un peu plus angoissante et réaliste. Il devient comme un monstre qui avale tout sur son passage, une vague immense qui prend chaque être humain qui se trouve sur son chemin… pour recracher, non pas des corps, mais des centaines de bouteilles en plastique recouvrant l’ensemble du plateau.

Et quelle image frappante que cette petite fille et son chien se frayant un passage dans ces montagnes de plastique, incarnant la nouvelle génération nous demandant pourquoi nous leur laissons un tel monde en héritage. Malgré son aspect fantasmagorique continuel, La réalité brutale nous rattrape et nous frappe. Les voix sont amères en scène, la joie semble être partie. Mais l’envie de se regarder, d’être ensemble – ou peut-être n’est-ce que de l’instinct de survie – prend le dessus. Chaque artiste s’empare d’un instrument d’une fanfare de cirque – qui d’un tuba, qui d’un tambour – tandis que Camille Decourtye saisit le micro et part dans un slam semblant ne plus finir sur le besoin pressant de se regarder. Le ton monte, la pulsation aussi, saisissant chacun et chacune du Théâtre Odéon comme une grande vague collective. Dans la nuit étoilée, au cœur de ces ruines d’une civilisation engloutie de s’être vue trop grande, sur la musique toujours plus puissante, Camille Decourtye déclame ses paroles de solidarité et de résistance face au monde qui s’écroule. Se mêlent l’étreinte d’une urgence absolue et la joie d’être ensemble à danser par cette chaude soirée de juillet. Une ambivalence qui a porté tout le spectacle et qui fait la force de Qui Som?.

 

Qui Som? – Baro d’evel

 

 

Qui Som? de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias par la compagnie Baro d’evel, avec Lucia Bocanegra, Noémie Bouissou, Camille Decourtye, Miquel Fiol, Dimitri Jourde, Chen-Wei Lee, Blaï Mateu Trias ou Claudio Stellato, Yolanda Sey, Julian Sicard, Martí Soler, Maria Caroline Vieira, Guillermo Weickert. Vendredi 19 juillet 2024 au Théâtre Odéon, dans le cadre des Nuits de Fourvière. À voir jusqu’au 20 juillet, puis en tournée en France la saison prochaine.

Le festival Les Nuits de Fourvière continue jusqu’au 25 juillet.

 

 

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