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[Festival d’Avignon 2024] Forever (immersion dans Café Müller de Pina Bausch) de Boris Charmatz / The Disappearing act. de Yinka Esi Graves

Cette année, pour évoquer le Festival d’Avignon, DALP a retenu deux propositions. D’abord, Forever, émouvante immersion dans Café Müller conçue par Boris Charmatz, « artiste complice » de cette 78e édition. Une épopée chorégraphique de sept heures durant lesquelles vingt-cinq interprètes se relaient pour enchaîner les représentations de la pièce culte de Pina Bausch. Expérience inédite qui permet de percevoir ad libitum la vitalité d’une œuvre qui traverse le temps. Puis une découverte, Yinka Esi Graves, danseuse et chorégraphe britannique installée en Espagne, qui sculpte le flamenco d’une approche politique. Créé au Festival Flamenco de Nîmes en 2023, ce solo impressionne par la force de son propos. Une interprète à suivre de très près.

 

Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch) de Boris Charmatz

 

La bonne attitude : se rendre à ce Forever sans a priori en se laissant porter par la proposition de Boris Charmatz, directeur artistique du Tanztheater Wuppertal, proposé au Festival d’Avignon.Surtout quand, comme moi, on a découvert Café Müller pour la première fois en ouverture du film d’Almodovar Parle avec elle. Alors, pour quelques minutes, se mettre dans la peau d’une journaliste débutante et se prendre en plein cœur ce concentré de Tanztheater. Dans la FabricA, la forêt des célèbres chaises occupe l’espace central. Chacun s’installe où il le souhaite. Un peu par hasard en arrivant, de manière plus réfléchie ensuite. Cette façon de casser le rapport frontal à la pièce n’est pas pour déplaire. De même que l’expérience immersive qui nous est proposée, enchaîner six représentations de la pièce avec des distributions différentes est un marathon chorégraphique dont on ressort changée.

Je me souviens avoir lu une interview de Dominique Mercy, interprète majeur de Pina Bausch, révélant que le public riait à Café Müller malgré la gravité de la musique de Purcell. Voir ce couple au sein duquel la femme portée par l’homme, tombe, se relève, retourne dans ses bras, chute encore suscitait l’hilarité. Personne ne rit en cet après-midi de juillet. Il règne une atmosphère à la fois recueillie et respectueuse. Soudain, Helena Pikon apparaît longiligne en nuisette à bretelles blanches. Un être de chagrin, comme une réincarnation de la chorégraphe. Et cela a suffi à justifier ma présence. En voyant Café Müller, il faut sans doute, pour paraphraser le poète que “le cœur se brise ou se bronze“.

Que se dire en sortant ? Que l’intensité de cette œuvre, malgré les différences entre les interprétations, les changements de scénographie ou les prises de parole, est parvenue, une nouvelle fois jusqu’à nous. Ces frôlements, ces déchirures, ces courses éperdues dans ce labyrinthe de chaises sans fil d’Ariane pour retrouver l’être aimé sont venus à chaque fois nous percuter, nous secouer. Penser que peut-être là où se situe l’intérêt de la proposition réside aussi ses limites pour un public moins connaisseur.

 

Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch) de Boris Charmatz

 

Dès l’annonce de la programmation de la 78e édition du Festival d’Avignon, la proposition de Yinka Esi Graves comptait parmi celles qui suscitaient le plus de curiosité. Si on se souvient l’avoir vu danser chez Dorothée Munyaneza, elle est encore peu connue du public français sauf des fidèles du Festival Flamenco de Nîmes où elle a créé ce solo The Disappearing act. Installée depuis quinze ans en Espagne, cette Londonienne questionne son art à l’aune de ses racines africaines.

Dans la cour du Lycée Saint-Joseph, au centre du plateau, elle apparaît à moitié dissimulée par une gerbe dorée qui tombe du ciel. Ses jambes et ses bras émergent par intermittence. Des gestes secs, précis, nerveux. Son charisme est immédiat. Même impression quand elle sort de ce rideau-cachette et se montre dans une combinaison courte au violet flamboyant. Impossible de détacher son regard de ses mains véloces et de ses pieds qui martèlent le sol comme s’ils appelaient quelqu’un.

 

The Disappearing Act. de Yinka Esi Graves

 

Sa façon de danser se fait de plus en plus revendicatrice, comme si elle convoquait par la force de sa frappe des ancêtres lointains afrodescendants. Parmi ses figures oubliées, miss Lala ou Mademoiselle La La, peinte par Degas, acrobate noire, à qui elle rend hommage. Qu’elle dessine sur le sol des cercles à la craie reliés ensemble comme des planètes ou qu’elle couvre ses cheveux courts d’une perruque longue puis se maquille en direct pour “effacer [ses] origines“, elle interpelle. Elle déroule à travers son corps de femme noire un récit flamenco qui bouscule les codes, à la fois intime et personnel mais aussi avec la dose d’universel qui rassemble. Elle fait ressurgir une part étouffée et peu lisible qui appartient pourtant à cet art.

Ses mains, si importantes dans cette danse, expriment tout ce refoulé. Si expressives, elles sont ses meilleures ambassadrices. Accompagnée, portée, par des musiciens magnifiques (batterie, guitare, chant), Yinka Esi Graves déploie un flamenco original, sombre et intense, dans ce festival qui en a vu pourtant bien d’autres ! Cette danseuse puissante marque d’une empreinte durable cette 78e édition du Festival d’Avignon et, osons-le, le flamenco contemporain.

 

The Disappearing Act. de Yinak Esi Graves

 

Festival d’Avignon 2024

Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch) de Boris Charmatz. Avec l’Ensemble du Tanztheater Wuppertal, les invitées et invités* : Dean Biosca, Naomi Brito, Emily Castelli, Boris Charmatz, Maria Giovanna Delle Donne, Taylor Drury, Çağdaş Ermiş, Julien Ferranti*, Letizia Galloni, Scott Jennings*, Lucieny Kaabral, Simon Le Borgne, Reginald Lefebvre, Alexander López Guerra, Nicholas Losada, Blanca Noguerol Ramírez, Milan Nowoitnick Kampfer, Nazareth Panadero*, Héléna Pikon*, Jean Laurent Sasportes*, Azusa Seyama-Prioville, Michael Strecker, Christopher Tandy, Tsai-Wei Tien, Frank Willens, Tsai-Chin Yu.  La FabricA. Jeudi 18 juillet 2024 à la FabricA à Avignon.

The Disappearing Act. de et avec Yinka Esi Graves. Avec Raúl Cantizano (guitare), Remi Graves (batterie), Rosa de Algeciras (chant). Vendredi 19 juillet 2024 dans la Cour du Lycée Saint-Joseph à Avignon.

 

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