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Les Misérables d’Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg – Théâtre du Châtelet

C’est l’événement comédie musicale de cette saison. Pour la première fois depuis plus de trente ans, Les Misérables reviennent en France – et en français – au Théâtre du Châtelet à Paris. Tube international, cette œuvre est pourtant boudée par son pays d’origine. Cette nouvelle production a à cœur de reconquérir le cœur du public hexagonal. Pari réussi avec cette mise en scène de Ladislas Chollat qui embrasse le côté épique de cette partition monumentale. Un plaisir dont, malgré quelques défauts, il serait dommage de se priver.

 

La troupe des Misérables au Théâtre du Châtelet

 

Quelle drôle d’histoire que celle de la comédie musicale Les Misérables ! Ses auteurs, les français Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg, fort de leur succès avec l’opéra-rock La Révolution française, sortent en 1980 un concept-album mettant en musique le célèbre roman de Victor Hugo. Pour l’occasion de nombreux noms connus sont alignés, avec en tête Rose Laurens en Fantine, mais aussi Michel Sardou en Enjolras et Michel Delpech en Feuilly (oui, oui). Des platines aux planches, il n’y a qu’un pas et Les Misérables débutent sur la scène du Palais des Sports la même année. Prévu initialement pour huit semaines, le spectacle jouera finalement une centaine de représentations et devra quitter l’affiche uniquement car la salle n’était plus disponible.

Cette aventure aurait pu s’achever là et devenir une relique des années 1980. C’était sans compter sur Cameron Mackintosh, celui qui deviendra rapidement le producteur de comédie musicale le plus influent au monde, qui décide d’emmener cette comédie musicale française à Londres. Après un gros travail de réécriture – avec notamment une partition étoffée pour le rôle de Jean Valjean, plus discret dans la première version – et de traduction, Les Misérables sont présentés en grande pompe à Londres. Si les critiques sont plutôt mitigées, le public est au rendez-vous. Le spectacle connaît ensuite un accueil similaire à Broadway et dans à peu près tous les pays du monde.

 

Les Misérables – Jacques Preiss (Marius)

 

« À peu près » car depuis leur départ outre-Manche, Les Miz (leur nouveau petit surnom, à prononcer avec l’accent américain) n’ont pas retrouvé grâce aux yeux du public français. Un retour a été organisé au Théâtre Mogador en 1991, avec une adaptation en français de la production anglaise. Mais l’accueil n’a pas été à la hauteur du plébiscite international. Cameron Mackintosh aurait déclaré, selon la légende, que la France était un « cimetière à musical » et Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg continuèrent leur carrière chez les anglo-saxons. Ils connaîtront d’ailleurs un autre grand succès avec Miss Saïgon, où l’intrigue de l’opéra Madame Butterfly est transposée en pleine guerre du Vietnam. Une comédie musicale qui n’a toujours pas vu le sol français.

Il faudra attendre 2011 et la venue de la tournée internationale des Misérables, fêtant les 25 ans de cette comédie musicale, pour revoir l’œuvre en France, déjà au Théâtre du Châtelet. Mais au total, cela faisait plus de 30 ans que Les Misérables n’ont pas été joués en français dans leur pays natal. C’est donc dire si cette nouvelle production fait figure d’événement ! De plus, si le Théâtre du Châtelet est souvent considéré comme le temple de la comédie musicale à Paris, il lui a souvent été reproché de ne mettre en valeur que les pièces anglophones et de n’embaucher quasiment aucun artiste local. Outre le retour tant attendu des héros mal fortunés de Victor Hugo, c’est aussi l’arrivée de la comédie musicale française au Châtelet, avec des artistes réalisant leurs rêves de faire leurs débuts sur cette prestigieuse scène, qui est célébrée. Un événement, je vous dis !

 

La troupe des Misérables au Théâtre du Châtelet

 

Pour l’occasion, Alain Boublil est revenu sur sa copie, modifiant une bonne partie des paroles en s’appuyant entre autres sur les notes qu’il avait prises lors de l’exploitation au Théâtre Mogador. Un changement qui peut désarçonner quelqu’un comme moi, qui connaît sur le bout des doigts les paroles de la version de 1991. Mais il faut reconnaître que, dans la plupart des cas, ces ajustements sont une amélioration, même si les paroles originales du concept-album restent les meilleures, avec une véracité qui n’a jamais été retrouvée depuis son polissage britannique. La structure narrative reste inchangée, avec son efficacité à toute épreuve. Condenser en 2h45 le pavé de Victor Hugo est loin d’une tâche aisée, et si le spectacle reste un peu long il y a pourtant très peu de temps mort. La seule partie du livret qui aurait mérité d’être un peu raccourcie est la romance entre Marius et Cosette, avec Éponine qui pleure son amour non réciproque dans l’ombre. Alors que la révolution gronde au loin, les états d’âme de ces jeunes tourtereaux paraissent un peu anecdotiques, voire risibles. Marius, on sait que tu es amoureux, mais des gens meurent autour de toi, revois tes priorités.

Mais la grande force de cette œuvre réside dans sa partition. Les mauvaises langues diront qu’elle est sirupeuse et pompière, et elles n’auront pas totalement tort. Mais elle vibre d’un souffle épique assez irrésistible. J’ai beau être un amateur de comédies musicales blasé et cynique qui ne jure que par le compositeur Stephen Sondheim, dès que j’entends les premières notes du Prologue des frissons m’envahissent. C’est toujours le cas ici grâce au bel orchestre réuni pour l’occasion, sous la direction d’Alexandra Cravero. Malgré une utilisation assez aléatoire des leitmotiv – pourquoi Éponine parle de son crush pour Marius en chantant la mélodie de la mort de Fantine ? – Les Misérables regorgent de thèmes musicaux indémodables qui n’ont pas fini de faire pleurer dans les chaumières.

Côté scénique, c’est Ladislas Chollat qui est à la barre de cette nouvelle production. Metteur en scène touche-à-tout, il s’est notamment illustré avec des comédies musicales aussi variées que Résiste, Oliver Twist et le récent Molière. Il emmène avec lui ses fidèles collaborateur.rice.s, Emmanuelle Roy à la scénographie et Jean-Daniel Vuillermoz aux costumes. Visuellement, le résultat est saisissant. Dès le lever de rideau, c’est un superbe livre illustré qui prend vie sur le plateau. Avec l’aide de projections, rappelant les esquisses que faisait Victor Hugo avec son café, et de deux imposants praticables mobiles, les divers lieux de l’intrigue, du bagne à la barricade en passant par la taverne des Thénardier, sont parfaitement restitués. Le tout s’anime avec une grande fluidité, permettant de suivre un récit qui n’a pas le temps de traîner. Au final, le seul défaut visuel de cette production est que la scène est beaucoup trop grande. Si tous les moments de combat sur la barricade sont particulièrement réussis, car l’immense structure de chaises permet de restreindre l’espace, les scènes de rues pâtissent des dimensions immenses du plateau. Difficile d’avoir une impression de foule qui grouille quand de grands espaces vides sont visibles.

 

Les Misérables – Sébastien Duchange (Javert) et Benoît Rameau (Jean Valjean)

 

Il y a pourtant sur scène pas moins d’une quarantaine d’artistes, qui composent une distribution luxueuse où même la plupart des membres de l’ensemble ont tenu des rôles de premiers plans dans de nombreuses comédies musicales à Paris. C’est pourtant un artiste issu du monde lyrique qui tient le premier rôle. Sûrement l’un des rôles masculins les plus exigeants du répertoire, Jean Valjean se voit confier trois grands airs de bravoure, dans un style mi-opératique, mi-rock des années 1980. Benoît Rameau, jeune ténor qui était un Pelléas sensible au timbre pur il y a deux saisons aux Bouffes du Nord, manque de ce côté rocailleux dans la voix. Il campe donc un personnage un peu trop propre sur lui, plus doux que les incarnations habituelles du rôle, mais sait être très touchant dans ses scènes avec Cosette et Marius. Comme un homme, la complainte au ciel pour épargner la vie de Marius, est assurément le morceau qui lui convient le mieux et il s’y montre poignant.

Face à lui, Sébastien Duchange est le redoutable inspecteur Javert. Cette adaptation des Misérables tient beaucoup sur les différences et les similitudes entre les deux hommes, comme s’ils étaient les deux faces d’une même pièce. Le fait que dans cette production les deux comédiens se ressemblent, que de loin seuls leurs costumes les distinguent, vient accentuer cet effet. Le baryton est impressionnant dans ce rôle où il fait preuve d’une grande autorité naturelle et sa voix colle parfaitement avec la partition qu’il doit défendre. Ses deux airs font partie de grands moments de cette représentation. Il est par contre regrettable qu’il soit contraint de les chanter derrière un rideau en tulle, ce qui le coupe du public.

Au-delà de ces deux grandes figures, le spectacle Les Misérables est aussi toute une galerie de personnages emblématiques. À commencer par Fantine. Claire Pérot, inoubliable Sally Bowles dans Cabaret aux Folies Bergère puis au Théâtre Marigny, s’y montre étonnante. Elle, qui aurait fait une superbe Éponine quinze ans plus tôt, est dans un contre-emploi sur le papier. Elle livre une interprétation très personnelle du rôle, loin des incarnations type Princesse Disney qui sont devenues la norme dans le West End de Londres, qui peut dérouter mais qui apporte un réalisme bienvenu. Parmi les seconds rôles, il faut également citer la très belle Éponine d’Océane Demontis, qui parvient à donner du relief à un personnage qui en manque cruellement, l’Enjolras vaillant à la voix puissante de Stanley Kassa et, bien sûr, les Thénardier truculent.e.s de David Alexis et Christine Bonnard, qui viennent apporter un peu d’humour à ce mélodrame.

 

Les Misérables – Christine Bonnard (Madame Thénardier), David Alexis (Thénardier), Benoît Rameau (Jean Valjean) et Maëlys O Neil (Cosette enfant)

 

Au final, est-ce que cette version des Misérables révolutionne l’œuvre ? Pas vraiment. Est-ce qu’elle est bien meilleure que ce qui se fait actuellement à Londres, promesse qu’avait fait Olivier Py à la présentation de saison ? Pas nécessairement. Mais répond-elle aux attentes et offre un grand spectacle ? Oui ! Il est encore possible de pinailler sur certains points, mais force est de reconnaître que cette production des Misérables est à la hauteur de l’événement qu’elle représente et l’émotion est au rendez-vous. Si quasiment toutes les places ont été vendues, le Théâtre du Châtelet a mis en place sa propre bourse aux billets et ça vaut le coup d’y jeter un œil. En attendant une éventuelle reprise…

 

Les Misérables d’Alain Boublil (livret et paroles) et Claude-Michel Schönberg (musique), mise en scène de Ladislas Chollat, direction musicale par Alexandra Cravero et Charlotte Gauthier. Avec Benoît Rameau (Jean Valjean), Sébastien Duchange (Javert), Claire Pérot (Fantine), David Alexis (Thénardier), Christine Bonnard (Madame Thénardier), Juliette Artigala (Cosette jeune fille), Jacques Preiss (Marius), Océane Demontis (Éponine), Stanley Kassa (Enjolras), Maxime de Toledo (L’évêque de Digne), Basile Alaïmalaïs, Mickaël Alkemia, Grégory Benchenafi, Cédric Chupin, Ronan Debois, Joseph De Cange, Vincent Gilliéron, Bastien Jacquemart, Alexandre Jérôme, Yoann Launay, Ryan Malcolm, Arnaud Masclet, Henri Pauliat, Harold Simon, Juliette Behar, Ludmilla Bouakkaz, Ambre Brisset, Mathilde de Carné, Clara Enquin, Myriana Hatchi, Louise Leterme, Camille Mesnard, Barbara Peroneille, Ariane Pirie, Lara Pegliasco, Charlotte Hervieux, Maude Le Fur-Camensuli, Louis Buisset, Bastien Monier et les enfants de la maîtrise des Hauts-de-Seine. Jeudi 28 novembre 2024 au Théâtre du Châtelet. À voir jusqu’au 2 janvier 2025.

 

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