Tao Dance Theater – 13 et 14 de Tao Ye
Le Tao Dance Theater est en France pour une tournée d’automne qui a fait une première escale au Théâtre de la Ville avec un somptueux diptyque sobrement intitulé 13 et 14, le nombre respectif de danseuses et danseurs choisis par le chorégraphe Tao Ye. Le fondateur de cette compagnie chinoise, repérée pour son exceptionnelle virtuosité, offre ainsi deux pièces brillantes qui plongent dans un univers hypnotisant et infiniment séduisant. Et organise une danse pure portée par un art du mouvement d’une précision horlogère et une compagnie remarquable.
Cinq ans que le Tao Dance Theater n’était pas venu en France. Le Covid est passé par là et on imagine les difficultés qu’a pu rencontrer la compagnie pour reprendre ses tournées internationales. Certes, Tao Ye nous avait donné des nouvelles : on avait pu applaudir l’an dernier 15, pièce créée pour la prestigieuse Nederlands Dans Theater. Mais quelle aubaine de le revoir dirigeant les danseuses et les danseurs avec lesquels il travaille constamment. On a rarement l’occasion de voir en France et en Europe des compagnies chinoises. Celle-ci est sans doute la toute meilleure. Tao Ye a conquis la planète quasiment instantanément et parcourt depuis dix ans les festivals les plus réputés qui se l’arrachent. Il y a une raison évidente à ce succès : Tao Ye dynamite à sa manière les codes de la danse contemporaine. Il refuse d’y mêler tout discours et ne rédige jamais de note d’intention. Ce qu’il a à dire s’exprime dans le geste qu’il structure dans des ensembles qui vous enveloppent instantanément pour ne plus vous lâcher.
Ne comptez pas davantage sur un titre pour vous livrer la clef de ses chorégraphies : Tao Ye se contente d’un chiffre. Ses suites numérales peuvent se référer tout aussi bien au nombre d’interprètes de sa pièce qu’à sa place dans son œuvre. Peu importe. Le but est d’effacer toute scorie avant le lever de rideau. 13 qui ouvre la soirée s’articule sur des phrases répétitives au piano composées par son fidèle collaborateur Xiao He. Là encore, Tao Ye s’amuse à brouiller les pistes en instillant une structure syncopée entre sa chorégraphie et la musique. Treize danseuses et danseurs habillés différemment mais dans un semblable camaïeu de beige et de gris, pantalons larges, chasubles amples conçues par Duan Ni, co-fondatrice de la compagnie. Le groupe apparaît instantanément comme une entité unique, chaque artiste tournant sur lui-même. Visages hiératiques et mouvements impeccables dégagent une force inouïe.
Mais cette organisation implacable se dérègle de manière subreptice. Un ou une interprète semble s’échapper de cette mécanique pour exprimer sa singularité. Tao Ye imagine alors des solos brillants où se mélangent diverses techniques mais qui font appel toujours à la virtuosité acrobatique des membres de la compagnie. Ce bel ordonnancement du début semble alors se désorganiser. Des duos se forment dans des portés physiques mais qui n’abdiquent jamais la fluidité des corps qui subjugue. Les 13 finissent par se retrouver et reformer l’ensemble du début. On peut y voir une parabole sur la dialectique du groupe et de l’individu. Ou pas !
14, l’autre pièce de ce programme se voit évidemment en miroir de la précédente. Foin des tons automnaux, les 14 interprètes sont cette fois inondés des couleurs pastel de leurs robes larges. 14 couleurs pour 14 interprètes mais cette singularité lumineuse est comme un contrepoint à la chorégraphie de Tao Ye. Il fait fi dans cette pièce de la musique au profit du son d’une horloge, un tic-tac lancinant qui scande le geste. 14 est ainsi structuré d’un bout à l’autre comme un ensemble à l’unisson sans coupure, sans tentative de fuite. Il y a quelque chose d’infiniment solaire dans cet hymne au groupe, décliné par une danse vibrante où les tours et les vrilles sont entrecoupés par des passages au sol. Rien ne dépasse et on est de nouveau hypnotisé par cette danse pure d’une beauté incontestable qui vous emporte. Tao Ye sait parfaitement calibrer ses pièces : rien de trop, juste le temps idéal pour déployer sa danse. C’est superbe.
On comprend que Wayne McGregor ait été séduit par Tao Ye. Le chorégraphe britannique et directeur artistique de la Biennale de la Danse de Venise lui a octroyé ainsi qu’à son épouse Duan Ni, costumière de la compagnie, le prestigieux Lion d’argent. Son esthétique est unique et elle offre une autre vision de la création chinoise dont on sait trop peu de choses. Après le NDT, on imagine que de nombreuses compagnies les solliciteront tant leur art est précieux et renoue avec l’universalisme de la danse.
13 et 14 de Tao Ye par le Tao Dance Theater. Mercredi 16 octobre 2024 au Théâtre de la Ville de Paris. À voir en tournée : le 13 novembre au Théâtre de Saint-Nazaire, le 16 novembre au Théâtre de Cornouaille de Quimper, le 21 novembre au Quartz de Brest.