[Le Temps d’aimer la Danse 2024] La Mégère Apprivoisée de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo
C’est avec les Ballets de Monte-Carlo et la reprise de La Mégère Apprivoisée de Jean-Christophe Maillot que s’est refermée la 34e édition du festival Le Temps d’aimer la Danse de Biarritz. Sous une météo revenue au beau fixe, ce dernier week-end a offert de multiples propositions avec ce final en apothéose, mené par la compagnie monégasque. Avec une distribution complètement renouvelée, dominée par l’éblouissante Juliette Klein dans le rôle-titre, le ballet de Jean-Christophe Maillot s’ancre comme une pièce majeure du répertoire des Ballets de Monte-Carlo qui le reprendra à Monaco cette saison après une tournée en Chine.
La Mégère Apprivoisée de Jean-Christophe Maillot – Juliette Klein (Katharina)
La Mégère Apprivoisée est une œuvre à part dans le travail de Jean-Christophe Maillot. Elle fut créée pour le Bolchoï en 2014. Le chorégraphe rejoignait ainsi les rares Français qui ont collaboré pour la prestigieuse troupe moscovite, parmi lesquels on compte les regrettés Pierre Lacotte et Roland Petit. La Mégère fut à la fois un succès public et critique avant d’être enlevée du répertoire à la demande de Jean-Christophe Maillot, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Elle revient cette saison au programme et, avant la reprise à Monaco pour les Fêtes, Le Temps d’aimer la Danse a eu la primeur de cette reprise avec une distribution inédite. C’est le propre des grands ballets de pouvoir se renouveler au fil de nouvelles interprétations. Et La Mégère Apprivoisée, dix ans après sa création, offre une palette immense. C’est une comédie – ce qui est rare dans les grands ballets narratifs – écrite par le plus grand poète de l’histoire, William Shakespeare, et dont le livret a été réécrit pour cette production par Jean Rouaud, Prix Goncourt 1990. Le romancier a resserré l’intrigue sans affadir le propos, ni amenuiser la place des différents protagonistes : on retrouve ainsi au centre de la narration les deux sœurs que tout oppose : Katharina, rebelle et qui refuse le mariage arrangé imaginé par son père et Bianca, qui rêve de convoler en justes noces.
Cette opposition de caractères fonde la dynamique du premier acte. Lou Beyne reprend le rôle de Bianca avec assurance et un travail de pointe affûté. Mais la révélation s’appelle Juliette Klein. Cette danseuse de 23 ans, formée à l’école Rosella Hightower de Cannes puis à l’Académie Princesse Grace a mis la Gare du Midi à ses pieds. Il est très émouvant de voir l’éclosion d’un talent majuscule. Il y a bien sûr ses lignes idéales : jambes longues, bras interminables dont elle joue à merveille, sachant déjà exprimer une multitude de nuances dans les angles ou l’écartement des doigts. Mais aussi une maturité artistique accomplie, alors que les rôles de comédie ne sont pas nécessairement les plus simples à interpréter. Qu’elle joue la fille rebelle, s’opposant au père, ou la femme farouche qui refuse de s’aliéner à un homme, Juliette Klein est à son aise dans tous les registres. Dans ce ballet qui va à toute allure, elle fait preuve d’une musicalité sans faille, construisant ses phrases avec nuances sur les partitions de Dimitri Chostakovitch choisies par Jean-Christophe Maillot.
La Mégère Apprivoisée de Jean-Christophe Maillot – Juliette Klein (Katharina) et Ige Cornelis (Petrouchio)
Juliette Klein surprend encore dans le long duo qui ouvre le deuxième acte. Elle se fonde avec la même assurance dans le registre de la femme amoureuse, passionnée et qui pourtant n’abdique jamais son pouvoir et son rang. Elle est admirablement soutenue par Ige Cornelis qui faisait aussi ses débuts dans le rôle de Petrouchio. Le danseur belge formé à l’école du Ballet Royal d’Anvers est davantage qu’un partenaire solide. Il joue avec facétie un virilisme outré pour se révéler au bout du compte une personnalité attachante. Ige Cornelis ne manque pas de charisme, ni d’humour et sa technique est sûre. Il faudrait citer tous les rôles secondaires qui excellent mais à défaut, on se doit de mentionner Lukas Simonetto qui endossait les habits de Grumio, valet drôlissime, sorte de bouffon malicieux. C’est l’autre révélation de cette distribution. À 23 ans, le danseur franco-suisse formé à l’Académie de Danse de Zurich a intégré la compagnie l’an dernier et c’est encore une belle prise des Ballets de Monte-Carlo. Bondissant avec aisance comme il se doit, il dévore la scène à chacune de ses apparitions.
La Mégère Apprivoisée de Jean-Christophe Maillot – Lukas Simonetto (Grumio) et Juliette Klein (Katharina)
Entamée sous une météo capricieuse, cette 34e édition du Temps d’aimer la Danse aura offert comme chaque année une large palette de la création d’aujourd’hui. Les adeptes de l’ultime Gigabarre le long de la plage n’auront pas eu à affronter la pluie pour ce dernier dimanche nimbé de soleil. Pas davantage les quatre protagonistes du Collectif Le G. Bistaki qui ont régalé le public avec leur énergie foutraque, munis de pelles à neige avec lesquelles ils jonglent et dansent, offrant un généreux théâtre de rue intitulé malicieusement Baïna(na). Plus tôt, au Théâtre du Colisée, Marc Lacourt et Ma Compagnie nous conviaient avec Valse avec… dans leur drôle de galerie où les tableaux ne cessent de se décrocher, où l’on croise un cow-boy déplumé et un chaperon rouge déluré. Voilà un spectacle tout public qui enthousiasme. C’est loufoque et totalement déjanté. On quitte toujours Biarritz à regret mais on se réjouit déjà du 35e festival que nous concoctera Thierry Malandain l’an prochain.
Valse avec… de Marc Lacourt
Festival Le Temps d’aimer la Danse
La Megère Apprivoisée de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo, avec Juliette Klein (Katharina), Ige Cornelis (Petrouchio), Lou Beyne (Bianca), Jérôme Tisserand (Lucentio), Francesco Resch (Hortensio), Michele Esposito (Gremio) et Lukas Simonetto (Grumio). Dimanche 14 septembre 2024 au Théâtre de la Gare du Midi. À voir du 29 décembre au 4 janvier au Grimaldi Forum de Monaco.
Valse avec… de Marc Lacourt/Ma Compagnie avec Laurianne Douchin, Laurent Falguieras, Marc Lacourt, Paulina Valentin, Samuel Dutertre. Dimanche 14 septembre 2024 au Théâtre du Colisée.
Baäna(na) par le Collectif le G.Bistaki de et avec Sylvain Cousin, Jive Faury, François Juliot et Florent Bergal. Dimanche 14 septembre 2024 sur le parvis du Casino Barrière.