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Paquita de Pierre Lacotte – Ballet de l’Opéra de Paris – Valentine Colasante et Guillaume Diop 

Après quelques grèves et flottement, la reprise de Paquita de Pierre Lacotte a finalement été lancée au Ballet de l’Opéra de Paris pour les Fêtes de fin d’année. Et tant mieux ! Car ce ballet est une véritable friandise, sorte de comédie romantique dans une Espagne de pacotille, prétexte à un déluge de danse qui ne semble jamais devoir s’arrêter. Valentine Colasante incarne une Paquita pleine de caractère, Guillaume Diop un Lucien d’Hervilly charmant et romantique. On rit et on a les yeux qui brillent devant une virtuosité constante où Pierre Lacotte a déroulé tout ce qu’il savait de l’école française. Un ballet qui va si bien à la compagnie parisienne, séduisant comme tout et porteur d’une légèreté bienvenue qui se savoure comme il se doit. 

 

Paquita de Pierre Lacotte – Ballet de l’Opéra de Paris – Guillaume Diop et Valentine Colasante

 

Parfois, en allant au cinéma, vous avez envie de découvrir la dernière Palme d’Or. Un film un peu compliqué, un drame social, un vrai Frères Dardenne qui vous fasse réfléchir sur les affres de notre société. Et puis certains soirs, vous voulez juste une comédie romantique. Mais une bonne, bien construite, au rythme effréné, qui vous fait sourire et vous fait ressortir de la salle le cœur plus léger, Love Actually ou Quatre mariages et un enterrement que l’on revoit sans lassitude. Pour le ballet, c’est pareil. Et Paquita, c’est exactement cela : une bonne comédie romantique sur pointes. Elle est belle et irrésistible, lui est un Prince on ne peut plus charmant. Ils s’aiment au premier regard et il n’y a aucun suspens sur le fait qu’ils finiront ensemble et heureux. Pendant deux heures, on fait semblant de douter avec quelques rebondissements et un méchant passif-agressif roi des relations toxiques (mais qui nous fait bien rire parfois). Et cela se termine par un magnifique mariage où tout le monde porte son plus beau tutu à paillettes. On en a pris plein les yeux, on en ressort le coeur brillant et le sourire accroché aux lèvres jusqu’à la nouvelle année. Pourtant, ce scénario idéal n’était pas loin de la sortie de route pour ces Fêtes de Noël 2024 à l’Opéra de Paris. Comme il est presque devenu une tradition, les premières représentations de cette série de Paquita ont été annulées suite à des grèves. En ce 12 décembre, en s’asseyant à sa place, chacun et chacune se demandant si le spectacle allait vraiment avoir lieu, après avoir passé la journée à rafraîchir ses notifications dans l’attente de l’annonce de l’annulation. Mais à l’Opéra de Paris, on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure et aucune communication n’a été faite sur la reprise des spectacles. Ambiance quelque peu étrange dans la salle à faire comme si le triste scénario des jours précédents n’avait jamais existé.

Mais place au spectacle ! Paquita voit le jour en 1846 à l’Opéra de Paris, par le chorégraphe Joseph Mazilier. Un an plus tard, Marius Petipa crée une nouvelle version pour le Mariinsky, avant de la remonter en 1881, toujours à Saint-Pétersbourg, en y rajoutant le Grand Pas, pur divertissement et joyau de la danse classique du XIXe siècle. Pendant longtemps, ce Grand Pas resta la seule trace de Paquita en France. Jusqu’en 2001, où Brigitte Lefèvre, alors Directrice de la Danse de l’Opéra de Paris, propose à Pierre Lacotte de remonter ce ballet oublié. Ce dernier fait à la fois un travail d’archéologue et de créateur, mêlant les traces de  Joseph Mazilier, de Marius Petipa et sa propre façon d’articuler le vocabulaire académique, façonné par l’école française de danse

 

Paquita de Pierre Lacotte – Ballet de l’Opéra de Paris 

 

Et presque dix ans après sa dernière reprise, Paquita va toujours à merveille au Ballet de l’Opéra de Paris. La chorégraphie de Pierre Lacotte n’est pas dès plus simple, c’est un euphémisme. Elle recèle de surprises, d’un travail du bas de jambe ciselé jusqu’à l’ultime, d’une rapidité constante. Mais la troupe y est à son grand naturel : c’est là son école et elle y semble absolument à sa place et à son aise, bien plus à vrai dire que sur les productions Rudolf Noureev. Pierre Lacotte n’était pas dans la grande dramaturgie : ce qui compte, avant tout, c’est la danse. Et ça danse ! Tout le temps, partout, des ensembles, un pas de trois, une polonaise des enfants (très bien dansée par les Petits rats au passage, et ce n’est pas un morceau facile), une danse de femmes, puis de soldats, un adage, une variation, et encore un ensemble, une coda, et quand il n’y en a plus il y en a encore. Quel marathon, pour les solistes comme le corps de ballet ! 

L’histoire, pour sa part, est mince comme un fil et ne tient que quelques minutes sur l’ensemble des deux heures. La jeune gitane Paquita et l’aristocrate français Lucien d’Hervilly tombent amoureux. Mais point de mariage, leurs classes sociales sont trop différentes. Elle est déjà convoitée par son chef de bande Iñigo. Et lui déjà engagé auprès de Dona Serafina, sœur du gouverneur espagnol Don Lopez Mendoza qui déteste les Français. Se passent des rendez-vous en cachette, un guet-apens dans une auberge, un verre de vin empoisonné, un méchant démasqué. Et surtout la révélation, grâce à un médaillon, que Paquita et Lucien sont en fait cousins germains. Ils peuvent donc se marier, l’honneur est sauf. On l’aura compris : le réalisme, ce n’est pas ce qui compte. Et qu’importe que l’on ne voit aucune différence entre les gitans et les aristocrates, si ce n’est leurs costumes : on est ici dans une Espagne de pacotille assumée, et non pas dans la réalité de Kenneth MacMillan vue quelques mois plus tôt. Paquita, c’est le conte, l’important restant la sincérité des interprètes dans leurs sentiments. Entre beaucoup de danses et peu d’histoire, cela pourrait sembler indigeste. Il n’en est rien : c’est au contraire un régal pendant deux heures, parce que la danse y est en soi inventive et a été créée pour les artistes de l’Opéra de Paris, pour leur école. 

 

Paquita de Pierre Lacotte – Ballet de l’Opéra de Paris – Valentine Colasante

 

Le corps de ballet, notamment les hommes, ont cependant montré quelques flottements au début du premier acte, montrant comme un manque de répétition – les mauvaises langues soufflant à l’entracte que l’on comprenait la raison de la grève. Mais les choses se fluidifièrent au fur et à mesure du ballet pour de très beaux ensembles. Le corps de ballet féminin, notamment, fut somptueux dans le Grand pas du deuxième acte. Précision, vivacité, musicalité, joie de danser : tout était là, par quatorze danseuses comme soliste en scène (il n’y a pas de hasard : beaucoup étaient des Sujets aguerries). Le Pas de trois du premier acte – un anachronisme au passage, tout le rattache au second acte, mais qu’importe – véritable morceau de bravoure dont les distributions sont scrutées comme celle des Étoiles, fut porté avec grande classe par Inès McIntosh, Marine Ganio et Francesco Mura. La première montra une danse d’une fabuleuse précision – sa Paquita sera à ne pas manquer – tandis que la seconde une danse éclatante qui rayonnait jusqu’au deuxième balcon. Et lui était au diapason. Matthieu Botto ( Don Lopez Mendoza) et Naïs Duboscq (Dona Serafina) donnèrent pour leur part le ton juste dans la trame narrative : assez sincère pour que l’on y croit et too much ce qu’il faut pour que l’on puisse en rire. Iñigo fut tenu avec panache par Pablo Legasa, qui y a montré une juste énergie, une danse généreuse et beaucoup de conviction dans le jeu. Quoi qu’il fasse, il marque la scène, sait apporter l’humour dont le ballet a besoin tout en montrant une virtuosité séduisante.   

Le duo d’Étoiles fut de haut niveau et bien assorti. Valentine Colasante est toujours très convaincante dans ce genre de rôle. Elle a des talents naturels de comédienne et beaucoup de conviction : on y croit avec elle et elle nous emmène. Elle mania à la fois la drôlerie, le charme et beaucoup d’autorité. Sa Paquita n’est en rien mièvre, c’est au contraire une jeune femme audacieuse et qui n’a peur de rien. C’est elle qui donne le rythme, bien secondé par Pablo Legasa, lors de la scène de la taverne – là où elle piège Iñigo – où l’essentiel repose sur la pantomime qui doit rester vivante et alerte pour donner tout le sel de cette saynète. Et puis quel abattage technique ! Les Étoiles disent souvent que Paquita est l’un des rôles les plus durs du répertoire, et l’on comprend pourquoi : le personnage ne s’arrête jamais de danser. Valentine Colasante ne montre cependant aucun un signe de fatigue ou d’hésitation, tout semble être un jeu pour elle. C’est aussi ce qui crée l’effet Whaou, qui fait tout le charme de ce ballet. 

 

Paquita de Pierre Lacotte – Ballet de l’Opéra de Paris – Guillaume Diop et Valentine Colasante

 

La danse de Guillaume Diop, on la connaît. Et elle est toujours aussi fabuleuse – la chorégraphie de Pierre Lacotte lui va si bien ! Le jeune Étoile a de plus gagné en naturel dans son jeu, montrant beaucoup d’allant et de prestance, un certain sens du romantisme, porté par la vivacité de sa partenaire. On croit fort à leur duo amoureux et l’on tombe sous le charme de leur complicité évidente. Reste le Grand Pas, tube du répertoire, qui peut-être laissa un petit peu sur sa faim. Il n’y eut rien à dire techniquement, bien au contraire. Mais après tant d’amusements de leur part pendant les deux actes, les deux artistes gardèrent un certain sérieux lors de ce pas de deux, qui amena un peu trop de distance. Il manqua l’ultime transcendance, qui transforme ce morceau de fabuleuse virtuosité en souvenir mémorable. N’en reste pas moins un joli partenariat que l’on aimerait découvrir dans d’autres registres. Et un ballet qui se savoure comme une délicieuse friandise de Noël, sans modération. 

 

Paquita de Pierre Lacotte – Ballet de l’Opéra de Paris – Guillaume Diop

 

Paquita de Pierre Lacotte d’après Joseph Mazilier et Marius Petipa, par le Ballet de l’Opéra de Paris et les élèves de l’École de Danse. Avec Valentine Colasante (Paquita), Guillaume Diop (Lucien d’Hervilly),  Pablo Legasa (Iñigo), Matthieu Botto (Don Lopez Mendoza), Naïs Duboscq (Dona Serafina), Arthus Raveau (Général Comte d’Hervilly), Fanny Gorse (la Comtesse), Inès McIntosh, Marine Ganio et Francesco Mura (Pas de trois). Musique : Edmé-Marie-Ernest Deldevez et Ludwig Minkus. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale Mikhail Agrest. Jeudi 12 décembre 2024 à l’Opéra Bastille. À voir jusqu’au 4 janvier.

 
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Commentaires (4)

  • Alex

    Merci pour cette critique, je ne me suis , pour ma part, toujours pas remise de la grève (déplacement sur Paris, hôtel, impatience depuis l’ouverture de la billetterie). Je ne sais pas quand et si j’irai voir de nouveau l’opéra de Paris, mais vos critiques sont toujours très intéressantes.

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  • Pascale Maret

    J’ai vu le live sur POP et je suis beaucoup moins enthousiaste que vous. J’avais découvert ce ballet il y a dix ans et en étais ressortie déçue : vous soulignez la minceur de l’argument, et c’est tout de même embêtant pour un ballet narratif de n’avoir pas d’histoire intéressante à raconter. Les personnages de cette intrigue inconsistante n’ont aucune profondeur, mais ils n’ont pas non plus la drôlerie de ceux de « La fille mal gardée ». Bref, ce n’est ni drôle ni émouvant (personnellement je ne crois pas une seconde au duo amoureux Guillaume-Valentine). Enfin, j’avoue, j’ai du mal à voir cette danseuse, fort énergique, certes, en jeune fille espiègle. Reste la chorégraphie brillante bourrée de difficultés techniques, mais toute cette virtuosité qui n’exprime pas grand chose me paraît un peu vaine. J’espère que la représentation du 28, avec une autre distribution, me permettra de changer un peu de vision.

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    • phil

      j’ai également vu le live sur POP et si la danse est fort brillante , il faut avouer que la narration est un véritable cauchemar surtout pour le personnage d’Inigo. Il va falloir beaucoup de talent pour ceux qui interpréteront ce role afin de donner envie au spectateur de rentrer dans leur jeu .Bonne chance à eux !

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  • Lili

    10 ans après ou presque, j’y suis retournée, avec, hasard total, la même Hannah O’Neil dans le rôle-titre. J’y allais à reculons, musique bof, mais production et surtout costumes somptueux. Et en fait j’ai adoré !!! C’était la fin de série et le corps de ballet était parfait, Hannah aussi. Germain Louvet, lui, était épuisé et ça se voyait (j’espère qu’il n’est pas blessé), du coup le couple manquait quand même de complicité. Mais dans ce cas on admire le professionnalisme de Louvet, qui escamote quelques pirouettes mais ne lâche jamais rien sur la propreté, les positions parfaites, partenariat au top, interprétation habitée. (on n’en dira pas autant de Diop sur POP en ce qui concerne la propreté du geste…). Notre Ignigo a choisi le camp du pur méchant macho, on se demande si Paquita aime vraiment Lucien où si elle tombe amoureuse du seul type bien et protecteur qu’est Lucien face à Ignigo. Et la musique !! Fin de série peut-être, l’orchestre allait à toute vitesse, le chef a fait baisser un peu les cuivres qui a un peu atténué le côté flonflon, et en mettant de réelles nuances de niveau sonore, il a donné du relief à une partition pauvre. Bref, public en fusion à la fin et danseurs exténués mais qui ont tenu le rythme et triomphe. Quelle danse magnifique !
    Du coup j’ai enchainé avec le visionnage de la version Colasante/Diop. Evidemment c’est décevant, mais surtout parce qu’il n’y a pas l’ambiance de la salle. Diop est quand même loin de la perfection technique même s’il est toujours charismatique. Et surtout, pour des raisons que j’ignore, le tempo est très ralenti !! (j’ai comparé avec la vieille version Letestu/Martinez, quelle perfection et un tempo plus rapide). Bref, ce ballet est une pépite qui a tout simplement besoin d’une interprétation à la hauteur !!

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