Rituel – Benjamin Millepied et le L.A. Dance Project à la Philharmonie
Régulièrement invité à la Philharmonie à Paris avec sa compagnie le L.A. Dance Project, Benjamin Millepied présentait fin mars une chorégraphie sur le Rituel in memoriam Bruno Maderna de Pierre Boulez. Venant conclure une très belle soirée musicale qui trouve dans l’architecture acoustique de la Philharmonie son parfait écrin, le dialogue entre les interprètes du L.A. Dance Project et ceux de l’Orchestre de Paris incarne de manière stimulante la spatialité de la musique de Boulez. La chorégraphie demeure cependant dans l’ombre du Sacre du Printemps, dont elle porte les échos sans en atteindre la puissance symbolique.

Rituel – Orchestre de Paris et L.A. Dance Project
La Philharmonie de Paris consacre cette saison une large thématique au compositeur Pierre Boulez, 2025 marquant le centenaire de sa naissance. Benjamin Millepied, régulièrement invité par l’institution avec son L.A. Dance Project, faisait partie de la programmation avec sa nouvelle création Rituel, sur la partition Rituel in memoriam Bruno Maderna de Boulez. Si cette pièce est le point d’achèvement de la soirée, il en constitue le dernier moment, précédé de l’Octuor pour instruments à vent d’Igor Stravinski et de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Béla Bartòk, tous deux interprétés par l’Orchestre de Paris. Pensées comme des « pré-rituels » par Benjamin Millepied, ces pièces introduisent les références instrumentales et culturelles qui seront au travail dans la composition de Boulez. Dans les gestes sautillants du chef d’orchestre Esa-Pekka Salonen, dans les touches d’humour d’Igor Stravinski ou les élans folkloriques de Bartòk, ou encore dans le ballet scénographique impeccable par lequel la petite formation de huit musiciens laisse place à l’orchestre au complet, s’annonce déjà la présence de la danse.
C’est après l’entracte que démarre Rituel, pièce de 27 minutes composée par Boulez à la mémoire du compositeur Bruno Maderna. Dans la grande salle qui porte le nom de ce compositeur et chef d’orchestre profondément moderne, l’Orchestre de Paris s’éclate sous les nuages et alvéoles de l’architecture pour interpréter cet hommage au carré. Le son vient ainsi de la scène centrale, mais aussi de l’arrière du public, créant un effet d’enveloppement que redouble le jeu des danseurs et danseuses avec les musiciens et musiciennes.

Rituel – Orchestre de Paris et L.A. Dance Project
Les six interprètes du L.A. Dance Project entrent en scène, vêtus de costumes urbains faussement lacérés aux couleurs automnales, qui évoquent davantage des créations de styliste que l’écho au Sacre du Printemps déjà inscrit dans les références de Boulez à Stravinski. Ganté de bleu sombre et de rouge sanglant, le costume entaillé, Esa-Pekka Salonen porte lui aussi les traces du sacrifice à venir. De leurs gestes aiguisés, les danseurs et danseuses dessinent avec un vocabulaire contemporain empreint de lignes classiques et de figures balanchiniennes un filet autour des musiciens et musiciennes, qui se disperse et s’enfle au rythme des mouvements du morceau.
Dès l’entrée de Courtney Conovan sous un spot diaphane, silhouette longiligne vêtue de tulle de cuir noir, la fantôme de l’élue du Sacre du Printemps s’invite sur scène. Longtemps à part des autres interprètes, elle conserve son étrangeté spectrale dans les portés à six qui la projettent vers le ciel, vénérée ou sacrifiée. Bientôt, elle est rejointe par Jeremy Coachman avec lequel elle forme un couple tout en tensions, qui dans les moments les plus intéressants se joue des rapports de genre. Des deux, qui sera l’élu·e ? Qui sera sauvé·e par le groupe, qui lui sera sacrifié·e ?

Rituel – Orchestre de Paris et L.A. Dance Project
Évoluant en trajectoires arachnéennes, tressaillant sur les modulations pathétiques des instruments, les six interprètes se disjoignent aussi pour épouser les pulsations percussives par des sauts aux inspirations folkloriques, qui pourraient évoquer la chorégraphie de Vaslav Nijinski. C’est dans ces moments de rebonds coordonnés que les danseurs et danseuses semblent entrer le plus en résonance avec l’Orchestre.
Cependant, le manque de visibilité de la scène, même depuis les premiers rangs, rend difficilement lisibles toutes les configurations chorégraphiques et les échanges entre danseurs et musiciens. L’ombre planante du Sacre du Printemps tend aussi à faire paraître trop lisse ou esthétisante une chorégraphie qui ne pousse pas jusqu’au bout son exploration des rapports de genre, ni la violence de rituel païen contenue dans cette œuvre centrale de la modernité chorégraphique. Ainsi, sur les derniers accents de la musique, c’est bien la danseuse Courtney Conovan qui vient s’allonger comme un animal blessé aux pieds du chef d’orchestre, sans que les ressorts de son sacrifice soient pleinement compréhensibles. L’impression demeure ainsi que la chorégraphie, si elle a plaisamment accompagné la musique de Boulez, aurait pu lui faire davantage contrepoint.

Rituel – Orchestre de Paris et L.A. Dance Project
Rituel de Benjamin Millepied par l’Orchestre de Paris et le L.A. Dance Project. Direction d’orchestre : Esa-Pekka Salonen. Avec les danseurs et danseuses Lorrin Brubaker, Jeremy Coachman, Courtney Conovan, Daphne Fernberger, Audrey Sides et Hope Spears. Jeudi 27 mars 2025 à la Philharmonie de Paris.