[Circa 2024] Cirque des Petites Natures / Compagnie 14:20 / Pling-Klang / Huellas
Suite et fin de nos chroniques du festival Circa 2024, qui transforme chaque année Auch, près de Toulouse, en capitale du cirque pendant dix jours. Place à quatre spectacles, tous très différents. Le Bruit du Cirque des Petites Natures joue sur la tradition et l’esprit saltimbanque. La Soirée magique de la Compagnie 14:20 met en lumière de passionnants artistes de la magie nouvelle. Pour des duos à la forme différente, si Huellascherche encore son chemin narratif, Pling-Klang est une jolie surprise, mélange d’humour absurde et des turpitudes de la génération X sur fond de meubles en kit.
Après un focus sur de récentes créations de circassiennes, continuons ce retour sur la foisonnante édition 2024 de Circa, l’un des plus importants festivals de cirque contemporain, avec quatre autres spectacles. Qui, là encore, illustre bien la diversité des formes et des écritures évoquées lors de la précédente chronique. Le Bruit du Cirque des Petites Natures part pourtant dans une forme assez classique et attendue. Est-ce pour cela que ce spectacle, malgré un propos pas franchement transgressif, est l’un de ceux qui a provoqué le plus d’avis divergents lors du festival ? Dans le cirque aussi, la question de la nouveauté à tout prix se pose, avec ses partisans. Les artistes du Cirque des Petites Nature assument une direction opposée dans Le Bruit : “Nous avons décidé dans ce spectacle de ne pas céder au besoin de nouveautés et d’excitation qu’exige le monde dans lequel nous vivons”. La joyeuse bande nous accueille ainsi dans une ambiance de bric-et-de-broc, collés-serrés dans un chapiteau qui sent bon le pop-corn grillé. Les dix interprètes sur scène sont, dans la grande tradition du cirque, tour-à-tour acrobates, clowns ou musiciens. Et les numéros – de de fil de fer, de trapèze Washington ou de capilotraction – s’enchaînent avec fluidité entre deux saynètes gentiment absurdes.
À vrai dire, l’ambiance de guingois, les allures de saltimbanque et le groupe qui joue la marginalité ne sont pas loin de lasser dès le début du spectacle. Cette ambiance-là est presque devenue une caricature du cirque contemporain, le spectacle que l’on attend et maintes fois répété. Jusque dans les personnages, du directeur irascible qui perd le contrôle face à aux artistes, clowns grands enfants. Le Bruit, cependant, arrive à nous embarquer. Quand une (fausse) spectatrice s’immisce dans la vie de ce cirque de travers, voilà comme un grain de sable dans une narration bien huilée. L’absurde prend tout son sens et on se laisse embarquer par ses personnages fantasques, certes attendus, mais qui ont tous une sincérité du cœur qui nous embarque en une pirouette. La bonne humeur sous-jacente du spectacle, sa poésie, ses personnages fantasques aussi drôles que touchants, et leur virtuosité aussi, le tout saupoudré d’une douce mélancolie douce-amère, font un tout auquel il est difficile de résister.
Je vous avais fait part l’été dernier de l’enthousiasmante dernière création On m’a trouvée grandie de la compagnie 14:20. Place avec le spectacle Soirée Magique, qui tourne depuis un certain temps, à une forme bien plus attendue : celle de la succession de numéros. Mais pas n’importe lesquels ! Des artistes représentatifs de la magie nouvelle, qui nous dévoilent ainsi leurs univers et leurs façon si différentes, mais toujours poétiques, étonnantes, interpellantes, de créer l’illusion. Il y a de la danse en lévitation, des objets pas vraiment obéissants, des voyages. Et peut-être le numéro qui m’a le plus fascinée : les ombres chinoises. Une lumière, deux mains : tout le monde connaît le procédé qui donne l’illusion de créer un oiseau ou une tête de chat. Le magicien Philippe Beau va beaucoup plus loin, jouant des perspectives pour nous raconter une véritable histoire, aussi étonnante que jolie.
Place enfin à deux duos, deux petites formes dans des décors plus particuliers. Huellas de et avec Matias Pilet et Fernando Gonzalez Bahamondez veut rejouer la rencontre entre le Néanderrtalien et l’Homo sapiens. Dans la belle Maison de Gascogne de pierres et de bois, le duo se livre à un drôle de pas de deux sur une terre grise et gluante. Elle semble à la fois amortir les sauts, créer des glissades et donner l’impulsion. Sur ce matériau, presque un personnage en soi, le duo se livre à un combat d’acrobates d’une grande physicalité, parfois tendre, parfois brut, parfois drôle. Il y a là beaucoup d’idées, mais un cruel manque de fil narratif pour vraiment arriver à proposer un spectacle construit.
Le résultat est tout autre avec Pling-Klang, joué par Mathieu Despoisse et Etienne Manceau, un duo surprenant, aussi bien techniquement que dans sa trame dramaturgique, autour… des meubles en kit. La ligne conductrice du spectacle ? Monter une étagère Ikea. Et tant de possibilités sont possibles à partir de ce postulat ! Construire ce meuble à deux est déjà un vaste terrain de jeu, aussi bien acrobatique que de jonglerie ou d’art clownesque. On est parti dans l’absurde, la surprise, la drôlerie, le geste qui ne part jamais comme on l’attendait et qui se termine d’une manière tout aussi peu prévisible. Voici pour la forme. Sur le fond, Pling-Klang parle d’amour et d’amitié. Car voici bien l’un des premiers défis d’un couple du XXIe siècle : monter un meuble ikéa. Sur ce postulat somme toute assez simple – combien d’humoristes n’ont pas fait de sketch sur le sujet ! – les deux artistes se dévoilent d’une façon inattendue. Sous la banalité du geste de construire un meuble se glissent des réflexions qui dessinent en fond tout un pan du-de la trentenaire du XXIe siècle. L’injonction d’avoir ou non des enfants, la paternité, les désillusions, le couple qui se crée et se sépare, l’exclusivité amoureuse, la jalousie… Derrière ses multiples facéties, Pling-Klang révèle une émotion sur le fil, arrivant au fur et à mesures des confidences. Un drôle de duo, étonnant et sensible.
Festival Circa 2024
Le Bruit du Cirque des Petites Natures, avec Tom Bailleux (musicien batteur), Manelle Boulze (musicienne, chanteuse, clarinettiste), Maël Commard (fildefériste, funambule), Florian Denis (clown, cascadeur), Juliette Frenillot (trapèze Washington, capilotraction), Hegoa Garay (comédienne, chanteuse), Émilie Marin-Thibault (comédienne, clown), Pierre Naos (comédien), Malvina Schnebelin (régisseuse plateau, musicienne) et Nicolas Trouillet (musicien multi-instrumentiste). Mardi 22 octobre 2024 au Chapiteau Endoumingue.
Soirée Magique de la Compagnie 14:20, de et avec Rémi Lasvènes, Philippe Beau, Ingrid Estarque, Madeleine Cazenave, Arthur Chavaudret, Matthieu Siefridt, Blizzard Concept et la Compagnie Alogique. Mercredi 23 octobre 2024 au Dôme du Circ. À voir du 11 au 14 décembre à Strasbourg, les 20 et 21 décembre à Dieppe, le 1er février à Noisiel.
Pling-Klang de Mathieu Despoisse, Etienne Manceau et Bram Dobbelaere, avec Mathieu Despoisse et Etienne Manceau. Jeudi 24 octobre 2024 au Centre Cuzin. À voir en tournée en France tout au long de la saison.
Huellas de et avec Matias Pilet et Fernando Gonzalez Bahamondez, mise en scène de Olivier Meyrou, Musique de Karen Wenvl et Daniel Barba Moreno, par la compagnie Hold-up & Co. Mercredi 23 octobre 2024 à la Maison de Gascogne. À voir du 8 au 18 janvier au Théâtre du Rond-Point à Paris, les 22 et 23 mai au Quai d’Angers.