Soirée Diamant – Ballet de l’Opéra de Norvège
Au coeur de l’hiver, le Ballet de l’Opéra de Norvège a donné un riche programme mixte Diamant, mêlant la magnificence de Diamants de George Balanchine à la théâtralité de Sol León et Paul Lightfoot, pour trois entrées au répertoire. Deux formes de virtuosité tout aussi complexes même si très différentes, dans lesquelles se plongent sans peur et avec bonheur la compagnie d’Oslo. La pièce du maître américain donne un bel avant-goût de l’arrivée de Joyaux la saison prochaine, tandis que le duo du NDT ne cesse d’étourdir par son inventivité dramatique.
L’Opéra d’Oslo, comme un iceberg émergeant de la mer au cœur du port recouvert de glace, a quelque chose de fascinant en ce jour froid de février. Le plus bel opéra contemporain d’Europe émerveille décidément quelle que soit la saison. Mais c’est bien sûr ce qui se passe à l’intérieur qui nous intéresse surtout chez DALP. Le Ballet de l’Opéra de Norvège est passé par la France cette saison, avec le récent Light of Passage de Crystal Pite ou lors des rencontres Ballets européens au XXIᵉ siècle organisées par le Ballet du Rhin. Quelques semaines plus tôt, la compagnie avait proposé à Oslo une soirée intitulée “Diamant”, composée de trois belles entrées au répertoire, montrant son ancrage dans le néo-classique sans oublier le répertoire académique.
Diamants de George Balanchine, troisième et dernière partie de Joyaux, ne pardonne pas. Tout est magique dans cette chorégraphie : la musicalité permanente, le magnifique travail de corps de ballet, le pas de deux rappelant les grandes œuvres du Ballet impérial, où lyrisme et sensibilité sont omniprésents. Pour une première, le Ballet de l’Opéra de Norvège s’en sort avec les honneurs. La sûreté technique, le souci de la poésie, le travail et la précision dans les alignements sont là. Ne reste plus qu’à s’amuser un peu, pour entrer pleinement dans la danse si pleine de nuances de George Balanchine. Un sentiment qui ne peut naître qu’avec l’habitude.
Le travail du corps de ballet n’en reste pas moins admirable. Parmi les solistes, Natasha Jones Dale, remarquée lors d’une précédente saison dans Onéguine de John Crancko où elle dansait une lumineuse Olga, fait preuve d’un sens aigu des accents et semble jouer constamment avec la musique, apportant cette complexité qui donne toute la saveur aux oeuvres de George Balanchine. Pour le couple principal, j’attendais beaucoup de Vasilii Tkachenko, ancien Soliste du Mariinsky, donc a priori très à l’aise dans ce répertoire. S’il se révèle un partenaire solide, l’on a d’yeux que pour sa danseuse Melissa Hough. La reine de la compagnie tient décidément son rang quel que soit le répertoire, imposant son lyrisme sans chichi et une danse d’une grande profondeur, celle d’une ballerine au fait de sa maturité. Joyaux dans son entier est programmé la saison prochaine, l’on sent que la présence de Diamants en amont – dans la superbe production du Royal Ballet – sonnait comme un premier round. Et qui donne très envie de voir le deuxième.
Diamants était entouré de deux pièces des incontournables Sol León et Paul Lightfoot, qui ont trouvé au Ballet de l’Opéra de Norvège une terre fertile. Tout commence ainsi par leur court pas de deux Schubert. L’on retrouve sans peine la patte du duo de chorégraphes : cette danse virtuose et constamment habitée, ce penchant pour une certaine théâtralité, un goût du graphisme en noir et blanc. À ce jeu, Yolanda Correa et Silas Henriksen sont percutants, dans ce duo d’amour qui passe presque trop vite, comme un très bon amuse-bouche presque un peu frustrant par son instantanéité.
Stop Motion, qui a déjà dix ans, fait office de plat de résistance pour clôturer la soirée. Pièce majeure d’une trentaine de minutes, elle nous emmène dans un sinueux chemin, faits de départs, d’adieux de solitude, mais où l’espoir affleure toujours. Si Sol León et Paul Lightfoot ont parfois une narration claire affichée, Stop Motion navigue entre deux eaux. La théâtralité y reste très marquée mais le fil narratif reste volontairement flou, s’appuyant sur un univers fait de contrastes. En fond de scène, une vidéo diffuse le visage de Saura, la fille du duo de chorégraphes. Sur le sol, une fine poudre blanche dessine des espaces, magnifie les mouvements, ou au contraire devient objet de lutte. Et au milieu de tout cela : la danse, immense, percutante et lyrique de l’ensemble des artistes en scène, d’une complexité infinie tout en donnant l’impression, par ce si beau travail du dos, d’être créée dans l’instant. La scénographie peut donner l’impression de mettre en place un cadre un peu écrasant : au contraire, elle dessine un espace où l’intime a toute sa place. Dans un ultime duo suspendu, Grete Sofie Borud Nybakken et Douwe Dekker apportent comme de l’espoir, une certaine sérénité après l’errance, permettant de se poser en douceur, encore songeurs, de cet étrange voyage.
Si le Ballet de l’Opéra de Norvège brille dans ce type de répertoire contemporain aux fortes bases académiques, elle n’en oublie pas non plus le répertoire classique. Sa saison 2024-2025 en comptera d’ailleurs un peu plus que celle écoulée : Joyaux de George Balanchine déjà évoqué, Cendrillon de Ben Stevenson, l’incontournable Casse-Noisette, Don Quichotte de Rudolf Noureev ou Manon de Kenneth MacMillan. Un programme ambitieux pour une compagnie qui l’est tout autant.
Soirée Diamant par le Ballet de l’Opéra d’Oslo
Schubert de Sol León et Paul Lightfoot, avec Yolanda Correa et Silas Henriksen ; Diamants de George Balanchine, avec Melissa Hough et Vasilii Tkachenko ; Stop Motion de Sol León et Paul Lightfoot, avec Julie Petanova, Alex Cuadros Joglar, Ricardo Castellanos, Jonathan Olofsson, Nae Nishimura Skaar, Grete Sofie Borud Nybakken, Shaakir Muhammad et Douwe Dekkers. Jeudi 8 février 2024 à l’Opéra d’Oslo.
La saison 2024-2025 du Ballet de l’Opéra de Norvège est en ligne.