Narcisse de Marion Motion – Collectif Les Autres
Souvent surnommée la « chorégraphe des stars », Marion Motin propose cette saison sa nouvelle création pour cinq interprètes. Intitulée Narcisse, cette pièce propose de revisiter le célèbre mythe pour aborder les dérives égocentriques de notre société. Malgré des qualités visibles, quelques fulgurances et une scénographie léchée, l’ensemble peine à convaincre sur la durée et laisse malheureusement sur sa faim.
En une dizaine d’années, Marion Motin a réussi à s’imposer comme une des chorégraphes phares de la scène chorégraphique actuelle. Elle débute sa formation de danseuse par le classique, mais le déclic vient à l’adolescence quand elle découvre le hip-hop. La jeune artiste entre par cette porte dans la vie professionnelle et enchaîne les contrats (clips, plateau télé, tournée d’artistes musicaux) tout en commençant à travailler sur ses propres créations avec un petit groupe de danseurs et danseuses hip-hop. Elle collabore ensuite avec des artistes tel.le.s que Stromae ou Chris and the Queens – où elle les aide à trouver leur manière de danser, désormais très identifiée – et signe les parties chorégraphiques de gros spectacles comme la comédie musicale Résiste ou la revue biographique de Jean-Paul Gaultier.
Marion Motin n’en oublie pas pour autant de travailler sur ses propres projets, que ce soit pour son collectif Swaggers ou de plus grands ensembles. Sa notoriété lui permet entre autres d’avoir les honneurs du Gala d’ouverture du Ballet de l’Opéra de Paris où elle présente The Last Call. Une pièce sur les différentes étapes du deuil où, malgré de belles idées et un joli sens de la théâtralité, la forme prenait malheureusement le pas sur le fond. Aujourd’hui, la chorégraphe fait son retour avec sa propre troupe, le collectif Les Autres, trois ans après y avoir présenté Le Grand Sot, une création sur une compétition de natation qui vire au cauchemar.
La chorégraphe propose une libre réécriture du mythe de Narcisse, prétexte pour explorer l’égocentrisme de notre époque – alimenté par les réseaux sociaux – et les dérives du star-system. Un univers qu’elle connaît bien pour côtoyer quelques-unes des plus grandes célébrités de notre époque. Cette thématique se fait entendre avant même que le spectacle ne commence, alors que les lumières baissent, avec la diffusion du tube Le chanteur de Daniel Balavoine. Un prélude plutôt sympathique. Sur le plateau, les références à Narcisse apparaissent rapidement. Sur un sol recouvert d’un lino brillant, les corps des quatre danseuses (dont la chorégraphe) et du danseur s’y reflètent, tandis qu’un large miroir se dévoile en fond de scène. En guise de préambule, les artistes s’y mirent longuement tout en agrippant leur entrejambe dans une danse masturbatoire au rythme de I Feel Love de Donna Summer. Vous l’aurez compris, iels s’aiment. Pour la subtilité on repassera, mais il faut reconnaître que cette entrée en matière sans fioritures a le mérite d’entrer directement dans le vif du sujet.
La suite se développe avec de belles phrases chorégraphiques en unisson. Le quintette forme ici un véritable collectif, comme une bulle de repli où les interprètes peuvent respirer avant de s’éparpiller à nouveau dans tous les coins, dans une sorte de transe. Ensemble, iels font poids dans le sol et ouvrent grand le haut du corps. Ces ensembles m’ont parfois fait penser aux Nymphes de L’Après-midi d’un faune, avec ce groupe marchant de profil, les paumes de mains ouvertes. La référence au ballet de Nijinski se fait présente également dans les poses lascives au sol, où les artistes se complaisent dans leur reflet, qui rappelle l’orgasme final du Faune. Ces moments de communion de groupe sont ensuite interrompus par une sempiternelle musique de cirque, forçant le quintette à se placer en ligne pour exécuter un enchaînement mécanique, singeant des pas académiques. Une fois ce rituel forcé achevé, tout le monde retourne s’agiter seul dans son coin avant de retrouver le groupe, et ainsi de suite… Une répétition incessante qui finit par lasser et donne l’impression que la pièce a déjà fait le tour de son propos, alors qu’elle n’en est même pas à sa moitié. Un sentiment renforcé par l’écran de fumée, au sens littéral, qui fait par moments son apparition, comme s’il fallait détourner l’attention de cette dramaturgie qui tourne en rond. L’expression anglo-saxonne « smoke and mirrors » – équivalent de « poudre aux yeux » – prend alors tout son sens.
Fort heureusement, les solos viennent casser cette routine déjà bien installée. Lors des auditions, Marion Motin avait demandé aux artistes de faire une improvisation sous forme de lip-sync, technique popularisée par les artistes drag, en se prenant pour une star de leur choix. Il en résulte des performances qui ont pour certaines été intégrées au spectacle final. Narcisse entre alors dans une nouvelle dimension et permet aux artistes de se révéler et de nous inviter dans leur univers. Maud Amour excelle particulièrement dans cet exercice. Utilisant ses talents d’artiste de cabaret chez Madame Arthur, elle rend hommage à Marilyn Monroe. Au rythme de I Wanna Be Loved By You, elle commence par faire un numéro d’effeuillage. Puis l’artiste laisse petit à petit entrevoir ses doutes et ses complexes, qui finissent par prendre le pas sur la performance. Loin de la pin-up glamour du début, elle finit par montrer la partie monstrueuse que la haine de soi-même peut faire ressurgir. Ce solo fait beaucoup penser à The Substance de Coralie Fargeat, sorti le mois dernier au cinéma, film sur lequel Marion Motin a d’ailleurs travaillé. Que ce soit volontaire ou non, l’influence de cet ovni cinématographique – où Demi Moore est prête aux pires sacrifices pour conserver l’amour du public – se fait sentir sur scène.
Parmi cette galerie de solos, le savoureux moment rockstar de Jocelyn Laurent, entouré de ses choristes / groupies, sort également du lot. L’expérience de Marion Motin pour la chorégraphie de clips musicaux se fait sentir et elle fait preuve d’une grande efficacité dans ce genre de passage. Accompagné par un superbe travail de lumières, réalisé par la chorégraphe en collaboration avec Judith Leray, l’effet fonctionne à merveille. Bien que marquantes en soi, ces performances semblent cependant déconnectées du reste. Difficile de trouver une trame pour relier les morceaux. Finalement, Narcisse rappelle, sur de nombreux aspects, The Last Call créé l’an dernier pour le Ballet de l’Opéra, évoqué plus haut. Bien que la thématique n’ait rien à voir, les forces et faiblesses sont les mêmes. Oui, il y a des images fortes et des passages très prenants, voire percutants. Mais le tout se dilue dans trop de redites pour illustrer un propos qui peine à décoller. Je suis sorti de la salle une nouvelle fois avec une impression que la forme avait pris le pas sur le fond. Une frustration renouvelée car il manque finalement peu de choses pour donner un véritable impact à cette œuvre.
Narcisse de Marion Motin par le Collectif Les Autres. Avec Maud Amour, Chris Fargeot, Jocelyn Laurent, Belèn Leroux, et Marion Motin. Jeudi 5 décembre 2024 à l’Espace Chapiteaux de La Villette. À voir le 18 février à La Rampe – La Ponatière d’Échirolles