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La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris – Inès McIntosh, et Thomas Docquir

Il avait déjà fallu près de cent ans pour que la création de Marius Petipa, présentée au Théâtre Mariinski en 1890, entre au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris, d’abord dans les versions d’ Alicia Alonso puis de Rosella Hightower, avant que celle de Rudolf Noureev ne s’impose en 1989. En 2025, après plus de dix ans de sommeil, La Belle au bois dormant s’éveille à nouveau sur la scène de l’Opéra Bastille. Entre temps, elle brillait par son absence dans les saisons de la compagnie parisienne, la seule en France à danser ce ballet en trois actes aujourd’hui. Parmi les nombreuses prises de rôles qu’une longue absence implique, celles d’Inès McIntosh et Thomas Docquir étaient des plus attendues. Tenant l’affiche de la deuxième soirée de cette série, la Première danseuse et le Premier danseur ont fait de ravissants débuts dans ce ballet féérique, dont la production fastueuse conserve encore un certain charme.

 

La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris – Thomas Docquir et nès McIntosh

 

À la différence du Lac des cygnes, de Giselle ou encore de Don Quichotte, qui reviennent régulièrement dans la programmation du Ballet de l’Opéra de Paris, la reprise de La Belle au bois dormant invitait à une véritable redécouverte de l’œuvre. Pourtant, même sans l’avoir vu en scène dix ans plus tôt, chacun et chacune a déjà en tête l’histoire de la Princesse Aurore, plongée par un maléfice dans un profond sommeil dont elle ne s’éveillera qu’au baiser d’un prince. Ainsi, dès les premières notes de la partition de Tchaïkovski, la magie opère. Derrière le grand rideau fleurdelysé, les imposantes colonnes du palais royal et l’opulence des dorures côtoyant une nature amène dressent le décor du conte – édulcoré – de Charles Perrault. Mais de toutes les représentations de La Belle au bois dormant qui peuplent mon imaginaire de jeune spectatrice, ce cadre m’évoque surtout l’univers des dessins animés de Walt Disney.

Et le ballet de plonger dans le vif du prologue avec le baptême d’Aurore. Alors que la version de Marius Petipa accentuait le côté narratif de cette scène d’introduction – les fées y venaient une à une offrir un don à la princesse -, Rudolf Noureev la décline en six variations indépendantes. Les tableaux s’apprécient donc davantage comme une suite de divertissements, quoique l’interprétation singulière des solistes fasse implicitement le lien avec les personnages originaux. Judicieusement distribuées, les danseuses se distinguent par la netteté de leurs qualités de gestes : grâce et délicatesse pour Fanny Gorse, assurance et dextérité chez Célia Drouy, sans oublier la vivacité pétillante de Koharu Yamamoto (abstraction faite du tutu jaune criard). Laetizia Galloni semblait quelque peu fragile en ouverture, tandis que Camille Bon a dominé les tours les plus techniques avec beaucoup de classe mais un peu trop de sérieux. Pourtant l’univers fabuleux du ballet met aussi l’accent sur les qualités dramatiques des interprètes : Camille de Bellefon en Fée des Lilas et Sarah Kora Dayanova en Carabosse l’ont impeccablement montré.

 

La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris

 

Depuis plusieurs saisons, les reprises du « répertoire Noureev » à l’Opéra de Paris ont tendance à battre de l’aile (à l’instar de Casse-Noisette ou de Don Quichotte, qui pâtissent de certaines fioritures techniques et esthétiques). L’un des enjeux de cette production était donc d’insuffler une nouvelle jeunesse à La Belle au bois dormant, et à travers elle, sauver la mise du canon noureevien entretenu par la compagnie. Si les costumes, refaits en 1997, et les décors font encore bonne figure, c’est surtout la distribution qui s’est vue confier l’étendard du renouveau. Ainsi, dès la valse de l’Acte 1, le corps de ballet a fait son entrée accompagné de presque tous les membres du Junior Ballet. Réunies pour la première fois sur scène, la troupe aînée et sa cadette se montraient pleines d’enthousiasme et de fraîcheur. Reste que s’atteler à un grand ballet de cette envergure constitue un réel défi pour de jeunes danseuses et danseurs. Si au début de cette longue série de représentations l’ensemble était globalement harmonieux, il manquait encore de précision en matière d’alignements et de finition de gestes.

Quant à la belle endormie, elle s’est faite attendre jusqu’à la moitié du premier acte, n’apparaissant que pour le bal de ses seize ans où elle doit prendre mari. Mais à peine introduite dans son palais somptueux, Inès McIntosh ravit. Son Aurore est l’incarnation d’une jeunesse épanouie et docile. Pour la ballerine, cette entrée en scène rime aussi avec l’épreuve périlleuse de l’adage à la rose, où recueillant les fleurs offertes par ses quatre prétendants, elle enchaîne de redoutables pirouettes, promenades et équilibres en attitude. Inès McIntosh relève le défi comme lors de ses dernières prises de rôle, de Clara dans Casse-Noisette en 2023 à Paquita en décembre dernier. Si sa technique précise témoigne d’un travail rigoureux en amont, elle laisse cependant encore paraître des fragilités, que n’effacent pas l’interprétation d’un rôle de jeune fille. Quelque peu tremblante lors de ses premières minutes en scène, la Première danseuse tient le public en haleine jusqu’à la dernière note de son adage. Saluée par des applaudissements soulagés, la Princesse peut alors se piquer le doigt au piège tendu par Carabosse et plonger, comme le veut le sortilège, dans un profond sommeil de quelques cent années.

 

La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris – Inès McIntosh avec Keita Bellali, Isaac Lopes Gomez, Samuel Bray et Nicola Di Vico

 

Au deuxième acte, ce fut au tour de Thomas Docquir de se glisser dans les pas du Prince Désiré. Avec pas moins de trois variations sur ce tableau de chasse dépouillé de ses décors luxueux, le rôle principal masculin n’est pas en reste en matière de subtilités techniques. Si sa grande variation lente manquait encore de précision, le Premier danseur a su imprimer un ton mélancolique à sa prestance naturelle pour exprimer les tourments intérieurs de son personnage en quête d’amour. Lorsque sa partenaire le rejoint en songe au cœur de la forêt pour le pas d’action, leur couple dégage une juste harmonie lyrique. La rencontre semble d’autant plus naturelle qu’il s’agit de leur première association sur scène dans des rôles principaux. Elle joue de ses charmes avec sobriété tandis que lui se laisse séduire par la Vision de la jeune princesse. Le rêve devient finalement réalité lorsque, conduit par la Fée des Lilas jusqu’au palais endormi, le Prince éveille la Belle d’un baiser tout en pudeur, brisant le sortilège de Carabosse.

Le troisième acte pouvait alors célébrer les noces du couple princier lors d’un bal royal brillant de mille feux. Pour inaugurer les réjouissances de cet ultime tableau, la sarabande et la polonaise furent toutes deux joliment emmenées par l’ensemble corps de ballet-Junior ballet qui semblait prendre peu à peu ses marques. À la suite de leurs joyeuses farandoles, le pas de cinq des pierres précieuses fut porté avec panache par le trio Celia Drouy, Clara Mousseigne et Seohoo Yun, ainsi que Camille Bon et Nicola di Vico. Mais dans la série des vignettes chorégraphiques, la double prise de rôle la plus prometteuse fut sans doute celle de l’Oiseau bleu et de la Princesse Florine par Aurélien Gay et Hortense Millet-Maurin. Le premier propulse ses grands sauts et ses pirouettes avec une aisance déjà remarquable et qui gagnera en finesse. La seconde, plus précise techniquement, se distingue aussi par sa fine musicalité. Enfin, Claire Gandolfi et Manuel Garrido, en Chatte blanche et Chat Botté, forment un duo félin irrésistible, se chamaillant avec humour et espièglerie.

 

La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris – Hortense Millet-Maurin et Aurélien Gay (Florine et l’Oiseau bleu)

 

Après ces savoureux divertissements, le pas de deux nuptial réunissant le Prince et la Princesse tire paradoxalement l’ambiance festive vers un registre un peu plus sage. D’un côté, Inès McIntosh parvient à faire évoluer son Aurore en jeune femme gracieuse et affirmée. Les fragilités du premier acte semblent lointaines tandis qu’elle relève avec une délicatesse toute maîtrisée les enchaînements les plus pointus de sa variation. Mais, en-deçà de son passage à l’âge adulte, la ballerine garde dans sa gestuelle et son expression une douceur candide. De l’autre, Thomas Docquir incarne un Désiré élégant. Si sa technique n’a pas été polie par l’amour dans sa propre variation, il offre à sa partenaire un soutien solide dans les pirouettes et les portés poisson. Au terme des trois actes – et des trois heures – de danse, leur union n’atteint donc pas tout à fait l’éclat majestueux d’un final de grand ballet de répertoire. Elle scelle cependant la douce complicité naissante d’un couple de jeunes Premier danseur et Première danseuse qui, tout comme les autres solistes de la soirée, semblent promis à un avenir radieux.

 

La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris – Thomas Docquir et nès McIntosh

 

La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev, par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Ines McIntosh (Aurore), Thomas Docquir (Prince Désiré), Yann Chailloux (le Roi), Émilie Hasboun (le Reine), Camille de Bellefon (la Fée des Lilas), Sarah Kora Dayanova (Carabosse), Jérémie Devilder (Catalabutte), Hortense Millet-Maurin (Princesse Florine), Aurélien Gay (l’Oiseau bleu). Mardi 11 mars 2025 à l’Opéra Bastille. À voir jusqu’au 14 juillet 2025.

 
 
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