Mayerling de Kenneth MacMillan par le Ballet de l’Opéra de Paris – Hugo Marchand et Dorothée Gilbert
Entré en grande pompe au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris il y a deux ans, le célèbre ballet Mayerling de Kenneth MacMillan fait son retour sur la scène du Palais Garnier. Malgré la splendeur de la production et des prises de rôles très réussies (Mathieu Ganio en tête), ce ballet avait laissé en 2022 des souvenirs plutôt mitigés. Qu’en est-il de cette reprise ? Pour la première de cette série, la compagnie a aligné une distribution de luxe, avec un Hugo Marchand transcendé, entouré d’un casting féminin sans fausses notes, qui réussit presque à faire oublier les faiblesses d’une œuvre peu digeste.
Kenneth MacMillan, grand chorégraphe anglais du XXe siècle, est l’un des piliers du répertoire du Royal Ballet de Londres, avec des oeuvres profondément théâtrales. Si ce n’est pas la qualité première du Ballet de l’Opéra de Paris, la compagnie danse cependant depuis longtemps son Histoire de Manon, créé en 1974 et devenu un tube planétaire. En 2022, Aurélie Dupont, alors Directrice de la Danse, a souhaité faire venir une autre oeuvre du chorégraphe, Mayerling, montée en 1978 et qui n’a pas connu le succès mondial de Manon, restant avant tout dansé par le Royal Ballet. Cette entrée au répertoire n’avait pas franchement convaincu. Personnellement, quand je pense au « style Kenneth MacMillan », je vois surtout sa passion pour les nuances de brun et les perruques douteuses, sa tendance à chorégraphier des grandes scènes de bordel, avec des prostituées portées dans tous les sens par une armée de jeunes hommes libidineux et un penchant pour les pas de deux acrobatiques. Globalement une esthétique d’un autre temps, mais toujours habité par un sens de la narration sans faille où chaque geste a un sens. Du moins, c’est ce que laissait voir L’Histoire de Manon. Malheureusement, cet art de raconter une histoire est pris en défaut dans Mayerling, faisant ressortir son aspect daté, voire poussiéreux, qui n’a pas été dépassé lors de cette reprise par la compagnie parisienne.
L’entrée en matière est particulièrement difficile avec un premier acte qui traîne en longueur tout en peinant à instaurer l’intrigue. Cette dernière est certes particulièrement riche, tournant autour du double meurtre, ou suicide, du Prince Rodolphe d’Autriche et de sa maîtresse la baronne Marie Vetsera dans son pavillon de chasse de Mayerling. Mais cet enchaînement de courtes saynètes, avec une bonne dizaine de rôles à introduire, n’est pas très facile à digérer (comment ça la blonde à frange est censée être la petite sœur du prince ?). L’acte défile sans que les motivations des personnages soient clairement établies et l’émotion peine à percer dans ce torrent d’informations. Le pas de deux entre Rodolphe et son épouse, la princesse Stéphanie, qui retranscrit pourtant parfaitement la violence de l’agression qui est en train d’être commise, perd de son impact tant il semble venir de nulle part. Le seul moment de répit de ce premier acte vient de la confrontation entre le prince héritier et sa mère, l’Impératrice Élisabeth (Sissi pour les intimes). Une scène toute en retenue mais qui, avec des gestes simples, plante parfaitement la relation entre ces deux êtres. Enfin je retrouve le Kenneth MacMillan qui donne un sens à chacun de ses pas.
Le ballet trouve véritablement son rythme à partir du deuxième acte. Les tableaux sont mieux installés, la narration devient plus lisible et de vrais beaux moments de danse sont proposés, avec en tête les redoutables pas de deux entre Rodolphe et Mary Vetsera. Il en va de même pour les artistes sur le plateau. Un peu engoncé en début de soirée, pris dans une pièce qui leur donne peu de place, tout le monde se libère et se met au diapason pour raconter cette histoire avec un engagement qu’on ne voit pas toujours dans ce genre de ballet. Même l’orchestre, qui a eu du mal à se chauffer, se réveille. Car c’est une très belle distribution de première qui a été composée pour l’occasion. En première ligne, Hugo Marchand qui a la lourde tâche de donner vie à ce rôle complexe. Déjà distribué il y a deux ans, il s’y était montré plein de promesses sans toujours trouver une cohérence au fil des passages. Il joue dans les premières scènes la carte de l’enfant terrible. Hautain et impertinent dans les scènes de cour, cherchant à tromper l’ennui à coup de provocation gratuite, il devient un petit garçon en manque d’attention dès qu’il est en contact avec sa mère. Le contraste entre le physique imposant du danseur et son attitude d’enfant fragile est saisissant.
Au fur et à mesure du spectacle, le Danseur Étoile se métamorphose. D’une cruauté machiavélique lors de sa nuit de noces, bestiale lors des pas de deux avec Mary Vetsera avant de finir complètement défait à la fin du ballet, cherchant à tout prix à sortir de son propre corps. Hugo Marchand semble avoir perdu 20 kilos à la fin de la représentation tant sa déchéance est visible. Complètement habité, mettant son engagement scénique et la projection de sa danse au service du ballet, il livre ici l’une de ses meilleures prestations.
À ses côtés, Dorothée Gilbert – sa partenaire fétiche – fait son retour sur la scène du Palais Garnier après de longs mois d’absence. Si la retraite approche (malheureusement) à grands pas pour la danseuse, elle fait preuve d’une grande juvénilité lors de sa présentation au premier acte. De là, la bascule entre la jeune fille rêvant du prince charmant en dressant un bouquet de fleurs à la jeune femme aux penchants morbides est très délicate à aborder (une nouvelle maladresse dramaturgique). Il faut donc une interprète hors pair pour négocier cette transformation rapide. Dorothée Gilbert dose savamment son interprétation afin de ne pas se montrer si innocente au début et ensuite jouer la jeune fille qui force un peu sa sexualité lorsqu’elle se jette à corps perdu dans les bras de Rodolphe. Les deux interprètes se connaissent décidément bien et parviennent à rendre fluide les acrobaties les plus incongrues. Rapidement, Mary Vetsera devient l’égal de Rodolphe jusqu’à prendre le dessus lors du pas de deux du revolver où, aliénée par cette relation toxique, elle semble le pousser à l’acte.
Mais Mayerling ne tient pas que sur ce couple, avec une dizaine de personnages en action. C’est là que réside la grande force de cette distribution : tout le monde était à sa place dans des rôles qu’iels connaissent bien et qui vont utiliser au mieux leurs qualités. Hannah O’Neill vole la vedette en Marie Larisch. Toujours aussi charismatique, elle est parfaite dans ce rôle d’entremetteuse, tirant les ficelles de ce jeu de séduction. Elle fait un parfait contrepoint à l’Impératrice Sissi d’Héloïse Bourdon. La Première danseuse met son port altier et sa classe naturelle au profit de cette figure emblématique, austère en apparence mais qui brûle intérieurement d’une passion que son statut ne lui permet pas d’explorer. La confrontation entre les deux femmes, qui n’est pas sans rappeler celle de Nikiya et Gamzatti, reste l’un des moments les plus intenses de cette représentation.
Le quintette féminin est complété par Silvia Saint Martin en princesse Stéphanie et Roxane Stojanov en Mizzi Caspar, la maîtresse-prostituée de Rodolphe. La première surprend dans ce rôle, qui peut paraître bien ingrat passé le premier acte, où elle fait preuve d’un bel engagement théâtral dans la scène de la chambre, où son personnage est victime d’un viol lors de sa nuit de noce. Et se montre, par la suite, touchante en épouse bafouée. La seconde est une habituée de ce type de rôle de caractère. Elle trouve ici un lâcher-prise qui lui faisait défaut au début de sa carrière. Dans son pas de cinq avec les officiers (Antonio Conforti impeccable en chef de bande), ce ne sont pas les hommes qui la manipulent mais bien elle qui les mène par le bout du nez. Parmi les rôles plus secondaires il faut également citer le Bratfisch, confident de Rodolphe, délicieusement cabot de Pablo Legasa ou encore la délicate Princesse Louise de Bianca Scudamore, qui laisse présager la belle Olga qu’elle pourra offrir dans Onéguine en février.
Il y a deux ans, la pertinence de l’entrée au répertoire de Mayerling à l’Opéra de Paris avait posé question, sans que personne n’ait pu trouver de réponse satisfaisante. Les réticences subsistent encore, mais ce ballet a au moins le mérite d’offrir de véritables partitions à défendre pour un grand nombre de solistes et la génération actuelle s’en empare avec gourmandises. Une belle soirée de première donc, où l’interprétation collective parvient à faire oublier les signes de fatigue de ce ballet. À consommer toutefois avec modération.
Mayerling de Kenneth MacMillan par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Hugo Marchand (Prince Rodolphe), Dorothée Gilbert (Baronne Mary Vetsera), Hannah O’Neill (Comtesse Marie Larisch), Silvia Saint Martin (Princesse Stéphanie), Léo de Busserolles (Empereur François Joseph), Héloïse Bourdon (Impératrice Élisabeth), Roxane Stojanov (Mizzi Caspar), Pablo Legasa (Bratfisch), Jérémy Loup-Quer (Colonel Bay Middleton), Bianca Scudamore (Princesse Louise) et Antonio Conforti, Nicola Di Vico, Lorenzo Lelli, Keïta Bellali (quatre officiers hongrois). Mardi 29 octobre 2024 au Palais Garnier. À voir jusqu’au 16 novembre.
Sophie
Je vous trouve bien dure quand vous jugez cette pièce vieillotte. Elle me semble si moderne! Quand les Casse Noisette et autres Belle au Bois Dormant m étonnent d être encore à l affiche de Garnier tant la poussière s’y est accumulée !
J aime néanmoins toujours vous lire et vous adore !
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