[Le Temps d’aimer la Danse 2024] Robinson Cassarino / La Mov / CCN Ballet National de Marseille (La)Horde
Vous reprendrez bien encore une peu de cette foisonnante 34e édition du Temps d’Aimer la Danse ? Alors qu’elle a refermé ses portes sur un bilan très positif avec un taux de remplissage de 94 %, il est bon de souligner une fois encore la diversité de cette manifestation qui fait se côtoyer de jeunes chorégraphes, des compagnies internationales et de grands Ballets. S’arrêter deux jours dans ce festival a permis de découvrir Petites choses, un duo contemporain chorégraphié par Robinson Cassarino, danseur chez Hofesh Shechter. Puis de voir El Lago, revisite du Lac des cygnes par la compagnie LA MOV dirigée par Victor Jiménez. Enfin, de profiter d’un programme éblouissant du CCN Ballet national de Marseille au théâtre de la Gare du Midi.
Révélé en 2021 lors du premier Tremplin Corps & Graphique du Plaza Berri, concours mettant en valeur des talents émergents, Robinson Cassarino a déjà proposé une première ébauche de Petites choses il y a deux ans. Depuis, le danseur qu’on a remarqué dans la compagnie Hofesh Shechter (et également dans le film En corps de Cédric Klapisch) a peaufiné cette première pièce pour en proposer au Temps d’Aimer la Danse une version rallongée. Dans une épure de décors, deux interprètes Helena Olmedo Duyslaeger et Benoît Couchot incarnent un couple dans différentes séquences de leur vie.
Mis en valeur par deux parapluies qui évoquent ceux des photographes, le duo joue au chat et à la souris avec cet éclairage très cinématographique. Comme s’ils cherchaient et fuyaient tout à la fois cette exposition. Le mouvement est précis, les enchainements fluides, les deux interprètes parfaitement en harmonie. Mais le jeu avec la lumière tourne un peu court et on aimerait voir les corps se déployer plus encore dans l’espace. Pour des débuts chorégraphiques, Robinson Cassarino sait happer notre attention avec des gestes mesurés et une retenue qui ne demanderait qu’à exploser davantage.
On attendait beaucoup de El Lago, cette revisite du Lac des cygnes par la compagnie LA MOV. Notamment par la curiosité que suscitait le graphisme de la photo ayant servi d’illustration à l’affiche de la 34e édition du Temps d’Aimer la Danse : un couple en maillot et bonnet de bain dans un porté audacieux sur fond de décor de piscine. C’est effectivement dans ce cadre aquatique que le chorégraphe espagnol Victor Jimenez a décidé de planter l’action de la pièce, dansée par sa compagnie installée à Saragosse. Pourquoi pas ? Le petit côté suranné rappelant les chorégraphies d’Esther Williams, on est preneur. Tout comme d’un ballet aux accents néoclassiques tout à fait à sa place dans ce festival.
Est-ce le manque de recul par rapport à la scène qui empêche de se plonger dans l’atmosphère chlorée de ce lac ? D’emblée on en perçoit mal les contours au propre comme au figuré. Par moments l’outrance de certaines situations confine presque au pastiche, bien involontairement comprend-on. L’histoire aussi perd en limpidité et même revisité, l’argument se dilue dans les parades de ces humains volatiles en bonnets de bain à plumes. La musique de Tchaïkovski a beau nous ramener vers le Lac, on s’en éloigne de plus en plus au fur et à mesure de l’avancée de la pièce. Dommage.
Pour fêter les 40 ans des CCN, invitation a été lancée à (La) Horde et aux danseuses et danseuses du Ballet National de Marseille. Le programme proposé est composé de courtes chorégraphies de Lucinda Childs, Tânia Carvalho, Lasseindra Ninja et Oona Doherty. Difficile de ne pas se réjouir d’un tel kaléidoscope. D’autant que les interprètes envoient du lourd dès leur première apparition. Ces neuf minutes du Concerto de Lucinda Childs datant de 1993 sur une musique d’Henryk Górecki passent en un éclair. On ferait bien quelques arrêts sur images sur ces trajectoires tracées au cordeau, mais les notes au clavecin imposent leur cadence diabolique. Il faut beaucoup de rigueur et de maîtrise pour se couler dans les lignes dictées par l’icône de la danse post-moderne. Le résultat est bluffant.
L’ambiance est autrement plus déjantée avec la deuxième pièce et nécessite de mobiliser d’autres ressources. Créée pour le CCN de Marseille, One Of Four Periods In Time (Ellipsis) de Tânia Carvalho met en scène une quinzaine d’interprètes comme tombés d’une peinture qui prennent vie sous nos yeux. Volontairement outranciers et un peu provocateurs, ils se coulent avec beaucoup de malice et d’exubérance expressionniste dans ces tableaux vivants. Chaque mouvement en entraîne un autre dans un enchainement qui s’apparente à une course d’obstacles.
Seul faux pas de ce programme, la pièce Mood, ambiance très Crazy Horse concoctée par la star du voguing Lasseindra Ninja. Chorégraphiquement plus pauvre et répétitif, cet interlude qui tend à s’éterniser ne met de surcroit pas en valeur les interprètes. On perçoit chez eux pourtant comme une envie de s’approprier cet univers mais attention à ne pas se prendre les talons dans le tapis. Ce qui est à venir est beaucoup plus intéressant. À l’occasion d’un précipité qui les maintient au plateau, les interprètes se dépouillent de leurs précédents costumes pour revêtir une tenue blanche. Les voici prêts à irriguer la scène de cette rage qui sous-tend le double solo Hope Hunt & the Ascension into Lazarus d’Oona Doherty ici revisité. Là aussi carton plein. Ils s’emparent avec brio de la danse heurtée de la chorégraphe irlandaise. Entre violence et désespoir, cette chorégraphie d’un no future sur le Miserere Mei – Deus D’Allegri, prend aux tripes.
Pour clôturer cette soirée, pourquoi ne pas laisser le public sur un shoot d’adrénaline d’un des moments les plus emblématiques de Room with a view de (La) Horde. Cet essaim dansant rassemble des figures protestataires qui traduisent en gestes frénétiques et survoltés leur colère. L’engagement physique de ces dix-huit interprètes qui est monté crescendo toute la soirée trouve là son apothéose.
Festival Le Temps d’Aimer la Danse
Petites choses de Robinson Cassarino, avec Helena Olmedo Duynslaeger et Benoit Couchot. Mardi 10 septembre 2024 au Théâtre du Colisée.
El Lago de LA MOV. Chorégraphie de Victor Jiménez avec Paula Rodríguez, Imanol López, Daniel Romance, María Bosch, Fermín López, Ainhoa Fernández, Daniela Rodríguez, Hugo Martín. Mardi 10 septembre 2024 au Théâtre du Casino municipal.
Soirée Childs / Carvalho / Lasseindra / Doherty avec le CCN-Ballet national de Marseille (La) Horde. Concerto de Lucinda Childs.One Of Four Periods In Time (Ellipsis) de Tânia Carvalho. Mood de Lasseindra Ninja. Lazarus d’Oona Doherty. Room with a view (Extrait) de (La) Horde. Mercredi 11 septembre 2024 au théâtre de la Gare du Midi. À voir en tournée : les 13 et 15 novembre à l’Azimut de Châteney-Malabry, le 23 février au Palais des Festivals de Cannes, le 20 mars à la Faïencerie de Creil.