Chansons dansées – Ballet du Capitole
Avec cette soirée intitulée Chansons dansées, le Ballet du Capitole a présenté un programme rempli d’énergie et de nostalgie. Triptyque intelligemment conçu, il a mis en valeur les grandes qualités de la compagnie toulousaine à l’aise dans les différents registres, du classique au plus contemporain. Dix-huit ans après son entrée au répertoire, la pièce du chorégraphe belge Ben van Cauwenbergh, dont on connaît surtout le solo Les Bourgeois, s’étoffe de deux nouvelles chansons de Jacques Brel. Le tourbillon Cantata de Mauro Bigonzetti emporte tout sur son passage par sa puissance. Enchâssée au milieu de ces deux mastodontes, Barbara, la création de la chorégraphe anglaise Morgann Runacre-Temple brille d’un éclat singulier. Instaurant un dialogue respectueux et équilibré avec les mots de la chanteuse, elle livre une proposition aux accents cinématographiques traversée par l’émotion.

Chansons dansées – Brel de Ben van Cauwenbergh – Ballet du Capitole
Lieu dédié à la musique, l’écrin de la Halle aux grains sied parfaitement à cette soirée Chansons dansées du Ballet du Capitole, composée de pièces dansées sur des chansons à texte. Le voyage musical débute avec la reprise de la pièce créée en 1993 pour le ballet de Wiesbaden par Ben van Cauwenbergh et présentée pour la première fois à Toulouse en 2002 avant d’entrer au répertoire cinq ans plus tard. Le chorégraphe donne vie à dix chansons de Jacques Brel. À l’occasion de cette reprise, il choisit de chorégraphier aussi Rosa et La valse à mille temps. C’est d’ailleurs sur cette allégorie de la vie que les danseurs et danseuses ouvrent le bal dans un décor de dancing. L’enchaînement des chansons va bon train. Le rythme est soutenu et la chorégraphie multiplie les sauts et les portées audacieux. Parfois la virtuosité prend le pas sur l’émotion, mais il faut se frotter à la force de certains mots. « Quand on n’a que l’amour A offrir à ceux là Dont l’unique combat Est de chercher le jour… » Minoru Kaneko s’approprie la chorégraphie avec beaucoup de sensibilité. Son interprétation de Mathilde, entre folle allégresse de retrouver son amour perdu et inquiétude de la voir de nouveau disparaître, est à la hauteur de la puissance évocatrice de la chanson.
Même si on l’a beaucoup vu, le moment que l’on attend, placé au milieu de la pièce, c’est bien sûr Les Bourgeois. En moins de trois minutes, Jacques Brel nous raconte, comme il a le génie de le faire, une histoire qui fait défiler les décennies. Toute l’irrévérence du chanteur est contenue dans ces paroles et la chorégraphie de Ben van Cauwenbergh en adopte parfaitement les contours. Pas étonnant que ce solo soit devenu un tube à lui tout seul. Nécessitant vélocité, ballon et qualités d’interprétation pour incarner le temps qui passe, Les Bourgeois est malgré tout un cadeau qui se mérite. Philippe Solano s’en empare avec son talent et son expérience. D’autant plus qu’il enchaîne avec Amsterdam dans un excellent partenariat gouailleur avec Jérémy Leydier.

Chansons dansées – Barbara de Morgann Runacre-Temple – Ballet du Capitole
Ce n’est pas à proprement parlé un entracte qui sépare Brel et Barbara, la pièce de la jeune chorégraphe anglaise Morgann Runacre-Temple. Peu connue dans notre pays, elle crée pour la première fois pour une compagnie française. Les quelques minutes de pause permettent de se repasser, en accéléré, les dix chansons avant de se glisser dans l’univers de la Dame en noir. L’amitié artistique qui unissait ces deux chanteurs trouve dans cette soirée un prolongement bienvenu. L’ambiance intimiste matérialisée par quelques meubles nous plonge dans l’atmosphère mélancolique de la musique. Les notes de saxophone accompagnent les paroles de Pierre. « Il pleut, Il pleut, Sur les jardins alanguis, Sur les roses de la nuit, Il pleut des larmes de pluie… » Le temps semble s’arrêter.
Le choix des chansons apparait d’emblée très judicieux. Les danseurs et danseuses se coulent dans le phrasé de la musique avec fluidité. Ils glissent, s’étirent, se frôlent avec délicatesse. Ils racontent une histoire sans surligner, juxtaposant des mouvements à la lisière du contemporain et du néo-classique (les filles sont sur pointes parfois) amples et langoureux. Du bout des lèvres succède à Mourir pour mourir, des chansons que l’on écoute en temps ordinaire les yeux fermés. La chorégraphie nous pousse à les ouvrir par les habiles échanges entre les interprètes. On prête alors une oreille différente aux mots entendus tant de fois. J’ignore le degré de francophonie de Morgann Runacre-Temple, mais elle su capter l’intensité des textes de la chanteuse. Par conséquent, on se prend à en vouloir davantage. Composée uniquement de cinq chansons, cette pièce de quinze minutes laisse peut-être un sentiment d’inachevé. Nantes en version musicale constitue malgré tout une conclusion originale où cette bouleversante chanson, dépouillée de ses mots, laisse toute la place à la danse.

Chansons dansées – Cantata de Mauro Bigonzetti – Ballet du Capitole
Le dernier volet du programme est une reprise de Cantata, au répertoire de la compagnie depuis 2015. Créée il y a près de vingt-cinq ans pour le Ballet Gulbenkian de Lisbonne par Mauro Bigonzetti, cette pièce de groupe où chanteuses et danseurs partagent le plateau possède un pouvoir envoûtant. Le dépaysement est total. Oubliés Barbara et Brel, nous voici plongés dans un quartier populaire de l’Italie du Sud. La scène de groupe en ouverture (que l’on retrouve en clôture) met en lumière un essaim duquel les quatre chanteuses puissantes se dégagent telles des reines. Enchainant les chants et musiques traditionnelles, elles mènent incontestablement la danse. Pieds nus, crinières lâchées, les danseuses s’en donnent à cœur joie. Tout est très viscéral, très ancré dans le sol, très expressif jusque dans le bout des doigts crispés.
Quand les hommes entrent dans la danse à leur tour, la violence des interactions s’accentue. On s’empoigne avec fougue, on s’agrippe les uns aux autres. Des mouvements impétueux agitent les couples qui se forment. Dans ce registre, la compagnie évolue avec beaucoup d’aisance, comme si le pouvoir cathartique de cette chorégraphie les poussait à reculer des limites insoupçonnées. Ne quittant pas le plateau, la vingtaine de danseuses et danseurs déroule une histoire vieille comme le monde où l’instinct de survie s’exprime sans retenue. Cette explosion d’énergie déborde jusque dans les saluts. Comme si personne n’avait envie que la soirée se termine.

Chansons dansées – Cantata de Mauro Bigonzetti – Ballet du Capitole
Chansons dansées par le Ballet du Capitole. Brel de Ben van Cauwenbergh. Barbara de Morgann Runacre-Temple. Cantata de Mauro Bigonzetti. Distribution complète. Mardi 11 mars 2025 à la Halle aux grains.
Le Ballet du Capitole est à retrouver au Théâtre du Capitole du 18 au 25 avril avec la création Coppélia de Jean-Guillaume Bart.
(adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({});