Bilan de l’année Danse 2024 – Le top 5 de la rédaction
Avant d’entamer pleinement l’année 2025, petit retour en arrière sur ce que fut 2024 pour la danse. Avec, comme il est de tradition chez DALP, le Top 5 des spectacles de chaque membre de la rédaction. Cinq spectacles, cinq moments forts, ce que l’on aurait voulu oublier aussi, pour retracer ce qui nous a marqués lors de cette année Danse 2024.
Le Top 5 d’Amélie Bertrand
1 – Les adieux de Myriam Ould-Braham dans Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot par le Ballet de l’Opéra de Paris. Pour la formidable représentation en elle-même, avec une Étoile si sensible qui a montré ce soir-là l’aboutissement de sa carrière, son partenaire Paul Marque au diapason, un corps de ballet somptueux. Et pour tous les souvenirs. Première ex aequo : cette même Giselle, quelques jours plus tard, avec la reine Marianela Núñez. Quelle ballerine ! Quelle représentation ! Un grand moment de danse et un vrai instant de communion avec le public parisien.
2 – Voice of Desert de Saburo Teshigawara. Une autre forme d’aboutissement avec cette pièce magistrale, intense et poétique, où la danse se mêlait à la course des nuages dans le ciel de l’Agora.
3 – On m’a trouvé grandie de Valentine Losseau et Leïla Ka. Un superbe et étonnant spectacle de magie nouvelle, où le réel et l’illusion se mêlent de façon vertigineuse, pour raconter l’histoire de ces femmes internées au XIXe siècle parce que sortant des normes. Profond, sensible et une nouvelle façon de raconter une histoire.
4 – Coppélia d’Alexeï Ratmansky. L’un de mes premiers spectacles de 2024 est resté en tête au fil des mois. Sans rien chercher à révolutionner, Alexeï Ratmansky nous fait redécouvrir un grand ballet du répertoire en lui donnant une nouvelle vitalité et en guidant à merveille ses artistes. Avec, en toile de fond, la voix de l’Ukraine. Le maître de la danse classique du XXIe siècle, incontestablement.
5 – Les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024. Celle de Maud le Pladec, avec les danseurs et danseuses des Ballets Nationaux ou Guillaume Diop, les girls du Moulin rouge, des artistes de krump, de contemporain ou de bourrée auvergnate, la danse était partout, tout le temps, vibrante. Tout comme la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques avec la patte très appréciée d’Alexander Ekman.
Ce dont je me serais passée en 2024 – Les morts brutales et arrivant bien trop tôt de grandes personnalités de la danse : Dada Masilo, Vladimir Shklyarov, Michaela DePrince.
Le Top 5 de Claudine Colozzi
1 – Giselle de de Jean Coralli et Jules Perrot par le Ballet de l’Opéra de Paris avec Marianela Nuñez en guest. Si je joue le jeu de la première image qui me vient spontanément, c’est évidemment la grâce de Marianela Nuñez qui s’impose. Fin mai, la Principal du Royal Ballet avait rendez-vous avec Paris et moi, j’avais rendez-vous avec elle. Quelle soirée ! Cette ballerine danse comme à livre ouvert. Quelle grâce, quelle justesse dans son jeu, dans ses sourires. Il y a des soirées de ballet qu’on garde en mémoire comme des feux de joie.
2 – Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch) de Boris Charmatz par le Tanztheater Wuppertal au Festival d’Avignon. Cette année, j’ai fait une brève escale au Festival d’Avignon dans l’idée de surtout voir Forever, émouvante immersion dans Café Müller conçue par Boris Charmatz, « artiste complice » de cette 78e édition. Une épopée chorégraphique de sept heures durant lesquelles vingt-cinq interprètes se relaient pour enchaîner les représentations de la pièce culte de Pina Bausch. Quand Helena Pikon est apparue longiligne en nuisette à bretelles blanches, j’ai arrêté de respirer. Un être de chagrin, comme une réincarnation de la chorégraphe. En voyant Café Müller, il faut sans doute, pour paraphraser le poète que « le cœur se brise ou se bronze« . Ces frôlements, ces déchirures, ces courses éperdues dans ce labyrinthe de chaises sans fil d’Ariane pour retrouver l’être aimé sont venus me percuter.
3 – La tournée parisienne de l’Alvin Ailey American Dance Theater. L’autre bonne surprise de cette année a été les retrouvailles avec la compagnie Alvin Ailey American Dance Theater fin octobre. Les deux programmes proposés en alternance ont permis de découvrir des œuvres inédites, mais aussi des pièces emblématiques du très riche répertoire de la compagnie new-yorkaise. Clou de chaque représentation, le chef-d’œuvre Revelations sur lequel le temps n’a définitivement aucune prise. Le voir deux fois dans la même journée a constitué une expérience inédite quasi spirituelle.
4 – Le Festival de flamenco de Nîmes. Je ne m’étais jamais rendue au Festival Flamenco de Nîmes. Dans cette belle manifestation, les feuilles de salle ont l’apparence de jolies cartes postales. Cette année, j’y ai découvert la très talentueuse Paula Comitre qui rendait hommage à La Argentina. Une partition captivante ou elle alterne les moments d’une vélocité presque vertigineuse, et les passages d’accalmie plus méditative. Magnifique !
5 – La Belle et la Bête de Julien Guérin pour le ballet de l’Opéra théâtre de Metz. Enfin, parmi tous les voyages qui m’ont menée de Nancy jusqu’à Leipzig, en passant par Vaison-la-Romaine et Biarritz, la soirée à Metz en mars reste comme un très joli souvenir. Julien Guérin a créé La Belle et la Bête pour le Ballet de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz. Guidé par la formule de Gabrielle de Villeneuve, romancière du XVIIIe siècle et autrice du conte originel, « Aime qui t’aime, ne te laisse point surprendre aux apparences« , ce ballet en deux actes est un ravissement élégant qui comble notre appétit de ballets narratifs. Les propositions en la matière étant peu nombreuses en France, une reprise serait une bonne nouvelle. Même si les programmations sont déjà bouclées et puisque janvier est propice aux vœux, on peut en rêver pour 2025 ou 2026.
Le Top 5 de Callysta Croizer
Sans ordre particulier
Landless de Christos Papadopoulos et Georgios Kotsifakis par le Lugano Dance Projet – Seul sur un plateau en clair-obscur, Georgios Kotsifakis pousse l’anatomie humaine dans ses retranchements. De la porosité entre le corps et les sons électro qui le meuvent, la chorégraphie de Christos Papadopoulos fait naître une empathie paradoxalement fascinante.
Crocodile de Martin Harriague et Emilie Leriche au festival Le Temps d’aimer la danse – Sur la mélodie entêtante du Canto Ostinato, Martin Harriague et Émilie Leriche explorent un amour platonique et physique. Entre feuilletage et répétition, le duo construit chaque geste avec une impressionnante finesse, en parfaite symbiose avec les marimbas, où la danse se rend à l’évidence.$
Giselle de Jules Perrot et Jean Coralli par le Ballet de l’Opéra de Paris, avec Marianela Nuñez et Hugo Marchand – Si toutes les Giselle de l’Opéra de Paris faisaient rêver en mai dernier, celle de la principal londonienne était de loin la perle rare. Avec l’Étoile parisienne Hugo Marchand, « Nela » a déployé tout son art au Palais Garnier, merveilleusement entourée par le corps des Willis.
Muse Paradox de Brett Fukuda par le Ballet de l’Opéra national du Rhin – Première création de Brett Fukuda avec le Ballet de l’OnR, Muse Paradox est un contre-pied audacieux d’Apollon musagète. Renversant l’archétype de la muse balanchinienne, deux femmes y mènent trois hommes, de la pointe de l’arabesque aux portés athlétiques, à travers une géométrie de mouvements remarquablement inventive.
Discofoot de Petter Jacobsson et Thomas Caley par le Ballet de Lorraine, à Montpellier Danse – Du parquet flottant au terrain de foot, il n’y a qu’un pas pour le Ballet de Lorraine. Avec leurs maillots flashy et leurs shorts dorés, les interprètes s’affrontent dans un match de danse multi- styles au rythme des grands tubes disco. Et le public de se prendre au jeu en tant que supporters euphoriques autour de la balle à facettes.
Ce dont je me serais passée – La disparition, le 20 février 2024 de Steve Paxton. Danseur et chorégraphe emblématique de la post-modern dance étasunienne, il était une figure majeure du Judson Dance Theater et fondateur du « contact improvisation », une conception du mouvement comme lieu de partage et de créativité, canal de libération des corps et des esprits.
Le Top 5 de Romain Lambert
1 – Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot par le Ballet de l’Opéra de Paris, avec Marianela Núñez. Un ballet intemporel porté par une danseuse au sommet de son art qui parvient à nous faire re-découvrir cette œuvre que l’on pensait connaître par cœur. Galvanisé par l’enjeu, toute la troupe s’est mise à son diapason (Hugo Marchand n’a jamais été aussi bon que ce soir-là). Une représentation exceptionnelle saluée par une standing ovation de 20 minutes. Vraiment, une grande soirée.
2 – Fiddler on the Roof au Regent’s Park Open Air Theatre, à Londres. Institution londonienne pour les fans de comédie musicale pendant l’été, ce théâtre en plein air proposait cette année le célèbre Violon sur le toit. Un écrin idyllique pour ce classique du genre qui reste d’une puissante modernité, parfaitement mis en valeur par une production inventive et une très belle distribution.
3 – Romeo + Juliet de Matthew Bourne au Théâtre du Châtelet – Après plus de 15 ans d’absence, la compagnie New Adventures a fait son retour à Paris et le résultat n’a pas déçu. Avec son sens de la théâtralité et une musicalité jamais prise en défaut, le chorégraphe britannique signe une superbe relecture de cette romance tragique.
4 – The Book of Mormon au Teatro Caldéron de Madrid) – Au-delà de cette très belle production de l’hilarante comédie musicale des créateurs de South Park, ce spectacle fut l’occasion de découvrir que Madrid dispose d’une superbe scène dédiée au genre avec un vivier d’artistes ayant à cœur de le défendre.
5 – Don Quichotte de Rudolf Noureev avec Hoyun Kang et Paul Marque par le Ballet de l’Opéra de Paris – Était-ce le Don Quichotte le plus propre et le plus parfait techniquement que j’aie pu voir ? Pas sûr. Mais il y avait tellement de fougue et d’enthousiasme sur le plateau ce soir-là que les quelques (légers) accrocs ont vite été oubliés. J’avais juste envie de les rejoindre à la fin pour la petite choré du final.
Ce dont je me serais passé – Le décès prématuré de Gavin Creel, d’un cancer foudroyant à l’âge de 49 ans. L’une des plus belles voix masculines de Broadway – un modèle pour tous les apprentis ténors – et une personnalité très attachante.
Le Top 5 de Jean-Frédéric Saumont
1 – Sweet Mambo de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal – Préserver et perpétuer le répertoire de Pina Bausch est un casse-tête auquel se heurtent les différentes directions artistiques qui lui ont succédé à la tête du Tanztheater Wuppertal. Avec Sweet Mambo, on a retrouvé l’incandescence, l’humour et la folie de la chorégraphe allemande. En réunissant sur scène les danseuses de la création auxquelles se sont adjointes des nouvelles recrues, le spectacle a offert une nouvelle vision enrichie par l’expérience et le vieillissement des artistes qui ont accompagné Pina Bausch. On reste sidéré par la puissance créatrice de cette artiste essentielle qui continue à irradier toute la création contemporaine.
2 – Voice Noise de Jan Martens – Le dernier-né sur la planète des chorégraphes flamands poursuit une trajectoire météorique, variant les formes et les formats. Avec Voice Noise, il donne une voix aux chanteuses oubliées, tous genres confondus. Il serait plus juste de dire qu’elles ont été invisibilisées par un patriarcat toujours prompt à mettre de côté la création féminine. Jan Martens, appuyé par six danseuses et danseurs, transcrit ces voix oubliées dans un mouvement joyeux qui fait vibrer les corps sans jamais illustrer la musique. Voice Noise est un spectacle politique qui refuse d’abdiquer la poésie.
3 : Los Bailes Robados de David Coria et Recto y Solo d’Andrés Marín – C’est un peu un deux en un mais c’est ainsi que l’on apprécie le flamenco : quand il déferle à Nîmes, Mont de Marsan ou au Théâtre de Chaillot avec la Biennale 2024. David Coria, flanqué de son complice guitariste et chanteur David Lagos a plongé dans l’histoire réelle ou fantasmée d’une femme qui, en 1518 à Strasbourg, a contaminé toutes et tous sur son passage dans une danse irrépressible. David Coria, danseur virtuose et charismatique, brûle les planches avec son flamenco qui irradie la scène et nous emporte inéluctablement. Andrés Marín quant à lui nous a gratifié de sa dernière création Recto y Verso qui explore à sa manière la question du genre dans une déclinaison flamenca, onirique et fantasque, se référant à la figure de Vicente Escudero (1892-1980), théoricien de la danse, auteur d’un décalogue fameux. Andrés Marín a offert un moment de communion unique nimbé de la beauté féroce du flamenco.
4 – La Fille mal gardée de Frederick Ashton par le Ballet de l’opéra de Paris – Certains avaient raillé Brigitte Lefèvre lorsqu’elle fit entrer au répertoire en 2007 La Fille mal gardée dans la version de Frederick Ashton, créée à Londres en 1960. À tort car ce ballet est un trésor : reprise après reprise, il séduit toujours autant. Cette pastorale désuète est moins anodine qu’elle n’en a l’air. Il suffit de voir la manière dont les interprètes s’emparent de ses personnages. Guillaume Diop y fit une prise de rôle impeccable dans le rôle de Colas. José Martinez eut l’excellente idée d’inviter Marcelino Sambé, Principal du Royal Ballet, éblouissant et partenaire irréprochable pour Bleuenn Battistoni. En clown tentant de se jouer d’un mariage arrangé, Aurélien Gay a livré une interprétation singulière. Et Hugo Vigliotti fut une Mère Simone cabotine à souhait. Une perle de la danse académique !
5 – A Folia de Marco da Silva Ferreira par le Ballet de Lorraine – Une magnifique aventure s’est jouée à Nancy sous la direction bicéphale de Petter Jacobsson et Thomas Caley qui, pour leur ultime tour de piste, ont invité Marco de Silva Ferreira. A Folia a mis le feu à l’Opéra de Nancy. Transe, rave, bacchanale : c’est un peu tout cela à la fois, à l’image de la danse fusion dans laquelle excelle le chorégraphe portugais qui mélange hip-hop, danse contemporaine, krump, voguing sans jamais se départir d’une écriture personnelle, qui requiert un engagement physique de ses interprètes et diffuse une joie et une énergie majuscules.
Ce dont je me serais passé – la mort tragique et prématurée de Vladimir Shklyarov, Étoile éternelle du Mariinsky à l’âge de 39 ans. Peu connu du public français, il fut pourtant l’un des tous meilleurs danseurs de sa génération, aussi à l’aise dans le grand répertoire classique que dans George Balanchine ou Angelin Preljocaj. Sa disparition a endeuillé la communauté des balletomanes russes et au-delà : Vladimir Shklyarov s’était produit durant toute une saison avec la Ballet de Bavière mais aussi avec l’American Ballet Theater. Chienne de vie.