[Vaison Danses 2024] Kintsugi par Machine de Cirque / La nuit des étoiles par les Italiens de l’Opéra
Pour cette 28e édition de Vaison Danses, le théâtre antique de Vaison-la-Romaine, magnifique lieu pour la danse, a accueilli une programmation à la fois exigeante et accessible à tous les publics. Une fois n’est pas coutume, DALP a choisi d’y faire deux arrêts à trois jours d’intervalle pour couvrir des spectacles qui témoignent de l’éclectisme de ce festival : Kintsugi de la compagnie québécoise Machine de cirque en première mondiale et une divine Nuit des étoiles par Les Italiens de l’Opéra menés par Alessio Carbone. La virtuosité sous toutes ses formes s’est assurément invitée à Vaison-la-Romaine cet été.
Machine de cirque est une compagnie québécoise qui se produit régulièrement en France. Fondée en 2013 à Québec, elle a conquis le public français par l’inventivité et la poésie de ses propositions, des spectacles de cirque contemporain avec une mise en scène solide et une ossature dramaturgique qui regorge de bonnes idées. Il ne s’agit pas uniquement de nous en mettre plein la vue avec des numéros qui éblouissent, mais aussi et surtout de nous raconter une histoire qui vient nous toucher au plus profond de nous. Questionner l’imperfection et la fragilité humaine quand on déploie des gestes acrobatiques aussi risqués porte un message universel contenu dans le titre de la pièce Kintsugi, présentée au festival Vaison Danses. Ce titre fait référence à une technique ancestrale japonaise qui consiste à réparer des objets en céramique en soulignant les fissures avec de l’or plutôt que de les masquer. S’accepter avec ses défauts et ses aspérités, un long cheminement surtout quand on met la maestria au centre de son parcours artistique.
Sur la scène, une bascule, un mât pendulaire et un arrêt de bus recouvert de feuillage. En fond de scène, une phrase d’Albert Camus extraite de sa correspondance amoureuse avec la comédienne Maria Casarès : « Un temps viendra où malgré toutes les douleurs nous serons légers, joyeux et véridiques. » C’est sans doute ce vers quoi tendent ces huit naufragés de la vie, voyageurs en quête d’un ailleurs que nous suivons dans leur aventure séquencée en chapitres. Entre rêve éveillé et réalité chaotique, ils naviguent à vue, cherchant dans les rencontres un peu de réconfort et de solidarité. Ces âmes esseulées, un peu perdues, vont faire communauté au fil de la pièce pour tendre vers une fête qui triomphera de la solitude. Des citations rythment cette épopée nocturne dans un monde en déclin, perclus d’imperfections.
Olivier Lépine, le metteur en scène, revendique de créer une histoire dans laquelle s’intègrent les numéros. Il y parvient, valorisant les performances de trapèze, corde lisse, mât chinois ou de main à main pour qu’ils se coulent avec habileté dans le récit. Quel que soit l’agrès ou la discipline proposés, tous les artistes sont époustouflants. Mention spéciale pour la suspension capillaire où Ariel Cronin décrit des mouvements dans les airs d’une fluidité incroyable. Un moment de grâce absolu. Présenté en première mondiale, en plein air, Kintsugi se bonifiera avec le temps. Notamment sa première partie où les lumières devraient être peaufinées pour rendre la progression des interprètes plus lisible. Reste que cette pièce installe un univers fascinant qui exhale une poésie sombre et mystérieuse. Un voyage au bout de la nuit qui se termine sur une aube pleine de promesses.
Dirigés depuis 2016 par Alessio Carbone, ancien Premier danseur du Ballet de l’Opéra de Paris, les Italiens de l’Opéra se produisent régulièrement pour des soirées de gala. Le programme diffère selon les représentations tout comme la distribution en fonction des engagements des danseuses et danseurs. Si la troupe était à l’origine essentiellement composée de Transalpins, les effectifs se sont élargis à d’autres interprètes, ce qui n’est pas fait pour déplaire. Dire que cette Nuit des Étoiles concoctée pour Vaison Danses était divine relève de l’euphémisme. Pourtant, si j’ose la confidence, les soirées de gala sont toujours un peu frustrantes. Des pas de deux sortis de leur contexte, une émotion difficile à installer du fait de ce zapping. À peine prend-on ses marques que les danseurs et danseuses s’échappent vers les coulisses. Le judicieux équilibre entre des extraits bien choisis a pourtant emporté la mise. Ainsi que la possibilité de voir deux pièces de Simone Valastro, ancien Italien de l’Opéra qui s’est mu en un talentueux chorégraphe demandé par beaucoup de compagnies (petite indiscrétion : il chorégraphiera un Casse-Noisette pour le teatro di San Carlo de Naples à la fin de l’année).
D’abord les amoureux de ballets classiques ne pouvaient qu’être comblés. Avec des blockbusters comme Don Quichotte de Rudolf Noureev (impeccable Bleuenn Battistoni accompagnée de Francesco Mura), Le Corsaire de Jules Perrot ou La mort du Cygne de Michel Fokine, difficile de faire la fine bouche. Et les incursions plus contemporaines dans la programmation font mouche comme Les Bourgeois de Ben Van Cauwenbergh, beaucoup vue mais qui fait toujours son effet. Giorgio Fourès s’en empare avec une décontraction désarmante. Avec Alexandre Boccara, ils illuminent Les Indomptés de Claude Brumachon, concentré de liberté et de complicité. Un duo que les deux danseurs investissent avec la fougue nécessaire.
Si Hortense Maurin et Théo Ghilbert ont eu la responsabilité d’ouvrir cette soirée avec La Fille mal gardée (version Joseph Lazzini), on préfère les retrouver pour l’un dans Le Corsaire au côté de Clara Mousseigne d’une grande vivacité. Et pour l’autre dans Donizetti – pas de deux de Manuel Legris où elle est éclatante à côté d’un Nicola di Vico qui s’envole ! Quel ballon ! Éblouissant.
Mais le duo qui irradie la scène du théâtre antique, c’est l’Étoile Ludmila Pagliero (si discrète cette saison) avec Jack Gasztowtt, récemment promu Premier danseur. Un grand bonheur de revoir d’abord le beau pas de deux La méditation de Thaïs, extrait de Ma Pavlova de Roland Petit. Une parfaite alchimie entre ces deux interprètes que l’on retrouve dans Unfolding, pièce de Simone Valastro, commande de Vaison Danses, qui a tout pour devenir un tube. Voilà beaucoup de fluidité et d’amplitude dans les mouvements pour un pas de deux sophistiqué sur une belle musique très lente de John Adams. Un moment suspendu dans cette soirée.
Alors qu’on s’attriste presque de voir ce stimulant programme s’achever, un final chorégraphié nous permet de jouer les prolongations encore quelques minutes. Les douze danseuses et danseurs virevoltent tels des papillons de nuit. Le théâtre antique de Vaison-la-Romaine explose de joie et fait tout pour retenir le plus longtemps possible, par ses applaudissements, les stars de cette belle soirée.
Festival Vaison Danses du 10 au 24 juillet 2024.
Kintsugi par la compagnie Machine de cirque. Direction artistique : Vincent Dubé. Mise en scène et lumières : Olivier Lépine. Avec Naomie Vogt-Roby, Damien Descloux, Vladimir Lissouba, Ariel Cronin, Todd Degnan, Marie-France Huet, Evelyne Paquin-Lanthier, Anne-Marie Godin. Mercredi 17 juillet 2024. À voir en tournée à partir de novembre 2024.
La Nuit des étoiles par Les Italiens de l’Opéra. La Fille mal gardée de Joseph Lazzini avec Hortense Maurin et Théo Ghilbert : Arepo de Maurice Béjart avec Alexandre Boccara ; Don Quichotte de Rudolf Noureev avec Bleuenn Battistoni et Francesco Mura ; La Méditation de Thaïs de Roland Petit avec Ludmila Pagliero et Jack Gasztowtt ; Les Bourgeois de Ben Van Cauwenbergh avec Giorgio Fourès ; La mort du cygne de Michel Fokine avec Silvia Saint-Martin ; Le Corsaire de Marius Petipa avec Clara Mousseigne et Théo Ghilbert ; Les Indomptés de Claude Brumachon avec Giorgio Fourès et Alexandre Boccara ; Unfolding de Simone Valastro avec Ludmila Pagliero et Jack Gasztowtt ; Donizetti – pas de deux de Manuel Legris avec Hortense Maurin et Nicola Di Vico ; Appointed rounds de Simone Valastro avec Bleuenn Battistoni, Clémence Gross, Silvia Saint-Martin, Giorgio Fourès et Alexandre Boccara. Samedi 20 juillet 2024.