America de Martin Harriague – Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Pour sa première production en tant que directeur du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, Martin Harriague signe une pièce pour les 14 interprètes de la compagnie autour de la personnalité de l’ex et futur président de États-Unis Donald Trump. Revisite augmentée des pièces America, créée pour le ballet de Leipzig, et Walls pour la compagnie Dantzaz en 2019, America explore la personnalité complexe de cet animal politique et interroge sur la réalité d’une Amérique qui érige autant de murs qu’elle a pu en faire tomber. Une pièce sous haute tension jalonnée de trouvailles visuelles portée par des interprètes investis et électrisés.
L’Opéra Grand Avignon à l’heure américaine. À l’occasion de sa première soirée en tant que directeur du Ballet, Martin Harriague a choisi de « coller à l’actualité » en poursuivant son étude de Donald Trump dont il a déjà nourri de précédentes pièces. Mais le personnage et sa réélection permettent de se projeter au-delà de la personnalité politique. Incarnation absolue de la société du spectacle, son omniprésence raconte une Amérique qui se repaît de ce type d’homme providentiel promettant de « make America Great and Glorious Again ».
Le solo qui ouvre la pièce possède la force des incipits qu’on n’est pas prêt d’oublier. La jeune danseuse Elisa Cloza déroule son corps élastique sur le déchirant Mississipi Goddam de la chanteuse Nina Simone. Au centre de la scène devant les autres interprètes, sa danse traversée de rage est à l’unisson de ce tube engagé contre la ségrégation raciale écrit il y a soixante ans. Nous voici plongés dans les tourments d’une Amérique en proie à une violence, instrument de domination au service des catégories dirigeantes. Les images (du génocide amérindien à l’assaut du Capitole) qui défilent sur l’écran en fond de scène sont là pour le rappeler.
Mais le personnage principal de cette pièce demeure le roi de la rhétorique coup de poing. Affublés de masques à l’effigie du milliardaire devenu président, les danseurs habitent les fragments de discours, reproduisent jusqu’au grotesque sa gestuelle répétitive et outrancière. Les mots de Trump sont bombardés et créent une atmosphère difficilement respirable. La danse très physique apparaît comme une réaction à toutes ces vitupérations éruptives qui nourrissent la bande-son.
L’évocation du mur à la frontière mexicaine donne ensuite une tonalité plus sombre à la pièce. Les danseurs et danseuses incarnent des migrants qui essaient de s’affranchir de cet obstacle. L’évocation du calvaire enduré par les Mexicains, notamment le solo parlé du danseur Ari Soto, rompt avec la frénésie des débuts. Leur capacité à passer d’un état à un autre, révolté ou plus introspectif, est l’une des grandes réussites de cette pièce. C’est ainsi toute la force d’America de proposer des moments contrastés, à l’image de ce pays qui a choisi d’élire pour la deuxième fois ce président incontrôlable déjà iconique. Entre fascination et répulsion, Martin Harriague pousse la critique tout en restant fidèle à son sens de la musicalité. Fermer les yeux devant le danger ne permet pas de l’éviter. Autant l’affronter entre rêve et cauchemar en le sublimant par la danse.
Lors de la conférence de presse présentant le nouveau directeur du Ballet et sa première création, Frédéric Roels, directeur de l’Opéra Grand Avignon, avait précisé que le chorégraphe avait été « retenu parmi plus de 40 candidats par les membres du jury mais aussi par les danseurs et danseuses qui [avaient] eu un temps de travail avec lui ». Cette première pièce atteste de l’entente qui s’est vite instaurée entre eux. La compagnie, déjà bien reboostée par la direction artistique d’Emilio Calcagno, semble sur de très bons rails. On a hâte de les voir danser le programme de mai 2025 baptisé United Dances of America qui mettra en lumière trois pièces des chorégraphes américains, Rena Butler, Mike Tyus et Luca Renzi ainsi que Stephen Shropshire.
America de Martin Harriague Avec Daniele Badagliacca, Sylvain Bouvier, Lucie-Mei Chuzel, Elisa Cloza, Mariana Faria, Aurélie Garros, Joffray Gonzalez, Léo Khebizi, Hanae Kunimoto, Tabatha Longdoz, Kyril Matantsau, Marion Moreul, Ari Soto. Samedi 30 novembre 2024 à l’Opéra Grand Avignon.