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[Le Temps d’Aimer la Danse 2024] Crocodile de Martin Harriague avec Émilie Leriche

C’est une tradition bien ancrée : ouvrir la saison au Temps d’Aimer la Danse, au cœur de Biarritz. Année après année, le festival, mené par Thierry Malandain, ne cesse de séduire par sa programmation éclectique, exigeante et populaire. La première belle découverte est venue dès l’ouverture avec la création Crocodile de Martin Harriague. Habitué du festival, le chorégraphe a livré un duo brillant avec sa partenaire Émilie Leriche. Martin Harriague est arrivé à s’emparer de ce thème si universel – et parfois éculé – de l’évolution d’un couple amoureux par une écriture brillante et menée avec beaucoup de sensibilité.

 

Crocodile de Martin Harriague avec Émilie Leriche

 

Question météo, Le Temps d’Aimer la Danse n’a pas démarré sous les meilleurs auspices, avec une pluie drue et persistante pour son week-end d’ouverture. Petite parenthèse : cela n’a pas découragé les fidèles (dont bien sûr je fais partie) de la Gigabarre traditionnelle du dimanche matin, menée avec tout l’enthousiasme possible par Xenia Wiest. Sur scène, le festival, qui marque chaque année avec brio le début de la saison chorégraphique, a une nouvelle fois tenu toutes ses promesses. Après une première journée de spectacles mitigés – nous y reviendrons – tout a semblé véritablement commencé lors du deuxième jour, avec notamment la création Crocodile de Martin Harriague.

Le chorégraphe est un habitué du festival, que ce soit par ses pièces pour le Malandain Ballet Biarritz dont il fut un temps chorégraphe résident que pour le Hessisches Staatsballett la saison dernière, avec son inventif Of Prophets and Puppet. Ce dernier tirait plus vers le cabaret et donnait envie de voir le chorégraphe aux manettes d’une comédie musicale. Mais avec Crocodile, Martin Harriague nous prend à contre-pied en choisissant la forme la plus simple possible : le duo. Sur un thème on ne peut plus classique : le couple amoureux et son évolution. Pour avoir vu certaines de ses pièces précédentes, je connaissais l’inventivité du chorégraphe, son astuce pour se servir de mises en scène souvent théâtrales. Mais je ne connaissais pas forcément son écriture personnelle. C’est chose faite avec Crocodile, un exercice du duo amoureux semblant donc banal, mais que le chorégraphe relève brillamment, par une écriture profonde et perpétuellement inventive, jamais dénuée d’une grande sensibilité.

 

Crocodile de Martin Harriague avec Émilie Leriche

 

Le début de la pièce est ainsi un drôle de duo, où les deux artistes ne se touchent jamais. Ils sont pourtant en symbiose, un geste appelant celui de l’autre, le complétant, y répondant. Quelle belle manière de raconter la façon dont les corps se cherchent et s’accordent, comme parfois ils sont faits pour s’entendre alors qu’ils se connaissent tout juste et ne se sont pas encore apprivoisés. Les corps se rapprochent, se mettent à s’effleurer, involontairement parfois, puis de façon explicitement voulue. Enfin les mains se serrent et la pièce part sur cette variation, avant que le reste du corps ne se rencontre. Le duo devient ensuite plus physique, plus intense, plus animal. Puis la confrontation arrive, les désaccords, effleurant parfois la violence mais sans jamais tomber dedans. Les corps se séparent sans pourtant se déconnecter, continuant ce pas de deux étrange où les deux artistes, s’ils ne se touchent plus, ne sont pas non plus séparés.

Le duo n’est pas toujours clair dans sa ligne dramaturgique. Mais dans ces moments où la trame se perd un peu, la clarté du geste, la façon dont le mouvement s’écrit d’une manière toujours différente, prend le dessus. La scénographie, faussement sobre, construit l’espace efficacement, entre sa longue colonne blanche en fond de scène et les deux xylophonistes installés côté cour et jardin, entremêlant à la danse la musique répétitive et profonde de Simeon Ten Holt. Et le crocodile dans tout ça, qui donne le titre de la pièce ? Je le cherche au début dans la scénographie, avant de le laisser de côté dans mon esprit et de me laisser happer par la profondeur de la danse en plateau. Martin Harriague explique ensuite qu’il a reçu un jour un crocodile empaillé. Il décida qu’il serait la base de sa nouvelle pièce, sans en connaître encore le sens. Après quelques recherches avec Émilie Leriche, ils découvrent que le crocodile peut être la personnification de Léviathan, créature biblique symbole du chaos. Au chaos qui est aussi celui de notre monde d’aujourd’hui, le chorégraphe a voulu opposer une pièce lumineuse dominée par l’amour et une certaine espérance. Les corps, d’ailleurs, finissent par se rejoindre et retrouver une harmonie, qu’ils n’avaient de fait pas franchement perdue, pour se réempoigner la main.

Outre ce duo, qui semble marquer une nouvelle étape dans le cheminement de Martin Harriague, le chorégraphe démarre cette saison son travail à la tête du Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Fin novembre, juste après les élections américaines, il y présentera America, inspirée par la figure de Donald Trump. Pièce pour laquelle il sera en résidence à New York pendant lesdites élections. Un projet à suivre.

 

Crocodile de Martin Harriague avec Émilie Leriche

 

Autre petite forme au Temps d’Aimer la Danse, le travail de la sud-coréenne Sun-A Lee, présenté la veille. La singularité de la chorégraphe nous avait séduits, avec un beau programme présenté il y a deux ans au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence. À Biarritz, la soirée se fait plus hésitante. Entourée de trois interprètes, l’artiste y a présenté trois pièces symboles de son univers artistique, où, seule ou en quatuor, elle explore un travail avec l’argile pour un rite autour de la guérison. Le travail en scène est intense, mais se fait souvent trop aride, comme s’il manquait dans sa recherche personnelle ce fil ténu vers le public. Malgré la grande qualité des interprètes, et la certaine beauté apaisante d’une mise en scène où l’argile crée la matière, je suis restée au bord du chemin.

 

Dis Cover de Sun-A Lee

 

Festival Le Temps d’Aimer la Danse

Crocodile de Martin Harriague en collaboration avec Émilie Leriche, avec Martin Harriague et Émilie Leriche. Musique Canto Ostinato de Simeon Ten Holt jouée par Julien et Stéphane Garin de l’Ensemble 0. Samedi 7 septembre 2024 au Théâtre Michel Portal de Bayonne. À voir le 21 septembre au Festival Cadence, le 15 novembre à la Scène 55 de Mougins. America pour le Ballet de l’Opéra Grand Avignon le 30 novembre et 1er décembre à l’Opéra Grand Avignon.

Un Cover, Dis Cover et Re Cover de Sun-A Lee, avec Sun-A Lee, Eun-kyoung Kim, Yun-kyung Hur et Jae-won Jung. Musique de Hyun-hwa Cho, Nathan Davis, Hania Rani & Dobrawa Czocher. Vendredi 6 septembre 2024 au Théâtre du Colisée de Biarritz.

Le festival Le Temps d’Aimer la Danse continue jusqu’au 16 septembre.

 

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