Sémiramis & Don Juan – Ballet du Capitole
Le Ballet du Capitole a démarré sa saison, la première de la direction Beate Vollack, sous le signe de la musique baroque de Gluck. Deux chorégraphes d’aujourd’hui, Àngel Rodriguez et Edward Clug, se sont emparés de deux ballets du compositeur, Sémiramis et Don Juan. À leur création, ces deux œuvres comptèrent comme les premiers actes du ballet moderne. Si ce n’est quelques réminiscences de danse baroque, les deux chorégraphes laissent l’histoire de la danse de côté pour se concentrer sur la musicalité de la danse, somptueusement servie par des danseurs et danseuses au diapason. Et c’est bien la musique de Gluck qui tient le fil rouge de la soirée, avec là une superbe scénographie, là un trio d’interprètes percutants, face à une écriture chorégraphique manquant parfois d’aspérité.
“La danse a dégénéré de nos jours au point de ne plus la regarder, depuis longtemps, que comme l’art de faire des entrechats et des gambades, de sauter ou courir en cadence”. S’agit-il d’un commentaire trouvé sur Facebook d’un-e nostalgique des années Noureev. Non ! Plutôt le constat du chorégraphe Angiolini en 1760. Avec le compositeur Gluck, il rejette le courant de son époque ne regardant la danse que comme un simple divertissement. Il veut donner du sens à chaque geste, mimer l’action et les sentiments : c’est ainsi qu’arrive le « ballet pantomime ». Les deux artistes créent ensemble, entre autres, Don Juan ou le Festin de pierre (1761) et Sémiramis (1765). C’est sur ces deux œuvres que Beate Vollack a voulu ouvrir sa toute première saison au Ballet du Capitole en tant que directrice. Deux ballets revus par deux chorégraphes néo-classiques/contemporains d’aujourd’hui, Àngel Rodriguez et Edward Clug. Et portés musicalement par l’immense chef d’orchestre maître de la musique baroque Jordi Savall, et de son orchestre Le Concert des Nations.
Curieusement (ou non d’ailleurs, le fait est que je m’attendais spontanément à voir un travail a minima dans ce sens), les deux chorégraphes n’ont pas été spécialement attirés par la partie « Pantomime » de « Ballet pantomime », mais véritablement par la musique et les réminiscences de la danse baroque. Àngel Rodriguez, déjà invité il y a quelques années au Ballet du Capitole, ouvre ainsi Sémiramis avec des ports de bras aux coudes légèrement cassés si représentatifs de la danse de cour. C’est aussi ce qui anime sa façon efficace de mener un large groupe, quand deux lignes se font face puis se rejoignent aux réminiscences du XVIIIe siècle. Mais sa danse est instinctivement contemporaine, en prise au sol. Un mariage souvent heureux, d’autant qu’il est porté ici par un fin et fructueux travail musical, où la partition de Gluck semble souffler dans chaque pas, et où chaque pas pousse la musique en avant. Il n’y a pas à chercher de personnages dans une œuvre profondément collective et où peu de solistes sont amenés à se détacher. Les danseurs et danseuses ne sont pas spécialement porteurs d’émotion, la contradiction avec les préceptes d’Angiolini est même assez frappante (ce qui n’est pas un défaut en soi, chaque chorégraphe prend la direction qu’il souhaite). Les nuances arrivent plutôt du superbe rideau de scène. Recouvrant comme un manteau de mousse les artistes en lever de rideau, il se déploie imperceptiblement au fur et à mesure du ballet, prenant des allures de tempête, de nature folle, de soleil éclatant ou de crépuscule presque lugubre.
Edward Clug, qui crée pour la première fois au Ballet du Capitole, part dans la direction opposée : une scénographie sobre mais trois personnages identifiables de suite, qui rythment le ballet – même si l’on reste encore dans une veine relativement abstraite. Alexandre De Oliveira Ferreira apparaît comme un Don Juan plus vrai que nature, à la fois beau comme un Dieu et transpirant d’arrogance, devenant farouche sans ambiguïté à la vue d’une femme. Donna Elvira peut faire partie de ses victimes. Mais au fil de l’oeuvre, les rapports de force s’inversent, entre un Don Juan qui se laisse petit à petit envahir par sa noirceur et Marlen Fuerte Castro montrant une Donna Elvira devenant femme puissante. Le tout cadencé par Sganarelle apportant une touche absurde bienvenue, même si le personnage reste un peu sous-exploité – d’autant plus quand il est dansé par Philippe Solano, jamais en manque de verve. L’inspiration de la danse baroque se fait plus par petites touches, à travers une large danse d’ensemble par exemple rappelant une fois de plus les danses de cour. Edward Clug laisse parler sa danse néo-classique, en écoute profonde, là encore, de la musique.
Une même conclusion, donc, pour deux œuvres partant dans des directions différentes mais se retrouvant dans leurs qualités et défauts respectifs. Àngel Rodriguez comme Edward Clug ont l’efficacité de faire danser un large groupe, de le faire vivre, de le nourrir par leur musicalité – magnifiquement rendus dans les deux cas par les danseurs et danseuses du Capitole en très grande forme. La qualité des interprètes compense d’ailleurs le défaut commun de ces deux créations : une danse qui manque tout de même d’aspérités, de saillies pour devenir pleinement captivante. Reste ce formidable travail autour de Gluck, véritable fil rouge de la soirée, qui donne toute l’exigence du programme, sous la baguette de Jordi Savall. En introduction de ces deux ballets a d’ailleurs été joué un extrait d’Iphigénie en Aulide. Comme une longue introduction permettant au public de plonger dans les méandres de la musique de Gluck.
Sémiramis d’Àngel Rodriguez par le Ballet du Capitole ; Don Juan d’Edward Clug avec Alexandre De Oliveira Ferreira (Don Juan), Marlen Fuerte Castro (Donna Elvira) et Philippe Solano (Sganarelle) et les artistes du Ballet du Capitole. Orchestre Le Concert des Nations, direction musicale Jordi Savall. Jeudi 24 octobre 2024 au Théâtre du Capitole. À voir jusqu’au 30 octobre. Et à voir en tournée du 23 au 29 mars au Grand Théâtre du Liceu de Barcelone et à l’Opéra-Comique (Paris) du 24 au 28 mai.
Pevel
C’est dommage que vous n’ayez pas parlé de Coppelia dansé par l’Opera de Nice …