Marc-Emnanuel Zanoli : “Danser à la cérémonie d’ouverture des JO : un événement improbable, exceptionnel, unique”
Les Ballets de l’Opéra de Bordeaux, du Rhin, de Lorraine, du Malandain Ballet Biarritz ont dansé ensemble, avec des élèves du CNSMDP, lors d’un grand tableau durant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024. Une expérience unique en son genre, que nous raconte Marc-Emnanuel Zanoli, danseur du Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Moins de 24 heures après cette grande fête, il nous raconte les préparatifs d’un spectacle pas tout à fait comme les autres.
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Moins de 24 heures après la cérémonie d’ouverture (NDLR : l’interview a eu lieu le samedi 27 juillet), quels sentiments prédominent ?
C’est beaucoup d’émotions ! Cette saison a connu beaucoup de belles choses et elle vient de se terminer en apothéose avec cet événement improbable, exceptionnel, unique. Je suis sur un nuage olympique et je n’ai pas très envie d’en redescendre tout de suite ! Partager ça avec autant de monde, être tous et toutes réunis pour un seul spectacle, porter au mieux la culture française, rendre hommage à tous les sportifs, leur offrir une belle cérémonie…C’était incroyable.
Quand cette aventure a-t-elle démarré ?
À la rentrée de septembre, nous avons eu une réunion avec notre directeur Éric Quilleré, pour nous dire de ne pas partir en vacances dès la fin de Notre-Dame de Paris. “C’est top secret”, nous a-t-il juste dit. On a pensé à une tournée, à un grand festival français, mais pas du tout aux Jeux Olympiques, c’était impensable ! Au cours de la saison, après une semaine de vacances, nous avons eu trois jours de répétition avec Maud le Pladec et ses assistant-e-s. C’est là que nous avons appris. On nous a tout de suite demandé de rester très discret, de ne même pas en parler à notre famille.
Comment se sont passé les répétitions avec Maud le Pladec, la chorégraphe ?
Quand les répétitions ont commencé, Maud le Pladec et ses équipes sont venues avec un film avec une simulation du tableau. Cela nous a vraiment impressionnés de voir comment tout avait été pensé, toute la trame imaginée. Maud le Pladec a été honnête : sur ce type d’événement, même si la chorégraphie dure 8 minutes 30, on ne sera filmé qu’une ou deux minutes. Mais il fallait tout de même s’investir dans un langage chorégraphique qui n’était pas le nôtre. Nous n’avons pas eu beaucoup de temps : nous avions notre saison à porter, une tournée d’un mois en Chine… Les assistant-e-s de Maud le Pladec ont été très disponibles. Pendant un temps, nous travaillons trois heures avec eux avant d’enchaîner les auditions pour Mythologies d’Angelin Preljocaj (ndlr : qui ouvrira la saison prochaine). Sur la fin de saison, nous enchaînions le cours du matin, les raccords de Notre-Dame de Paris, une heure de répétition pour les JO puis le spectacle de Roland Petit.
Une fois sur Paris, vous avez retrouvé les autres compagnies qui allaient danser avec vous : le Ballet de Lorraine, le Malandain Ballet Biarritz, le Ballet du Rhin et des élèves du CNSMD, ainsi que des intermittents. Comment se sont passées ces retrouvailles ?
Nous avions su très vite que nous allions danser tous ensemble. Mais on ne s’est retrouvé qu’une semaine avant la cérémonie. Le jeudi 18 juillet, nous sommes arrivés sur Paris. Et on a commencé les répétitions le lendemain dans un studio de Marne-la-Vallée, toujours dans une ambiance top secret ! Je suis rentré dans ce grand hangar, il y avait deux estrades gigantesques de chaque côté. D’un coup, j’ai pris conscience de l’ampleur de l’événement, dans quoi on s’engageait, le nombre énorme de danseurs et danseuses réunies. On était autour de 300. Nous étions tous ensemble pour porter la même chose. Alors on va puiser dans l’énergie des uns et des autres. Les intermittents avaient un langage beaucoup plus contemporain, voire hip hop. On prenait dans leur énergie, leur rythme, leur investissement plus animal. Et eux puisaient dans notre propreté et notre qualité d’ensemble. Ils étaient sur l’estrade devant Hôtel-Dieu, nous de l’autre côté du pont devant le Tribunal. Il y a eu vraiment un échange entre nous, entre classiques et contemporains. On dansait juste ensemble et ça faisait du bien.
Comment se sont déroulées ces répétitions ?
Nous avons fait plusieurs filages, je finissais les larmes aux yeux. Même si nous ne partageons pas forcément tous le même langage chorégraphique, nous avions à vivre quelque chose de fort ensemble. C’était puissant. Nous avons eu seulement trois jours de répétitions, ce qui est peu. Nous avions appris la même chorégraphie, mais il y avait toujours des détails qui n’étaient pas les mêmes. Et puis aussi, nous danseurs classique, on est toujours dans le souci du détail, sur le moindre mouvement du petit doigt (rire). Lundi, nous nous sommes rendus sur le site, pour travailler pour la première fois la chorégraphie sur l’eau. C’est là que les premières images ont fuité. Puis nous avons eu trois jours de libre. On en a profité pour passer du temps avec les danseurs et danseuses des autres compagnies. On était hébergé sur un bateau de croisière vers Beaugrenelle, on était sur le pont à parler, à danser. On retrouvait des copains pas vus depuis longtemps, ou des gens que l’on connaissait uniquement par les réseaux sociaux. On a aussi bien sûr révisé la chorégraphie. Le vendredi est arrivé très vite finalement.
Vous pouvez nous raconter le Jour J ?
Vendredi matin, on se retrouve au petit-déjeuner, on se regarde et on se dit que l’on commence à sentir le stress monter. Je suis resté très concentré toute la journée, d’autant que les conditions n’étaient pas faites pour des danseurs et danseuses : nous étions 300 artistes, ainsi que toutes les équipes, dans un espace limité, dans un quartier bouclé. Nous sommes rentrés dans le Tribunal vers 11h, mais en fin de compte, le temps est passé vite. Il était temps de mettre le costume, de passer au maquillage et à la coiffure, de faire de jolies photos dans le grand escalier de ce bâtiment magnifique, sans oublier de se repasser la chorégraphie. 19h15, nous commençons à sortir. 19h30, on nous place derrière les estrades. On n’avait pas vraiment le corps chaud, il fallait apprivoiser le décor, l’espace, l’eau, les baskets qui s‘imbibent d’eau. La cérémonie commence. On avait un grand écran en ligne de mire et nous avons commencé à suivre avec tout le monde. On commence à sentir l’excitation comme la crainte de se planter. Il y a eu des regards, des gestes, des mots. La régisseuse, qui nous donnait les Tops dans l’oreillette, nous a fait un adorable discours. Elle était si euphorique face à cet événement ! Cela se préparait depuis tant de mois !
La pluie, vous l’avez gérée comment ?
Dès le matin, on a compris que la journée serait pluvieuse. On savait l’effet qu’avait le soleil sur les costumes et le décor, que le rendu allait donc être un peu plus terne. Mais très vite, on avait un objectif : mener à bien la chorégraphie. Et puis on danse déjà les pieds dans l’eau, ce n’est pas la pluie qui allait nous mouiller ! Elle a commencé à tomber juste avant le début de notre tableau. Nous nous regardions en se disant que l’on commençait à sentir les gouttes… Mais vraiment, à ce moment-là, on s’en moquait.
On arrive à profiter du moment en tant que danseur ?
Le jour J, il a fallu apprivoiser plein de choses que l’on n’avait pas eues en répétition : le public, les bruits de liesse populaire, les délégations qui passaient devant nous, les lances des pompiers, le grand écran qui filmait le tableau… Il fallait jouer avec, être concentré tout en n’étant pas trop dans sa bulle pour offrir quelque chose au public et téléspectateur-rice-s. En tant que danseur, techniquement parlant, j’aurais voulu aller plus loin dans le mouvement. Mais c’est le jeu du one shot ! On en profite, parce que l’on sait que ça n’arrivera qu’une fois dans une vie. On est emmené dans l’énergie générale.
Vous avez pu suivre la fin de la cérémonie ?
À la fin du tableau, nous nous sommes tous félicités et pris dans les bras, même si nous avions du mal à quitter le lieu. Nous sommes finalement rentrés sur notre bateau-hôtel et nous avons regardé la fin de la cérémonie. On a tous été très émus par les passeurs et passeuses de la Flamme, par le grand retour de Céline Dion ! On a profité. Et ça y est, le lendemain matin, nous sommes rentrés chez nous.
Les Ballets de France ont participé à la cérémonie d’ouverture, mais aussi au relais de la Flamme pendant les semaines qui ont précédé, dans différentes villes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cette mise en avant me rassure. Il y a une prise au sérieux du métier de danseur et danseuse, du fait que l’on puisse être utile sur un plan artistique et culturel. On avait notre place, on était regardé, on était essentiel. Danseur et sportif, nous nous ressemblons : nous donnons tellement de nous dans une carrière éphémère. La danse a sa place dans ce type de manifestation, c’est indiscutable. Mais il y a eu des événements au sein des JO qui ont fait comprendre que le statut de danseur n’était toujours pas considéré, compris ou respecté alors qu’il est parfois précaire, et qu’il y a un tel budget dans ce genre d’événement. C’est incroyable de participer aux Jeux Olympiques, c’est unique ! Mais ce ne sont pas les Jeux qui nous font un cadeau. Ce sont les danseurs et danseuses, sur les estrades, qui ont permis d’offrir une séquence de danse de haute qualité et une belle cérémonie.
Vous allez suivre les Jeux Olympiques
Oui, je suis toujours les JO ! Quelles que soient les épreuves. j’aime les exploits sportifs.
Bob
Pitié, ils ont dansé sur QUELLE MUSIQUE ? On ne trouve l’info nulle part. Merci !
Barré
Il y avait également beaucoup de talentueux (ses) danseurs (ses), intermittents (es) du spectacle qui ont participé à ce beau projet !!! Ne les oublions pas !!!!
Baudoin Clotilde
Merci pour cet article !
Est ce que le tableau peut se retrouver en totalité, c’est tellement frustrant de savoir que ça dure 8 mn et que l’on n’a vu que 2’30 !
C’est un de mes regrets de cette soirée, la captation n’a pas permis de voir la totalité des tableaux dansés , la C*YX par exemple on n’a presque rien vu !
Mais merci pour tout quand même !
Tiffany
Merci beaucoup pour cet entretien très précieux ! Il est important de connaître les coulisses et tout le travail derrière un événement pareil. Ce tableau était le plus beau, le plus poétique et le plus raffiné. Vive la danse !