[Photos] Paquita de Pierre Lacotte par le Ballet de l’Opéra de Paris – Retour sur les différentes distributions
Malgré quelques grèves en début de série, la reprise de Paquita de Pierre Lacotte a marqué la récente période des Fêtes du Ballet de l’Opéra de Paris, à l’Opéra Bastille. Pour cette reprise, neuf ans après la précédente, les distributions étaient largement renouvelées, entre des Étoiles confirmées, des nouvelles et de jeunes talents. Retour en images et différentes courtes chroniques sur les différents casts qui se sont succédés sur scène.
Retour en images sur les différentes distributions de Paquita de Pierre Lacotte :
Sae Eun Park et Paul Marque forment un couple dont l’impeccable virtuosité sait toujours se mettre au service de leur complicité romantique, parfois avec le décalage humoristique requis par l’invraisemblance de l’histoire. Précis et altier, Paul Marque est un Lucien d’Hervilly rêveur, conservant une forme de réserve (à la limite de la distraction quand il tombe de peu dans le piège d’Iñigo), dont la danse est un bonheur de lignes épurées et de ballon dans les sauts. Il revient ainsi à Sae Eun Park de camper une Paquita qui, loin de toute forme de mièvrerie, garde la tête sur les épaules pour prévenir les dangers comme pour affirmer la légitimité de sa place à la cour. Dès son apparition dans le premier acte, elle éblouit par son interprétation parfaite des pas d’école. Des ballotés aux cabrioles, ou dans les tours attitude, elle développe son bas de jambe avec une netteté réjouissante, portée par ses bras souples et légers – sans jamais rien perdre en expressivité.
Si les deux interprètes s’en donnent à cœur joie dans la scène de pantomime du premier acte, où la vivacité espiègle de Sae Eun Park répond à l’étourderie comique de Paul Marque, c’est dans le grand pas de deux du second acte qu’ils déploient leur danse époustouflante, ample et allègre. On ne compte plus les fouettés de Sae Eun Park, et Paul Marque semble avaler la scène de ses sauts. Quand les deux se réunissent, c’est avec une parfaite osmose, conférant par leur élégance et leur romantisme des airs de chorégraphie balanchinienne à ce morceau de bravoure et à son climax enthousiasmant.
Laetitia Basselier – Représentation du samedi 21 décembre 2024.
Avec leur double prise de rôle éclatante, Inès McIntosh et Francesco Mura s’épanouissent dans une Paquita qui leur va comme un gant. Sur la scène de l’Opéra Bastille, le duo file le parfait amour de jeunesse, complice et ingénu. Inès McIntosh se glisse dans les pas de la gitane avec une classe naturelle. Aussi charmeuse que malicieuse, elle donne à son personnage des airs d’enfant rebelle. Pour saboter les manigances d’Iñigo (Antoine Kirscher fut formidable), la jeune fille s’affirme peu à peu en jeune femme intrépide mais aussi amoureuse. Derrière son petit caractère mutin, la danseuse déploie un jeu de séduction candide et facétieux face aux avances de Lucien d’Hervilly. Mais elle déploie sa fougue dans un travail de jambes vif et précis. Véritable graine d’Étoile, c’est une joie de voir la Première danseuse affirmer sa personnalité d’artiste de rôle en rôle. En fine intelligence avec sa partenaire, Francesco Mura pare son officier d’une naïveté attendrissante. Il incarne avec légèreté et allégresse ce jeune homme tombé instantanément sous le charme de la gitane. L’insouciance irrésistible que dégage le Premier danseur se marie à merveille avec l’espièglerie pétillante de sa partenaire, qui semble lui donner des ailes lorsqu’elle l’entraîne dans ses ruses. Au beau milieu de leurs péripéties, le Pas de trois formé par Nine Seropian, Luciana Sagioro et Nicola di Vico n’a pas manqué de panache. La première, habituée des rôles de soliste, a conduit ses variations avec assurance et élégance ; la seconde, tout juste promue Coryphée, s’est aussi distinguée avec sa technique aiguisée et gracieuse. Judicieusement complété par Nicola di Vico, leur trio fut d’excellente tenue.
Après une entrée en matière si réussie, quel dommage que le couple principal ait battu de l’aile au début du deuxième acte. Il faut dire que cette seconde partie est un concentré de morceaux de bravoure. Au moment de célébrer les fiançailles des deux amants, Inès McIntosh et Francesco Mura laissent transparaître quelques fragilités : après une pirouette, vacillante, les arabesques et détournés reposent sur un équilibre précaire trahi par leurs bras tremblants. Mais le couple tient bon courageusement jusqu’à la fin de la musique. Loin de ployer sous les redoutables défis techniques de cette seconde partie, le danseur et la danseuse font un retour triomphant sur le Grand pas de deux final. Impeccable dans sa variation de soliste, Inès McIntosh mène ses fouettés tambour battant et file droit sur sa diagonale de déboulés véloces ; Francesco Mura survole les grands jetés comme les tours en l’air et à l’italienne, remarquables de netteté. Si les deux artistes redoublent de sérieux pour affronter ce crescendo de virtuosité, il et elle mettent toute leur allégresse dans le final grandiose. Leur Paquita s’apprécie ainsi jusqu’à la dernière note, avec le cœur en fête et impatient de découvrir ce que l’avenir leur réserve.
Callysta Croizer – Représentation du lundi 23 décembre 2024
Certains grands ballets du répertoire ont des arguments qui réussissent à traverser les époques et où les interprètes peuvent donner un souffle de modernité à leurs personnages. Ce n’est pas le cas de Paquita. Le couple du soir, Hannah O’Neill et Germain Louvet, ont décidé d’en prendre partie et de plonger dans les clichés de l’œuvre avec gourmandise tout en présentant une danse impeccable. Hannah O’Neill retrouve là le rôle qui fit sa réputation quand elle était jeune Sujet. Désormais une Étoile établie, elle se lance dans le rôle avec la même assurance désarmante qu’à ses débuts, mais la désinvolture de la jeunesse fait place à une grande classe et une autorité naturelle. Elle ne cherche pas à jouer les gitanes de pacotille, Paquita est de naissance noble et elle le fait sentir dès son entrée. Bien sûr, cela ne l’empêche pas de s’amuser dans les espagnolades de carte postale que requiert la chorégraphie, mais en conservant une pointe de chic so french.
Face à elle, Germain Louvet danse pour le première fois Lucien d’Hervilly. Si le danseur a parfois eu du mal à trouver sa place depuis sa nomination, il est sur une pente ascendante depuis les deux dernières saisons et lâche ici complètement prise sur scène. Parmi les rôles masculins du répertoire, Lucien n’est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir (et pourtant, la barre est au sol). Plutôt que d’essayer en vain de lui trouver une quelconque profondeur, l’interprète y va à fond dans le registre du bellâtre sûr de lui, sans beaucoup de jugeote, et ça marche ! Germain Louvet se révèle même très drôle dans les scènes de pantomime. Il faut le voir heureux comme un enfant quand il a l’occasion de sortir de son épée, ou rouler des yeux quand Paquita le force à exécuter son plan. Il forme avec Hannah O’Neill un duo très complice et attachant, en symbiose sur l’histoire (ou la non histoire) à raconter, en plus d’être parfaitement assorti.e.s physiquement. Leur Grand pas semblait tout droit sorti d’un film de l’âge d’or d’Hollywood. Interprété avec une grande classe, un peu de drama pour donner du sel à ce passage virtuose et une technique irréprochable avec juste ce qu’il faut d’esbroufe. Ces deux là ont maintenant l’habitude de danser ensemble et ça se voit. Une association qu’il faut désormais conserver.
Antonio Conforti vient compléter cette distribution en Inigo. Lui qui a d’habitude tant de choses à dire en scène ne semble pas savoir quoi faire de ce bandit d’opérette et son stress, assez visible lors de sa variation d’entrée, l’empêche d’incarner pleinement son personnage. Enfin, il faut souligner la superbe prestation d’Hoyun Kang dans le Pas de trois, redonnant de l’intérêt à cette variation vu mille fois en concours, et de toutes les danseuses lors du Grand pas, aussi scintillantes que leurs tutus.
Romain Lambert – Représentation du jeudi 26 décembre 2024
À la sortie de la représentation de Paquita, je ne peux que sortir les superlatifs. Personnellement plus fan des ballets dramatiques ou sinon abstraits, je trouve que la narration pantomimique est ici livrée lisible et juste ce qu’il faut de risible. Quant au deuxième acte – le plus attendu – quelle belle démonstration de danse classique à la française ! Cerise sur le gâteau, une ballerine exceptionnelle.
Dès son entrée en scène, Bleuenn Battistoni captive avec sa danse d’une grande esthétisme et sophistication. Elle est une Paquita à l’aisance technique souveraine et d’une grâce toute en délicatesse. Techniquement, sa danse, pourtant si minutieusement soignée, a l’air particulièrement sans effort et naturel : le travail des pieds on ne peut plus propre, les pirouettes sûres, les port des bras amples et poétiques, une ligne d’arabesque qui dessine la perfection. Côté interprétation, elle nuance joliment sa Paquita tantôt ludique, tantôt romantique, et au final majestueuse. Bleuenn Battistoni rayonne un sens du style et une aura sereine de ballerine déjà indéniables en cette fin de première année stellaire. Je suis d’avance enchantée de la voir dans les rôles à venir. Avec Marc Moreau, ils forment un couple des contes finement assorti. Lui, un Lucien d’Hervilly gentleman raffiné, montre une facette plus joueur en solo, avec beaucoup d’allant et des petits clins d’œil aux fins de variations, irrésistibles. Leur Grand Pas est harmonieux et brillant, un grand moment de ballet.
Beaucoup de pas pour tout le monde dans ce Grand Pas, où le corps de ballet est impeccable et d’une présence radieuse. La relève est fièrement assurée par les Petits rats, dont la Polonaise et la Mazurka sont joliment exécutées. Mention encore pour le Pas de trois solide et stylé du premier acte, avec Clara Mousseigne à la technique et énergie puissantes, Hortense Millet-Maurin charmante, et Chun-Wing Lam dans son élément, tout en brio et précision. Enfin, bravissimo à la troisième roue de l’histoire de Paquita : Andrea Sarri est un danseur toujours généreux, donnant beaucoup de lui sur scène, ici en Iñigo bondissant et, ah !, si irritant. J’avais dit de sortir de mes superlatifs. Mais c’était ainsi, jusqu’au derniers rangs du parterre. Merci, je ne me souvenais pas d’aimer Paquita autant !
Katariina Karlsson – Représentation du dimanche 29 décembre 2024
Quelle meilleure façon de démarrer l’année que cette représentation de Paquita à l’Opéra Bastille ? Héloïse Bourdon est une abonnée des distributions du 1er janvier. En 2024, elle avait enchanté mon confrère Jean-Frédéric Saumont dans Casse-Noisette, avec déjà comme partenaire… Thomas Docquir ! Cette fois-ci, le Premier danseur remplace Jérémy-Loup Quer, blessé depuis leur première représentation du 15 décembre.
Inévitablement, tous les regards se portent vers la Première danseuse. Le public est d’ailleurs constitué en grande partie de ses fans. Dès son apparition en fond de scène, on perçoit que la ballerine a compris toute la subtilité du rôle et surtout qu’elle veut en transmettre chaque facette. Tous ces détails peu perceptibles si l’on n’a pas lu la trame de cette histoire un peu alambiquée avant que le rideau ne se lève. Le médaillon, la rose, le mémorial devant lequel viennent se recueillir toutes ces personnes de sang noble… Elle met tout son talent à rendre intelligible chaque élément de cette intrigue. Au deuxième tableau qui ne tient que sur la pantomime, elle parvient avec ses partenaires (Iñigo bien campé par Andrea Sarri à la fois rustre et presque pathétique en amant éconduit, Thomas Docquir fendant l’armure sous le charme de la jeune fille) à donner du rythme à ce vaudeville un peu longuet. Elle s’amuse et c’est un bonheur de la voir naviguer comme un poisson dans l’eau à travers les différents registres.
Car à l’acte II, le sérieux reprend le dessus et la technicienne reprend le contrôle. Héloïse Bourdon est éblouissante de maîtrise dans chaque pirouette, chaque tour arabesque ou fouettés. Son bas de jambe est pur enchantement. Elle survole les difficultés aux bras de Thomas Docquir, un allié sûr dans cette succession de pas de deux. Il faut beaucoup d’endurance et de cran pour s’attaquer à cette surenchère technique. Elle le fait sans trembler avec l’assurance de la maturité. Le reste du ballet est en place sauf peut-être au premier acte avec un Pas des manteaux un peu cafouilleux. Rien à voir avec la précision des élèves de l’école de danse qui exécutent une fort jolie Polonaise. Et s’il fallait emporter encore un souvenir de cette représentation, le merveilleux Pas de trois de l’acte I a été un moment suspendu. Célia Drouy et Camille Bon interprètent avec raffinement leurs variations, mais c’est sans conteste Nicola Di Vico qui emporte la mise avec une ébouriffante qualité de sauts. Il faudra suivre ce Sujet en 2025 !
Claudine Colozzi – Représentation du mercredi 1er janvier 2025