Adieux à la scène de Mathieu Ganio le 1er mars
C’est avec un peu d’avance que Mathieu Ganio fait ses adieux à la scène, à 41 ans. Après plus de 20 ans de carrière d’Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris, et plus de 25 ans de Maison, le danseur tire en effet sa révérence le 1er mars, dans le rôle-titre du ballet Onéguine de John Cranko, l’un de ses grands rôles. Alors que nous avons passé en revu ses grandes interprétations lors de notre dernier Calendrier de l’Avent, retour sur l’mmense carrière du danseur en fouillant dans les archives de DALP et nos souvenirs, pour retracer la chemin de ce formidable artiste et danseur, interprète à l’âme romantique, qui porta haut toute sa carrière l’école française de danse.

Mathieu Ganio, Danseur Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris
Les habitué-e-s, évidemment, connaissaient Mathieu Ganio depuis longtemps, puisqu’il fit ses premiers pas sur scène à l’âge de deux ans dans Ma Pavlova de Roland Petit, avec sa mère Dominique Khalfouni Étoile du Ballet de Marseille. Véritable enfant de la Danse, c’est naturellement à l’École national supérieure de danse de Marseille qu’il démarre son apprentissage, avant de rentrer à l’École de danse de l’Opéra de Paris en 1999, alors dirigée par Claude Bessy, en deuxième division en tant qu’élève payant. En première division l’année suivante, et cette fois-ci pleinement élève, il danse le rôle principal de Frantz dans Coppélia de Pierre Lacotte, aux côtés de Charline Giezendanner en Swanilda, lors du spectacle annuel. Mathieu Ganio est engagé au Ballet de l’Opéra de Paris à la fin de l’année scolaire, en 2001, en même temps que sa partenaire de scène et Claire Bevalet, Julien Cozette et Cyril Mitilian (qui quitte lui aussi la compagnie cette saison).
Une fois dans la compagnie, la carrière de Mathieu Ganio ne traîne pas. Au contraire, il grimpe les échelons à toute vitesse, peut-être même un peu trop vite : Coryphée en 2003 dès son premier Concours de promotion, Sujet en 2004. Et Danseur Étoile quelques mois plus tard, sans passer par la case Premier danseur, le 20 mai 2004 à l’issue de la représentation du ballet Don Quichotte de Rudolf Noureev, où il dansait Basilio aux côtés d’Agnès Letestu. Les semaines suivantes, il fait sa prise de rôle en James dans La Sylphide de Pierre Lacotte, avec Aurélie Dupont dans le rôle-titre, qui lui vaudra un an plus tard le Benois de la Danse à Moscou, l’une des plus prestigieuses récompenses dans le monde de la danse.

Mathieu Ganio – L’Oiseau de feu de Maurice Béjart
Pour ma part, je le découvre pour la première fois en scène à l’automne 2006, dans Suite en blanc de Serge Lifar. Pour être honnête, c’est Jean-Guillaume Bart qui m’a marquée ce soir-là dans une Mazurka formidable. Mais la musicalité comme son allure de Prince idéal me donne envie de suivre la carrière de Mathieu Ganio, distribué dans l’Adage. Ce n’est cependant qu’en 2008 que je fais véritablement ma rencontre avec ce danseur. Une soirée pot-pourri avec le troisième acte de Raymonda de Rudolf Noureev, Artifact Suite de William Forsythe (j’en profite : quand est-ce que cette œuvre absolument géniale et réjouissante sera de nouveau programmée ?) et Les Quatre Tempéraments de George Balanchine a lieu à l’Opéra Bastille. Mathieu Ganio y danse Flegmatique, avec une intelligence, une personnalité et un brio absolument formidable. Je découvre, derrière son allure de Prince idéal, une âme d’artiste profonde, une façon unique de s’emparer du mouvement. Un an plus tard, je pleure devant son long solo des Enfants du Paradis de José Martinez. Je n’ai depuis cessé de le suivre.
Pourtant, les choses n’ont pas toujours été simples pour Mathieu Ganio lors de ses 20 années de carrière d’Étoile. Sous Brigitte Lefèvre, l’environnement médical des artistes du Ballet est inexistant à l’Opéra de Paris et le danseur connaît de nombreuses blessures handicapantes, des saisons écourtées. Mais quand il est en scène, il brille. Casse-Noisette, Roméo et Juliette, La Belle au bois dormant, Le Lac des cygnes, Don Quichotte… Il danse à merveille les grandes productions de Rudolf Noureev, à l’exception de La Bayadère. Il s’empare d’Albrecht dans Giselle par son tempérament profondément romantique, des grands rôles de prince dont il en fait bien plus que des princes, tout comme des grands ballets narratifs de la fin du XXe siècle dont il s’empare jeune, et dont il peaufine les personnages jusqu’à la fin de sa carrière. Il danse Armand Duval dans La Dame aux camélias de John Neumeier depuis 2006, Onéguine dans le ballet éponyme de John Cranko depuis 2011, Des Grieux dans L’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan dès 2014. Et s’empare en 2022 du terrible Prince Rodolphe dans Mayerling, toujours de Kenneth MacMillan, ce qui sera peut-être le rôle de sa vie. Ces grands personnages rythmeront ses années d’Étoile. Et l’emmèneront vers une brillante carrière internationale, notamment en Russie, où il danse avec Diana Vichneva ou Evguenia Obraztsova. À Paris, il forma un duo inoubliable avec Isabelle Ciaravola sur de nombreux ballets narratifs. Il dansa aussi beaucoup avec Dorothée Gilbert sur les ballets de Rudolf Noureev, Clairemarie Osta, Laetitia Pujol, et en fin de carrière mena de très beaux partenariats avec Alice Renavand ou Ludmila Pagliero. Cette dernière sera sa partenaire lors de sa soirée d’adieux, et ce n’est pas un hasard.

Mathieu Ganio – Clair de lune d’Alastair Marriott
Si des artistes de l’Opéra de Paris ont souffert des quatre directions, fort différentes, qui se sont succédées en 10 ans, la carrière de Mathieu Ganio a continué son chemin. Avec Brigitte Lefèvre, puis Benjamin Millepied, il danse le répertoire américain où il excelle. Son Danseur en brun dans Dances at a Gathering de Jerome Robbins a marqué la scène à jamais, il s’empara de son iconique Opus 19/The Dreamer ou de In the Night, dansa Agon, Joyaux, Apollon, Brahms-Schönberg Quartet, plus récemment Who Cares? de George Balanchine. Mathieu Ganio s’empara aussi avec brio du répertoire français, son Oiseau de feu (Maurice Béjart) ou Le Rendez-vous de Roland Petit font partie de son répertoire marquant. Il connut quelques créations : Le Chant de la Terre de John Neumeier, Alea Sands de Wayne McGregor, Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied. Et aussi le si beau duo Près de toi de Myriam Kamionka, lors d’un programme Danseurs et Danseuses chorégraphes en 2011, avec sa soeur Marine Ganio. S’il danse Jiří Kylián, Mats Ek, William Forsythe ou Saburo Teshigawara, le danseur choisit de peu s’aventurer dans le répertoire contemporain, de se concentrer sur la technique classique. C’est peut-être là un petit regret. Pendant des années – cela change avec José Martinez – l’Opéra de Paris n’a pensé aux créations quasiment qu’en termes de technique contemporaine. J’aurais aimé que Mathieu Ganio croise un peu plus souvent la route des grands chorégraphe classiques de notre époque, Alexeï Ratmansky en tête. Mathieu Ganio participa à la seule création du chorégraphe à Paris, Psyché, en 2011. Mais la rencontre entre ce maître et la compagnie parisienne ne se réalisa pas pleinement et Alexeï Ratmansky n’est depuis plus revenu. On aurait aussi aimé voir Mathieu Ganio en Rothbart, un rôle qui l’a longtemps caressé, contrecarré par des blessures.
Malgré ainsi quelques saisons en dents de scie et des rendez-vous manqués, Mathieu Ganio a signé l’une des plus passionnantes carrières de danseur. Par son amour de la danse classique et de l’école française de danse, par sa sensibilité à fleur de peau et son sens de l’élégance sans jamais se départir d’une musicalité profonde, par sa façon si unique de s’emparer avec passion de chacun de ses personnages et son sens dramatique qui l’a si bien porté dans la tragédie. Peut-être représente-t-il une certaine idée de ce qu’est un danseur français. Mathieu Ganio a, à sa manière, a profondément marqué le Ballet de l’Opéra de Paris et toute une génération de public. Qui seront nombreux le 1er mars pour le voir une dernière fois sur scène, dans le rôle-titre d’Onéguine de John Cranko.

Mathieu Ganio dans Onéguine de John Cranko
Dominique Urbauer
Très bien, mais pourquoi ne voit-on jamais de vidéos dans vos pages ? Elles seraient pourtant bienvenues sur un site consacré à la danse , non ?
C’est toujours un grand étonnement de ma part …