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Le Lac des cygnes de Fábio Lopez – Compagnie Illicite

Pour marquer les dix ans de sa compagnie Illicite, compagnie installée à Bayonne qui défend contre vents et marées le travail de la danse académique, le chorégraphe Fábio Lopez voulait marquer le coup. Après La Belle au bois dormant il y a quelques années, il a donc décidé de s’atteler à un autre ballet iconique : Le Lac des cygnes. Une relecture réussie, riche de références et de multiples idées – et une magnifique découverte sur la partition que l’on croyait connaître par cœur. Mais une compagnie qui n’a pas forcément les moyens des ambitions de cette production.

 

Le Lac des cygnes de Fábio Lopez – Compagnie Illicite – Gaël Alamargot (Baron von Rothbart)

 

C’est avec une relecture du chef-d’oeuvre du répertoire classique Le Lac des cygnes que Fábio Lopez fête les dix ans de sa compagnie Illicite, fondée en 2015. Un nom qui n’a rien du hasard : la troupe défend avant tout le langage classique, dans sa création comme son répertoire. Et en France, c’est une posture marginale, peu soutenue par les tutelles, qui demande une volonté de fer pour tout directeur et directrice de ballets indépendants. Le ministère de la Culture a d’ailleurs brillé par son absence lors de la première de ce Lac des cygnes, la Compagnie Illicite étant surtout portée localement, par des villes du Pays basque soucieuses de maintenir une diversité chorégraphique sur son territoire. Né au Portugal, formé chez Maurice Béjart, danseur au Malandain Ballet Biarritz, Fábio Lopez porte en lui un héritage riche, doublé d’une forte connaissance historique de la danse comme de culture musicale, avec e souci d’une narration construite, qui ne vient pas de nulle part. Chacune de ses créations est empreinte de ce vaste background, permettant de multiplier les strates de lectures et s’adressant ainsi à la fois aux passionné-e-s de danse et de musique comme au grands néophytes. À l’image de sa Belle au bois dormant monté il y a quelques années, son Lac des cygnes prend ses distances dans la dramaturgie avec le ballet d’origine, tout en lui rendant hommage de multiples façons. Il s’agit de faire son propre Lac, avec sa propre histoire, condensé en une bonne heure. Et sans renier l’œuvre originale.

Le Baron von Rothbart est ainsi un homme amoureux qui voir mourir devant lui la femme qu’il aime, tombant d’un rocher. Il ensorcelle tous les membres de sa cour et les transforme en cygne, afin qu’eux-elles ne connaissent jamais de telles douleurs. Le Prince Siegfried est tel qu’on le connaît. Jeune Prince de 18 ans prié de faire un beau mariage, il rêve d’ailleurs, d’évasion, d’amour sincère. Fuyant le bal donné en son honneur, il découvre la Princesse Cygne et en tombe amoureux. Le Baron von Rothbart ne cherche ici pas à s’en débarrasser ou à le tromper, mais lui propose un marché que Siegfried accepte : se transformer lui-même en cygne pour rester à tout jamais avec celle qu’il aime. Il deviendra le Cygne noir, qui ici complète le Cygne blanc, au lieu d’être son opposition maléfique. Un twist de la trame narrative originale qui permet de conserver l’essentiel : tenir en un temps plus court et pouvant être dansé par un petit effectif (12 artistes), être compréhensible par tous et toutes. Et garder les fondamentaux : un prince qui rêve d’amour face à la vacuité de son monde, la noirceur de Rothbart, la Princesse Cygne comme une évocation de la femme idéalisée.

 

Le Lac des cygnes de Fábio Lopez – Compagnie Illicite – David Claisse (Prince Siegfried) au centre

 

Certaines et certaines peuvent y voir une trahison du ballet original. Et pourquoi donc ? Les grands classiques sont là pour être préservés, mais aussi pour devenir une source d’inspiration pour les créateurs et créatrices de leur temps. Déformer Le Lac des cygnes, le triturer, le transformer, est aussi une forme d’hommage à ces ballets intemporels, aux multiples possibilités d’interprétation. Fábio Lopez réussit ainsi son pari en proposant une œuvre riche, bien ficelée, riche de références chorégraphiques comme musicales. Dès décors et costumes récupérés un peu partout, il arrive à dessiner une production homogène au service de la narration. Il se sert de l’oeuvre de Tchaïkovski intelligemment, gardant les temps forts de la partition iconique. On peut parfois regretter quelques transitions un peu trop brutales. Il y a aussi de merveilleuses découvertes, comme le célèbre duo violon-violoncelle de l’acte II en version chantée. Une partition oubliée, retrouvée presque par hasard et dont l’acheminement tient presque du roman.

Chorégraphiquement, Fábio Lopez fait un un petit melting-pot de ses références, tout en trouvant son ton personnel. Le cygne blanc, sans être la version de Marius Petipa, s’inspire du travail du haut du corps du ballet original. Lors des scènes de bal, le contemporain peut surgir, comme les danses masculines qui mêlent grands sauts et passages au sol. La technique académique peut se mêler de positions parallèles, la recherche de l’élévation à des attitudes ancrées au sol. Mais il n’y pas là d’effet de style : tout est là d’abord au service de la dramaturgie, le chorégraphe piochant dans ses références comme de multiples outils au service de son imagination. On apprécie aussi le corps de ballet mixte, mêlant les danseuses sur pointes et les danseurs sur demi-pointes, apportant un souffle de modernité aux actes blancs – un procédé déjà vu ailleurs bien sûr, essentiellement pour des questions d’effectifs, mais qui n’en questionne pas moins les habitudes. Il a aussi la chance d’avoir deux bons interprètes masculins. David Claisse est un Siegfried très impliqué dans le jeu, au beau ballon et à la nostalgie persistance. Sa dernière scène, lorsqu’il se transforme en Cygne, est d’une grande émotion et visuellement très réussie. Gaël Alamargot, qui vient d’expériences plus contemporaines, est son parfait contrepoint en Rothbart, avec un charisme naturel en scène. Il est d’ailleurs un peu frustrant que ces deux interprètes n’ont pas plus de duos ensemble, tant cela fonctionne bien. De façon générale, le personnage de Rothbart mériterait d’être un peu moins oublié au cours des actes, même si sa dramatique scène finale, là encore très réussie, fait oublier cette relative discrétion.

 

Le Lac des cygnes de Fábio Lopez – Compagnie Illicite

 

Ce Lac des cygnes a ainsi beaucoup de points forts. Néanmoins, si ce n’est ces deux danseurs principaux, il demanderait un corps de ballet d’une autre teneur. Ce n’est pas faire injure aux interprètes, tous et toutes très investies en scène et qui ont fourni un travail minutieux et approfondi. Mais ce Lac des cygnes demande des interprètes plus aguerris techniquement et l’on doit bien dire que le rendu souffre souvent de ce décalage. Fallait-il alors adapter la chorégraphie aux aptitudes des artistes ? Ou aller au bout de son idée artistique ? La danseuse qui incarne Odette semblerait ainsi plus à son aise dans un registre plus contemporain, alors qu’elle doit faire face à une chorégraphie académique complexe, demandant une précision et un travail de bras que peut-être seule une danseuse ayant déjà affronté la version de Marius Petipa pourrait rendre au mieux. Ce Lac des cygnes montre surtout que Fábio Lopez a la maturité artistique et chorégraphique d’avoir une troupe de plus grande ampleur, d’une plus grande force. L’on imagine ainsi le tube que pourrait donner cette relecture reprise par un Ballet national. Ou par le CCN de Biarritz, installé à quelques kilomètres de là. Dont la succession – Thierry Malandain s‘en va fin 2026 – agite la côte basque (et le monde de la danse hexagonale dans son ensemble d’ailleurs), tant le spectre du gâchis du Ballet de Marseille après le départ de Roland Petit semble planer. Ancien danseur de Biarritz, chorégraphe néo-classique qui a fait ses preuves comme soucieux de la préservation d’un répertoire, Fábio Lopez aurait des choses à défendre. Mais il a indiqué qu’il ne se présentera pas, car, selon lui, « Thierry Malandain ne me voudrais pas comme successeur, l’article du Figaro semblait très clair« . Comme un goût d’une chance manquée toutefois

 

Le Lac des cygnes de Fábio Lopez – Compagnie Illicite – Alessandra De Maria (le cygne Odette) et David Claisse (Prince Siegfried)

 

Le Lac des cygnes de Fábio Lopez par la Compagnie Illicite. Avec Alessandra De Maria (le cygne Odette), David Claisse (Prince Siegfried), Gaël Alamargot (Baron von Rothbart), Salomé Goualle (la Femme), Florian Carer et Javier Casado Suarez (les Grands cygnes). Samedi 15 février 2025 à la Salle Lauga de Bayonne.

La compagnie Illicite propose une soirée mixte Angelin Preljocaj/Christine Hassid/Maurice Béjart le 19 avril à Anglet

 

 
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