Nederlands Dans Theater – Crystal Pite et Christos Papadopoulos
Fidèle au public parisien, le Nederlands Dans Theater a fait une escale au Théâtre de la Ville cet automne pour un programme réunissant la création de Christos Papadopoulos Ties Unseen, dont la première eut lieu à la Haye en septembre, et la reprise d’un tube de son répertoire du Solo Echo de Crystal Pite. Un diptyque cohérent dans le souci des deux chorégraphes de travailler le groupe, d’organiser l’ensemble de manière organique tel un corps unique et articulé. Les interprètes du NDT ont comme toujours épaté par l’excellence de leur technique, de leur savoir-faire et de leur capacité à faire leurs toutes sortes d’esthétiques, confirmant que cette compagnie est aujourd’hui peut-être la meilleure au monde dans la galaxie de la danse contemporaine.
On peut aller voir le Nederlands Dans Theater les yeux fermés. Quelle que soit l’affiche, quels que soient les chorégraphes programmés, on est certain d’être emporté par son talent. Ses fondateurs ont su immédiatement faire appel aux meilleurs artistes de leur époque. Hans van Manen tout d’abord, Jiří Kylián durant près de 30 ans, ont imprimé une exigence aussi bien dans le choix des danseuses et des danseurs que dans celui des chorégraphes invités dans une recherche perpétuelle de nouveauté et de singularité. Et sans jamais abdiquer une certaine idée de la beauté. Cette profession de foi fut reprise par Paul Lightfoot et depuis 2020 par Emily Molnar. La soirée proposée au Théâtre de la Ville en fut la parfaite illustration.
Crystal Pite crée Solo Echo en 2012. Elle est alors associée au NDT. Elle bénéficie déjà d’une reconnaissance chez elle au Canada où elle a commencé à écrire des pièces pour de grands ensembles mais elle n’est pas encore la star internationale que toutes les compagnies s’arrachent. Solo Echo est presque une miniature si on le compare à ce que nous connaissons de Crystal Pite à l’Opéra de Paris. Sept danseuses et danseurs, vêtements identiques en chemises bras nus, et en fond de scène une pluie de lumière sur rideau noir comme une chute de neige perpétuelle alors que la scène est peu éclairée. Toujours soucieuse de ses choix musicaux, la chorégraphe construit Solo Echo sur la sonate pour piano et violoncelle de Brahms dans l’interprétation miraculeuse d’Emanuel Ax et Yo-Yo Ma.
Il est fascinant de voir que, dès 2012, toute l’esthétique de Crystal Pite est déjà en place. Le solo qui ouvre la pièce déploie la gestuelle qui fait son style : fentes, pliés, extension de bras et recherche permanente de lignes pures. C’est incontestablement chez William Forsythe qu’elle a appris à utiliser ces outils mais la chorégraphe canadienne a déjà trouvé son langage propre : glissades, vrilles et des portés où elle cherche le point de déséquilibre, affectionnant de les réaliser au sol comme si les deux corps ne faisaient plus qu’un. Dans Solo Echo composé de deux parties, on repère aussi ce génie pour élaborer des ensembles. Ils sont ainsi sept interprètes, alignés, créant une chaîne complexe où les danseuses et les danseurs s’emmêlent, s’étirent, construisent des figures géométriques dans l’espace d’une beauté instantanée. Crystal Pite fait partie de ces chorégraphes qui savent conjuguer l’héritage du ballet classique et la modernité de la danse contemporaine. Elle parle ainsi un langage universel. Solo Echo est ainsi au répertoire de deux compagnies aussi différentes que le Royal Ballet de Londres et le GöteborgsOperans Danskompani.
En contrepoint dans un diptyque un peu court mais séduisant, le NDT a présenté sa toute dernière création signée d’un chorégraphe qui monte, Christos Papadopoulos. Après avoir été sollicité par le Ballet de l’Opéra de Lyon, le Nederlands Dans Theater lui a commandé une pièce et le chorégraphe a saisi l’occasion pour imaginer une création faisant appel à quatorze interprètes, lui qui est plus familier des petits ensembles. Il réussit avec maestria cette épreuve du feu en tirant admirablement profit des talents de la compagnie. Sur les rythmes percussifs de Jeph Vanger, Christos Papadopoulos décline son vocabulaire avec une virtuosité constante, par un groupe compact qui semble presque immobile. Seul le haut du corps s’anime dans une forme de lenteur et presque de ralenti. À l’instar de Crystal Pite, Christos Papadopoulos malaxe le groupe pour y puiser sa force interne. Regroupés, de face ou de dos, ils chaloupent dans un mouvement de l’infiniment petit qui finit par s’élargir tout en gardant son unité, comme le suggère le titre Ties Unseen que l’on pourrait traduire par « Liens invisibles ».
Partout où il passe le NDT triomphe. Il reviendra sans nul doute l’an prochain et en attendant, il y a cette saison de multiples occasions d’applaudir le NDT2, la compagnie junior qui fera une mini tournée en France. Christos Papadopoulos revient quant à lui au Théâtre de la Ville en cette fin d’année pour y présenter Myceliumcréée la saison dernière avec le Ballet de l’Opéra de Lyon. Et l’on guettera son passage au 104 à Paris ce printemps au Festival Séquence Danse pour y voir Mellowing créé pour la compagnie berlinoise Dance On Ensemble, qui a la particularité de réunir des artistes de plus de 40 ans. Trop rare pour être manqué !
Nederlands Dans Theater. Solo Echo de Crystal Pite, Ties Unseen de Christos Papadopoulos. Mercredi 23 Octobre 2024 au Théâtre de la Ville.
Mycelium par le Ballet de l’Opéra de Lyon à voir au Théâtre de la Ville du 18 au 22 décembre 2024 et en tournée en France en 2025.
Le NDT2 en tournée avec Falling into the Shadow (Johan Inger, Botis Seva, Marco Goecke) : les 7 et 9 mai 2025 à l’Opéra National de Lorraine à Nancy, du 13 au 16 mai à la Maison de la Danse de Lyon.
Mellowing de Christos Papadopoulos par le Dance On Ensemble dans le cadre du festival Séquence Danse au 104, Paris, du 20 au 22 mars 2025.