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Coppélia d’Alexeï Ratmansky – Ballet de la Scala de Milan – Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko

Pour démarrer sa saison, le Ballet de la Scala a proposé une magnifique nouvelle production de Coppélia, signée par Alexeï Ratmansky. Si le chorégraphe ne s’est pas plongé dans les notes de l’époque, comme il l’a souvent fait pour ses précédentes reconstructions de ballet, il n’en dessine pas moins une version d’un dynamisme nouveau, d’une vitalité étonnante et enthousiasmante qui fait redécouvrir ce ballet que l’on semblait si bien connaître. Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko portent avec virtuosité, beaucoup d‘humour et un vrai talent de jeu ce petit bijou de ballet académique, habillé, et c’est un retour aux sources, aux couleurs de l’Ukraine.

 

Coppélia d’Alexeï Ratmansky – Ballet de la Scala de Milan – Timofej Andrijashenko et Nicoletta Manni

 

On connaît la science merveilleuse d’Alexeï Ratmansky pour redonner vie aux ballets du passé, même ceux que l’on pense savoir par cœur. Son travail sur les notes originales a ainsi permis de redécouvrir, dans de si intelligentes et vivantes productions, La Belle au bois dormant ou Le Lac des cygnes. On connaît aussi le formidable travail de chorégraphe original d’Alexei Ratmansky, ses pièces si musicales et inventives, beaucoup pour des compagnies américaines, et qu’en Europe le Het Nationale Ballet, notamment, danse avec talent. Shostakovich Trilogy fait ainsi partir sans contexte des grandes pièces académiques de ce début de XXIe siècle. Curieusement, sa nouvelle Coppélia, montée en début d’année pour le Ballet de la Scala de Milan, appartient plus à cette deuxième catégorie. Alexeï Ratmansky ne s’est pas replongé dans les archives originales, mais a créé “à la manière”, si l’on puit dire, d’Arthur Saint-Léon (qui créa Coppélia en 1870) et de Marius Petipa (qui en monta une au Ballet impérial en 1884). Ce ne sont donc pas ses qualités d’archéologue à proprement parler qui sont ressorties, mais véritablement son inventivité de chorégraphe, sachant à merveille puiser dans l’immense richesse de la grammaire académique, dans une danse d’une musicalité constante et jouant avec la si belle partition de Delibes.

Et le résultat, disons-le tout net, a donné l’un des plus beaux ballets classiques de la saison. Quelle fraîcheur ! Quelle vitalité ! L’on pensait tout connaître de ce ballet au charme un peu suranné, Alexeï Ratmansky lui redonne une nouvelle jeunesse, mêlant la danse, le jeu et la pantomime pour un tout qui, tout en respectant les codes de l’époque, sonne comme quelque chose de totalement actuel. Ce qui permet de découvrir une autre qualité de ce maître de la danse classique : la direction des danseurs et danseuses. Avec l’aide de Guillaume Gallienne à la dramaturgie, il pousse les artistes à développer leur talent de jeu, à donner un sens à chaque geste, même dans le plus pur moment de divertissement. Rien n’est affecté, emprunté : tout est absolument vivant et sincère.

 

Coppélia d’Alexeï Ratmansky – Ballet de la Scala de Milan – Nicoletta Manni, Agnese Di Clemente, Asia Matteazzi, Giordana Granata, Marta Gerani, Gaia Andreanò et Camilla Cerulli.

 

Pensez ainsi à la variation de Swanilda qui ouvre Coppélia, variation usée et sur-usée dans tous les concours, à tel point que le Prix de Lausanne l’a retiré de ses variations. Un joli moment de danse ? Pas du tout ! Bien loin d’être une variation de présentation, elle montre Swanilda intriguée par cette jeune femme mystérieuse (la poupée Coppélia), qui veut attier son attention, lui faire signe, puis s’agacer de son manque de réponse. Tout n’est que jeu et action dans cette variation. Idem pour celle de Franz qui suit, numéro de bravoure certes, mais surtout jeu de drague du bellâtre pas forcément très futé envers cette mystérieuse jeune femme au balcon, où chaque tour en l’air est là pour essayer d’attirer son attention.

Le ballet romantique arrive vers sa fin. Si le personnage de la femme idéalisée et inatteignable est bien présent, la réalité et le pragmatisme reprend vite le dessus. Le laboratoire de Coppélius, dans lequel nous plonge le deuxième acte, en est un bon exemple. Il est à la fois rempli de mystères et de poésie, mais aussi d’objets techniques de savants fous, un merveilleux bric-à-brac imaginé par le talentueux Jérôme Kaplan, qui travaille régulièrement avec Alexeï Ratmansky. Là encore, le naturel des interprètes emporte tout sur son passage et charme à tous les coups. Quand Nicoletta Manni, délicieuse interprète de Swanilda, découvre le pot aux roses – Coppélia n’est qu’une poupée – elle ne mime pas le rire : elle se paye une belle tranche de fou rire avec ses copines à s’en taper les mains sur les cuisses ! Un naturel absolument revigorant, mêlé avec finesse à la chorégraphie tout en finesse, la clé de cet allant qui porte cette Coppélia de bout en bout.

 

Coppélia d’Alexeï Ratmansky – Ballet de la Scala de Milan – Navrin Turnbull (Allégorie du troisième acte)

 

Même le troisième acte du divertissement, qui peut parfois paraître longuet, laisse sous le charme. Alexeï Ratmansky joue la carte des allégories. On ne sait pas forcément ce que représentent ces trois variations, dont une en costumes antique. On peut y voir les étapes de la vie du couple, entre les premiers émois, la parentalité, la dispute. C’est en tout cas étonnant, d’une merveilleuse musicalité, et comme dans l’ensemble du ballet, utilisant si bien toute la complexité de la danse classique pour proposer une danse profondément complexe, nourrie et riche. Même si l’allant, la musicalité, la vitalité sont les sentiments prédominants devant ce si beau spectacle. Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko, Étoiles du Ballet de la Scala et respectivement Swanilda et Franz, portent haut cette nouvelle production. D’une virtuosité et d’une musicalité radieuse et jamais prises à défaut, ils ont tout le charme des jeunes tourtereaux, elle jeune fille au caractère bien trempé et véritable tornade qui porte l’action, profondément moderne, lui au joli sens de l’humour pour dépeindre ce beau gosse se laissant prendre dans de si grosses ficelles. Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko ne font pas forcément partie des danseuses et danseurs étrangers les plus connus en France. Ils font pourtant, incontestablement, partie des plus brillantes Étoiles européennes du moment, qui valent à eux seuls le déplacement à Milan.

Cette nouvelle Coppélia a enfin une dernière spécificité. Cela n’a aucune incidence sur la dramaturgie ou le sens du ballet, mais elle en dit beaucoup sur le chorégraphe. Alexeï Ratmansky a en effet choisi de situer l’histoire en Galicie, région occidentale de l’actuelle Ukraine, comme l’avait fait Arthur Saint-Léon. Jérôme Kaplan a pour cela dessiné de superbes costumes, rappelant les traditionnels habits ukrainiens, les couronnes de fleurs et chemises brodées. Et Alexeï Ratmansky a déployé tout son savoir-faire pour créer de magnifiques danses folkloriques au premier acte, Mazurka et Czardas d’une immense beauté, si pleines de vitalité (c’est décidément le mot pour définir cette production), puissantes et fortes, portées avec enthousiasme par le corps de ballet de La Scala, même s’il ne s’agit pas pour lui de son langage naturel. Né dans une famille ukrainienne dont une partie y habite toujours, danseur à Kyiv, Alexeï Ratmansky reste un défenseur inlassable de l’Ukraine envahie par la Russie, que l’Europe est en train d’oublier petit à petit. Habiller sa Coppélia aux couleurs de l’Ukraine, porter ainsi haut cette culture par la façon dont il sait le mieux le faire, est tout sauf anecdotique. On peut choisir de le voir, ou pas. Cela ne change rien à la compréhension ni au plaisir de découvrir cette Coppélia. Mais le frisson qui saisit quand les pieds se mettent à frapper le sol, quand les rubans des couronnes de fleurs s’envolent, sont comme autant de fils reliant ce ballet du passé à notre réalité.

 

Coppélia d’Alexeï Ratmansky – Ballet de la Scala de Milan

 

Coppélia d’Alexeï Ratmansky par le Ballet de la Scala de Milan. Avec Nicoletta Manni (Swanilda), Timofej Andrijashenko (Franz), Christian Fagetti (Coppélius), Linda Giubelli, Navarin Turnbull, Maria Celeste Losa et Rinaldo Venuti (les variations allégoriques). Jeudi 11 janvier 2024 à la Scala de Milan.

La saison 2024-2025 du Ballet de La Scala est en ligne.

 

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