Monaco Dance Forum 2024 – Dance Marathon d’Eugénie Andrin et Jo Strømgren
Rendez-vous phare de la saison chorégraphique monégasque, le Monaco Dance Forum, sous l’égide des Ballets de Monte-Carlo, réunit chaque année en décembre une programmation éclectique et de haute volée de danse contemporaine. Cette année, place ainsi à Peeping Tom, Israel Galván, le Hessisches Staatsballett ou Akram Khan. Et pour terminer, deux programmations aux antipodes. D’un côté Jo Strømgren, chorégraphe norvégien incontournable venu avec trois pièces souvenir de feu Oslo Danse Ensemble, fermé en 2018. De l’autre, Eugénie Andrin, chorégraphe basée à Antibes, qui a proposé avec Dance Marathon un passionnant travail sur les marathons de la danse évoqués par Horace McCoy, les faisant résonner avec le voyeurisme des télé-réalités de notre époque.

Dance Marathon d’Eugénie Andrin
Après quelques reprises, que ce soit La Mégère apprivoisée de Jean-Christophe Maillot ou un programme mixte avec Sharon Eyal, les Ballets de Monte-Carlo proposeront en avril, puis en juillet, une série de créations et entrée au répertoire, dont Wartime Elegy d’Alexeï Ratmansky, première collaboration attendue entre la compagnie et le chorégraphe. Avant ces spectacles que DALP ne manquera pas de couvrir, retour quelques mois en arrière avec le Monaco Dance Forum, festival éclectique organisé par l’institution à Monaco, chaque année en décembre. Mon choix s’était porté sur deux spectacles : Jo Strømgren qui fait revivre le Oslo Danse Ensemble et Eugénie Andrin pour un travail mêlant professionnel-le-s et amateur-rice-s inspiré par les marathons de la danse américains du siècle dernier. Et c’est cette deuxième qui a capté toute mon attention.
Le Ballet de l’Opéra du Rhin et la Compagnie des Petits Champs tournent depuis maintenant deux saisons avec la très réussie adaptation scénique et en français du roman On Achève bien les chevaux de Horace McCoy, autour des morbides marathons de la danse des années 1930 aux États-Unis, jouant sur l’effroyable misère qui courait à cette époque. Si Eugénie Andrin ne cite pas explicitement l’œuvre de l’écrivain américain, sa pièce Dance Marathon s’en inspire beaucoup, tout en prenant sa propre voie.

Dance Marathon d’Eugénie Andrin
Le décor s’en apparente : un ballroom, des couples de danseurs et danseuses, un orchestre en fond et un Monsieur Loyal s’adressant au public dans la salle, brisant le quatrième mur pour renforcer l’effet de huis-clos. Mais la chorégraphe ne se base pas sur le texte, prenant son propre chemin, mêlant à la parole du maître de cérémonie, sorte de Nikos Aliagas multipliant les petits clins d’œil aux habitudes monégasques, à la pensée des protagonistes. Dance Marathon s’écarte ainsi des années 1920, de l’aspect social développé par Horace McCoy, pour se concentrer sur l’idée d’un concours artistique proche des télé-réalités d’aujourd’hui, renforçant le sentiment malaisant qui imprègne vite le public, à être aussi bien témoin des souffrances des danseurs et danseuses que de leurs réflexions. C’est l’idée de la précarité des artistes, comme d’une jeune génération un peu perdue, sous l’œil roublard du chef de ce concours, chauffant le public, multipliant les blagues de mauvais goût comme le plus vulgaire des animateurs télé. À tel point que le vent tourne. Les artistes, face à l’épuisement des corps, se regroupent, jouent de leur force collective qu’ils méconnaissaient au départ et ne sont pas loin de prendre le pouvoir et de régler son compte à ce Nikos Aliagas qui ne fait que les humilier, sous couvert de divertissement.
Mêler des artistes professionnels et amateurs peut parfois être une gageure. Il est ici utilisé d’une façon intelligente, avec un groupe très bien mené. Les six danseurs et danseuses professionnelles occupent bien sûr les rôles identifiables. La quinzaine d’amateurs et amatrices sont les participants anonymes de ces concours de danse, qui réunissaient surtout le tout-venant. Et leur présence, leur facilité à danser, le plaisir d’être sur scène, renforcent la puissance de l’œuvre, symbole de l’Anonyme cherchant son moment de gloire. Le riche accompagnement musical est assuré de très belle façon par des lycéens et lycéennes de Nice, au formidable travail, qui parfois se mêlent aux danseurs et danseuses pour créer des moments d’intimité, loin de la fureur de ce concours inhumain. Dance Marathon trouve ainsi judicieusement son chemin, et continue d’explorer ce thème de la précarité des artistes, si actuel un siècle après.

Dance Marathon d’Eugénie Andrin
Made In Oslo de Jo Strømgren permettait de se replonger dans le travail du Oslo Danse Ensemble, compagnie très populaire en Norvège, mais qui n’avait jamais tourné à l’étranger, et qui a fermé ses portes en 2018. Jo Strømgren crée depuis pour le Ballet national de Norvège et a monté une compagnie à son nom. C’est avec elle qu’il a présenté à Monaco trois de ses pièces, Gone, The Ring et Kvart, montées entre 2007 et 2015. Formé à la danse classique, le chorégraphe s’imprègne surtout de danse contemporaine pour ses pièces, mâtinées de jazz et de théâtralité. La nostalgie, la symbolique de l’anneau ou la force collective portent ces trois œuvres, toutes marquées par des éclairages très structurants et jouant des contrastes. L’effet scénique est ainsi indéniablement efficace, même si beaucoup des procédés ont souvent été vus. Mais la danse en elle-même a du mal à trouver assez de personnalité pour véritablement créer une émotion sincère. Restent des interprètes engagé-e-s jusqu’au bout du mouvement et de la dramaturgie, pour un programme sympathique mais qui a du mal à marquer.

Made In Oslo de Jo Strømgren
Dance Marathon d’Eugénie Andrin par la compagnie Eugénie Andrin, avec Jonathan Gensburger, Marie-Pierre Genovese, Nikolaos Kdu 23 auafetzakis, Philippe Mesia, Julia Zolynski, Zoé Genin-Letizi et Esteban Lemal Bonilia, ainsi que 16 danseuses et danseurs amateurs. Musique : Scott Joplin, George Gershwin, Astor Piazzola, Hoagy Carmichael, Chick Corea, Allie Wrubel, Jimmy Johnson, Seymour Simons, Roland Dyens et E.Y. Harburg, création musicale et arrangements Jean-Marie Leau. Orchestre de 15 musiciens et musiciennes du lycée Apollinaire de Nice. Mardi 17 décembre 2024 au Théâtre des Variétés.
Made in Oslo – Gone, The Ring et Kvart – de Jo Strømgren (chorégraphie, décors et lumières), avec Jakub Mędrzycki, Nora Lønnebotn Svendsgård, Iannes Bruylant, Malika Berney, Jason Kittelberger et Anna Benedicte Andresen. Mercredi 18 décembre 2024 au Grimaldi Forum.
Soirée de créations Lukáš Timulak/ Kor’sia, du 17 au 20 juillet à l’Opéra Garnier de Monte-Carlo.