Alvin Ailey American Dance Theater – Un retour à Paris éblouissant après sept ans d’absence
Absente de la scène parisienne depuis sa venue dans le cadre des Étés de la danse en 2017, la compagnie Alvin Ailey American Dance Theater, dirigée par Matthew Rushing depuis 2020, a fait son retour pour onze représentations en cette fin octobre. Les deux programmes proposés en alternance ont permis de découvrir des œuvres inédites, mais aussi des pièces emblématiques du très riche répertoire de la compagnie new-yorkaise. Impossible de ne pas céder au plaisir légitime de la retrouver en grande forme. Clou de chaque représentation, le chef-d’œuvre Revelations sur lequel le temps n’a définitivement aucune prise et qu’on peut revoir toujours avec la même joie. Du show certes parfaitement calibré, jusqu’aux rappels, mais qui dégage une force intacte et une émotion sincère.
Depuis le temps qu’elle vient nous rendre visite de manière plus ou moins régulière (le Covid et les changement de direction ont impacté les tournées ces dernières années), on a pu voir l’Alvin Ailey American Dance Theater, la compagnie fondée par le chorégraphe Alvin Ailey, dans des salles plus ou moins adaptées pour ce type de propositions chorégraphiques. Le Palais des Congrès de Paris n’est sans doute pas le meilleur écrin pour établir une connexion entre le public et les artistes. Et c’est, peut-être, ce qui a fait fuir certains amoureux de la danse, alors que la troupe n’était pas venue depuis sept ans, même si le public a largement répondu présent. Mais nul besoin d’épiloguer plus longuement tant la compagnie a le pouvoir d’aller chercher même les spectatrices et spectateurs les plus lointains. Elle proposait, pour cette tournée parisienne, deux programmes. Les enchaîner durant une même après-midi suffit à percevoir la ferveur qu’elle suscite.
Le programme A débute par Survivors, pièce datant de 1986, trois ans avant la mort de son créateur. Alvin Ailey l’a conçue comme un hommage au couple Winnie et Nelson Mandela. Pas totalement narrative, la pièce fait référence à l’engagement de cette figure de proue de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. On y retrouve la gestuelle fluide propre au chorégraphe dans une atmosphère crépusculaire. Si elle n’a pas la puissance de Revelations, elle rappelle que la danse s’affirme aussi, particulièrement chez ce chorégraphe afro-américain, comme une caisse de résonances des causes universelles.
Présentée pour la première fois en France, Me, Myself and You qui lui succède nous plonge dans une histoire très différente, même s’il est aussi question d’un couple. Créée en 2023 par la chorégraphe Elizabeth Roxas-Dobrish, interprète de la compagnie de 1984 à 1997, cette pièce passe comme un rêve. Servies par deux interprètes (sublimes Caroline T. Dartey et James Gilmer) unis par une connexion évidente, ces sept minutes ont la beauté de la fulgurance. Ce pas de deux aux portés sophistiqués dégage un glamour teinté de nostalgie et de sensualité à haut pouvoir de séduction.
La nostalgie est évacuée par Century, une création datant également de 2023 et que l’on doit à Amy Hall Garner. C’est la première pièce de cette chorégraphe pour la compagnie. Elle met en scène la dizaine de danseurs et danseuses dans une ambiance festive qui célèbre le jazz de Count Basie à Ray Charles en passant par Duke Ellington. Quelle énergie ! Quelle joie dans ces tableaux très music-hall où les filles et les garçons redoublent de virtuosité. A tout moment, on s’attend à entendre résonner les claquettes tant leurs pieds nus martèlent le sol avec enthousiasme. Ce tourbillon de rose et de paillettes se révèle redoutablement efficace. Et prouve que la compagnie s’accommode fort bien de cet éclectisme.
Si le premier recelait des pièces inédites, le programme B cumule deux œuvres phares du répertoire fourni de la compagnie. Following the Subtle Current Upstream d’Alonzo King lui va d’ailleurs à merveille. Il y a beaucoup de moments suspendus dans cette pièce qui fait la part belle aux danseurs masculins. Sur les percussions subtiles de Zakir Hussain, la danse qui se déploie s’apparente à un voyage à la fois visuel et cinétique. Chaque interprète compose un maillon d’un chaîne invisible reliant passé et présent. Par moment abstraite, cette pièce est une invitation à la rêverie.
Créée en 2009 pour rendre hommage à Judith Jamison, directrice artistique de la compagnie après la mort de son fondateur jusqu’en 2011, Dancing Spirit réussit à fusionner les styles, de Cuba au Brésil en passant par les Etats-Unis. Le chorégraphe Ronald K. Brown a bien saisi le sens du collectif cher à Alvin Ailey. La danse emporte dans un flux continu les neuf interprètes. Chacun met ses pas dans ceux de celui qui le précède dans une diagonale qui n’en finit plus. Ils traversent la scène dans une sorte de passage de relais où chaque geste se répond. C’est magnifiquement articulé et réglé. Hannah Alissa Richardson se glisse dans la peau de son illustre aînée et dessine un beau portrait de femme habitée par son art. La danse vue comme une éternelle histoire de transmission.
Clou des deux programmes, Revelations fait l’effet d’un ascenseur émotionnel qui produit à chaque fois les mêmes soubresauts. Le voir deux fois dans la même journée constitue une expérience inédite quasi spirituelle. Alors que la salle est plongée dans un noir profond, des murmures ouvrent Pilgrim Of Sorrow, la première partie de la pièce. Dans une lumière ocre, un essaim de femmes et d’hommes lèvent leurs bras vers le ciel puis descendent vers le sol dans un profond plié. « I’ve been buked and I’ve been scorned » (« J’ai été réprimandé et méprisé »). Peu de ballets possèdent un incipit aussi intense. Née des souvenirs d’enfance de son créateur, cette pièce traverse le temps car elle a la puissance des récits universels.
Alvin Ailey American Dance Theater au Palais des Congrès de Paris.
Programme A : Me, Myself and You d’Elizabeth Roxas-Dobrish, Century d’Amy Hall Garner, Survivors d’Alvin Ailey et Mary Barnett. Programme B : Following the Subtle Current Upstream d’Alonzo King, Dancing Spirit de Ronald K. Brown. Revelations d’Alvin Ailey présentée dans les deux programmes. Dimanche 20 octobre 2024.
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Gallois Isabelle
Bonjour,
Savez-vous quels morceaux de Zakir Hussain accompagnent les ballets de la partie traditionnelle du spectacle Alvin Ailey ?
J’ai énormément aimé cette musique !
Merci
I. Gallois